SUPANGGAH Rahayu / GARASI SENI BENAWA – Cokekan (Javanese Chamber Music)
(Felmay / Orkhêstra)
Les désormais nombreux enregistrements de musiques de cour des palais javanais de Surakarta (Solo) et de Yogyakarta réalisés par Jacques BRUNET pour différents labels, ou ceux de Robert E. BROWN pour Nonesuch Explorer Series en passant par ceux de John Noise MANIS pour Dunya/Felmay et Arion, et d’autres encore, ont contribué à familiariser les oreilles occidentales avec ces climats tout en lévitation que procurent les sons des gamelans de l’île de Java. Ce CD se propose de nous faire écouter la musique de chambre javanaise jouée cette fois par un ensemble de taille plus modeste que ceux des gamelans palatins.
Cet ensemble ne comprend en effet pour tous métallophones qu’un gender et un slenthem, plus un xylophone en bois (le gambang) et un seul tambour (le kendang). La mince proportion des claviers à lames autorise donc d’autres instruments à cordes ou à vents, comme le celempung (cithare), le rebab (vièle à pique) et la flûte suling, à prendre une place plus avantageuse que d’ordinaire dans le spectre timbral.
La formation est constituée de quatre musiciens, d’une chanteuse et de trois invités aux chœurs. Tous proviennent d’un ensemble informel et ouvert qui accueille des artistes très divers issus de différentes branches artistiques, le GARASI BENI BENAWA, dirigé par Rahayu SUPANGGAH, connu notamment comme directeur musical du Gamelan de la cour royale de Solo.
Compositeur et ethno-musicologue renommé, Rahayu SUPANGGAH a entre autres composé la musique du spectacle de Robert WILSON I La Galigo (inspiré de l’épopée mythique du même nom qui évoque le peuple bugis du sud de l’île de Célèbes, en Indonésie) et la musique du film Opera Jawa, qui a remporté un « Asian Film Award » et a eu un peu de retentissement par chez nous. Il a de même participé à la réalisation du fameux coffret 4 CD Le Jeu des sentiments, consacré au Gamelan de Solo et paru en 2006 sur le label de la Maison des Cultures du Monde, Inédit.
Les quatre pièces qui composent l’album Cokekan renvoient toutes au karawitan, c’est-à-dire à la musique traditionnelle de Java-Centre jouée sur des instruments traditionnels et dans les modes vernaculaires, le pelog (heptatonique) et le slendro (pentatonique).
La première composition présentée sur le disque ouvre généralement les séances musicales au palais (klenengan) ou accompagne les représentations de théâtre d’ombres (wayang kulit). Elle est en cela parfaitement représentative du genre interprété ici, et met à l’honneur la voix capiteuse d’Eni SURYANI, une extraordinaire chanteuse qui égrène des évanescences timbrales d’une grande pureté.
C’est encore elle qui distille ses suaves parfums dans les autres morceaux du disque, dont les origines remontent au XIVe, voire au XIIIe siècle, entourée et portée par les sonorités enveloppantes du gender, du rebab, du suling, du gambang et du celempung. Sur la pièce finale, d’inspiration plus rurale, trois choristes masculins ornementent de leurs inflexions lancinantes les ondulations vocales de la chanteuse.
Cet orchestre de chambre de Rahayu SUPANGGAH sait tout autant qu’un imposant gamelan préserver et répandre le charme velouté et le « rasa » profond de la culture javanaise. Cokekan est le type d’album idéal pour se projeter, à la faveur d’une longue et froide soirée hivernale, dans les plus chaleureuses et sensuelles atmosphères des légendes indonésiennes.
Stéphane Fougère
(PS : Sur la pochette de ce CD digipack, le nom Rahayu SUPANGGAH est orthographié par erreur SUPPANGAH ; et dans la liste des pièces enregistrées, les durées de Subasiti et de Jineman ont été inversées.)
Label : www.felmay.it
Distributeur : www.orkhestra.fr
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n° 41 – hiver 2009,
et remaniée en 2020)