Richard PINHAS / Oren AMBARCHI – Tikkun

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Richard PINHAS / Oren AMBARCHI – Tikkun
(Cuneiform Records / Orkhêstra)

richard-pinhas-oren-ambarchi-tikkunAvec Desolation Row, premier volet de sa Devolution Trilogy (le deuxième étant Welcome in the Void), Richard PINHAS se préoccupait de la situation en Europe, de son agitation sociologique, politique et économique. Desolation Row étant « un témoignage sonique contre la montée du néo-libéralisme, la crise économique mondiale et l’augmentation des troubles sociaux ». Avec Tikkun, qui signifie « guérir, réparer et transformer le monde », il fait référence de nouveau (voir Metatron) à l’un des concepts du penseur Isaac LOURIA, un grand nom du mysticisme juif : si nous considérons que le monde est non achevé ni idéal, c’est « aux hommes de le transformer au quotidien en améliorant le bien-être social, financier et spirituel de l’humanité ». Cette conception de la justice sociale se retrouve aussi dans le Zohar, le livre de la Splendeur. Tikkun peut être vu comme une réponse à la trilogie en abordant l’idée de la « réparation du monde, de l’esprit, des corps et des émotions après avoir été dévastés par la modernité et la technologie (le techno-fascisme) ».

Cet album comprenant un CD et un DVD réunit l’Australien et multi-instrumentiste Oren AMBARCHI et le guitariste français Richard PINHAS. Il s’agit du premier disque entre les deux musiciens. Oren avait cependant déjà participé en tant qu’invité à Desolation Row et ils s’étaient retrouvés plusieurs fois sur scène notamment à L’espace B puis aux Instants Chavirés (voir la partie DVD avec plus de 40 minutes de cette dernière prestation datant du 29 octobre 2013 et filmée par Godefroy de MAUPEOU). Donc, il était bien normal de voir un jour surgir une collaboration de ce musicien sur disque ! Cet album en duo est sorti en même temps que celui réalisé avec Yoshida TATSUYA en mai 2014.

Oren (guitare, spirit, loops) et Richard (guitare, analog synth gtr, fx) sont accompagnés du batteur Joe TALIA. A eux trois, ils constituent ce qu’ils appellent le « premier cercle ». Le « deuxième cercle », formé de MERZBOW (loop, noise, fx), Duncan PINHAS (sequencer, noise, fx) et Eric BORELVA (batteur additionnel), virevolte autour du premier apportant tout son savoir-faire. Il n’y a pas de précisions sur leurs actes soniques mais sachez que MERZBOW a envoyé ses créations qui ont été fondues dans l’album et intégrées comme tapis sonore. Duncan présent à la session d’enregistrement a par exemple programmé et joué du synthé sur le premier morceau et nous lui devons aussi quelques effets rythmiques éparpillés ici et là.

Donc, voyant les effectifs déployés ici, le programme de Tikkun semble alléchant. Et nous n’avons pas tort. Cette musique va vous transformer ! Comme la pochette impressionnante du graphiste Yann LEGENDRE avec cette sorte de mutante inquiétante échappée d’un manga et qui semble prête à se réveiller. Entre nous, s’il fallait choisir, nous préférerions quand même la mutante version Natasha HENSTRIDGE: mortelle certes mais plus séduisante !

La partie CD présente trois morceaux : un de 13 minutes (Tokyo – T4V2), les deux autres Washington, D.C. – T4V1 et San Francisco – T2V2 dépassant les 25-30 minutes. Musicalement, c’est terrible ! Il n’y a pas de mots pour décrire ce que nous entendons. C’est un véritable cataclysme sonique. Il y a très peu de nappes apaisantes comme Richard PINHAS est seul capable d’en faire (elles n’apparaissent que dans la deuxième partie de Washington). Les guitares jouées par Richard et Oren sont sans pitié, avec la volonté affichée d’atteindre le maximum de violence électrique. C’est aussi très sombre, fort bruyant. Les seize premières minutes de Washington, D.C. ou le dernier titre San Francisco mettent en évidence le côté dur, rêche du duo, avec des sonorités extrêmes, noisy et beaucoup de dissonances. La pièce intermédiaire, Tokyo, semble vouloir atténuer cette violence sonore pour une musique drone qui s’écoule très lentement, tel un poison. Ce qui lui donne un aspect inquiétant et fort menaçant, amplifié par le rythme lourd, mécanique de la batterie.

De ces trois pièces, c’est tout de même le premier titre qui reste le plus emblématique. C’est une totale réussite de rock électronico-noise, qui vous happe dès le début avec l’arrivée de boucles électroniques typiquement HELDON mais aussi assez similaires à celles (certes plus rapides) de North, le morceau ouvrant Desolation Row… Des boucles qui tournent pendant toute la durée du morceau, renversant tout sur leur passage et qui à un certain moment sont assaillies par les guitares électriques. N’oublions pas la batterie implacable, qui sème la désolation, imperturbable dans ses agissements. Il y a beaucoup de rage et de furie et cela en devient assourdissant. Cette colère électrique et dissonante dure 17 minutes. La suite de Washington s’étire vers quelque chose de plus posé, atmosphérique et aérien. A partir de la 16e minute, l’arrivée de douces nappes annonce un revirement. D’abord assez timides, puis finalement s’affirmant complètement, elles finissent par dominer les boucles et cette terreur précédemment développée.

La force de ce titre vient du choc entre une première partie destructrice et une seconde faisant presque office de soundscape. Washington est à la fois un hymne à la déflagration (annonçant l’état général du monde et le devenir incertain de l’humanité) et un appel à l’apaisement révélant une note d’espoir (à travers la beauté des nappes et des boucles, nous pouvons envisager comme possible la guérison du monde).

Tikkun reste un album radical, puissant dont la musique avant-gardiste ne s’adresse pas à tout le monde. A ceux qui voudraient y jeter une oreille et aux plus curieux et avides de sensations musicales fortes, il est la synthèse parfaite de ce que représente l’oeuvre passée et future de PINHAS, à savoir que nous y retrouvons les caractéristiques soniques de son groupe HELDON liées à l’aspect bruyant et noise de ses derniers travaux. Il révèle aussi que ce duo fonctionne bien tout comme celui avec le japonais TATSUYA. L’osmose entre Richard et Oren est évidente. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le DVD filmé à Montreuil. Le set de 40 minutes exprime parfaitement cette totale communion, auréolée de cette abominable lumière rouge de la salle et de quelques effets kaléidoscopiques psychédéliques. La pièce présente, semble-t-il, une trame de départ (cette musique drone avec ce lent bourdonnement continuel) assez similaire à Tokyo, pour ensuite évoluer vers une impro d’assez bonne qualité, jusqu’à l’explosion tant attendue (dès lors que l’australien se met à jouer de la batterie) en guise de final.

Site : http://www.richard-pinhas.com/

Label: www.cuneiformrecords.com

Cédrick Pesqué

 

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