THE SABRI FAMILY – 5 Ragas (Sarangis & Tabla)

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THE SABRI FAMILY – 5 Ragas (Sarangis & Tabla)
(ARC Music / DOM)

En Inde comme dans bon nombre de pays, la transmission orale de génération en génération est la condition sine qua non de la perpétuation d’une science musicale. Les musiciens indiens qui ont atteint le stade d’experts ou maîtres « (ustad ») de l’art du raga sont de plus en plus nombreux à se produire sur scène et à enregistrer avec leur progéniture : Ravi SHANKAR avec sa fille Anoushka, Vilayat KHAN avec son fils Shaujaat Hussain, Shiv Kumar SHARMA avec son fils Rahul, Hari Prasad CHAURASIA avec son neveu Rakesh, etc. Illustre virtuose de cet étonnant instrument de la famille des vînas qui se joue à l’archet et que l’on nomme sarangi, Sabri KHAN, « ustad » décoré de maints distinctions, ne fait pas exception, puisqu’il est le premier à avoir présenté un « jugalbandi » (duo) de sarangis avec son fils Kamal SABRI, comme l’a illustré un précédent CD sur le label ARC Music, sur lequel le duo est de plus accompagné au tablas par l’aîné des SABRI, prénommé Sarvar.

Originaire du Cachemire et descendant d’une lignée musicale remontant au XVIe siècle, à l’époque de Mian TANSEN (maître légendaire réputé pour avoir donné à la musique hindoustanie ses lettres de noblesse), Sabri KHAN, ancien élève de la « gharana » Sainia, a d’abord accompagné au sarangi de grands noms de la musique vocale indienne (les chanteurs Amir KHAN, Yunus Hussain KHAN, Bade Ghulam Ali KHAN, Omkarnath THAKUR, les frères DAGAR, Bhimsen JOSHI, les chanteuses Siddheshwari DEVI, Gangubai HANGAL, Roshan Ara BEGUM, Girija DEVI, Kishori AMONKAR, Sulochana BRAHASPATI…) avant de hisser la pratique de son instrument au rang d’art soliste, suivant ainsi les traces du musicien pakistanais Bundu KHAN.

Ravi SHANKAR avait du reste sollicité Sabri KHAN pour présenter le sarangi lors de sa célèbre tournée Festival of India aux États-Unis en 1970. Depuis, Sabri KHAN a eu l’occasion de faire connaître le sarangi à des publics européens, participant notamment aux 24 heures du Raga au Théâtre de l’Odéon, à Paris, en 1985, alors qu’il était encore inconnu en France. (Un disque paru en 1991 chez Auvidis Ethnic s’est chargé de remédier à cette navrante situation…)

Maîtrisant la musique classique indienne tout en s’investissant dans des projets plus modernes, son fils Kamal SABRI s’est pour sa part également fait un nom en participant à plusieurs festivals internationaux et en collaborant avec des artistes renommés tels que Zakir HUSSAIN, Ustad Fateh Ali KHAN, Hossam RAMZY, Jan GARBAREK, Jukka TOLONEN… Quant au tabliste Sarvar SABRI, il s’est fait un nom en accompagnant de grands danseurs classiques (notamment des vedettes de la danse Kathak, comme Pratap PAWAR, Durga LAL, Akram KHAN…)

La famille musicale des SABRI s’agrandit sur ce nouvel album d’un quatrième membre, Suhail Yusuf KHAN, fils de Kamal, petit-fils de Sabri KHAN et présenté lui aussi comme enfant prodige du sarangi, ayant joué avec la chanteuse Girija DEVI, le tabliste Talvin SINGH, et même le guitariste Steve VAI !

Au total, ce disque présente 3 sarangis + 1 tabla = 5 ragas. Cette addition (de talents) n’est peut-être pas mathématiquement très juste – sauf à considérer que le tabla compte pour 2 tambours – mais garantit une belle singularité artistique à la gloire de la transmission orale et à la reconnaissance du sarangi comme instrument majeur du panthéon indien.

En dépit de sa sonorité plaintive et grinçante aux inflexions parfois même douloureuses, le sarangi a en fait une tonalité assez proche du timbre vocal et peut ainsi exprimer une très large gamme d’émotions. C’est ainsi avec deux ragas vespéraux joués durant la saison des moussons que débute ce disque. Le Raag Megh est le plus développé des cinq ragas, et fait entendre la famille SABRI au grand complet, les trois sarangistes développant à tour de rôle les notes du raga et formant progressivement de plus long phrasés mélodiques, comme il est de coutume durant l » « alap », avant que Sarvar SABRI ne se manifeste au tabla pour entamer la phase « gat » du raga, durant laquelle Sabri, Kamal et Suhail Yusuf enchaînent les envolées enjouées.

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C’est ensuite en mode jugalbandi (duo) que les fils de Sabri KHAN, Kamal SABRI et Suhail Yusuf KHAN, abordent le Raag Mian Ki Malhar, l’alap très sobre contrastant avec un gat plus étincelant, propulsé par la verve rythmique de Sarvar SABRI. Ce dernier a également l’occasion de faire montre de sa maîtrise du tabla sur une pièce soliste construite sur un peu commun rythme à 17 temps (tala shikhar), le sarangi de Kamal servant cette fois juste d’accompagnement.

Le trio Kamal, Suhail Yusuf et Sarvar investit ensuite un court raga nocturne, le Raag Adana, interprétant une mélodie très ancienne dans un style là encore assez enlevé.

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Ustad Sabri KHAN clôt l’album sur une note plus intime et recueillie (le très rare et matinal Raag Pancham) en compagnie de Sarvar, qui fait ici montre d’un jeu plus mesuré et soyeux, tandis que le sarangi du maître se confond en une complainte émouvante.

Toute entière dévouée à la musique hindoustanie (Nord de l’Inde) depuis huit générations, la famille SABRI cultive sans discontinuer le don de l’émerveillement et participe grandement à la reconnaissance mondiale de cet instrument « aux cent couleurs » qu’est le sarangi, dont l’ample palette tonale est ici encore déployée dans les grandes largeurs et autant de hauteurs.

Stéphane Fougère

Label : www.arcmusic.co.uk

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°40 – hiver 2008/2009,
et remaniée en 2025)

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