THE WORK – The 4th World
(Ad Hoc Records / ReR Megacorp)
De 2006 à 2007, le label Ad Hoc Records – lié au distributeur ReR USA, soit la branche américaine du label anglais ReR Megacorp, et présidé par Dave KERMAN, figure centrale du Post-Rock in Opposition à l’américaine incarnée par les groupes 5UU’s, THINKING PLAGUE… – a remis à disposition, en version remastérisée, les trois essentiels albums studio de THE WORK, Slow Crimes, Rubber Cage et See, préalablement parus dans les années 1980 chez Woof Records, puis a fait paraître pour la première fois en CD le brûlot Live in Japan. (NDLR : La K7 The Worst of Everywhere a pour sa part été rééditée en version augmentée sur un double CD par le label brésilien Ultra Gash en 2022.) Vous croyiez tout connaître de THE WORK ? Eh ! bien, sachez que depuis la disparition du groupe au milieu des années 1990, vous avez vécu dans l’ignorance de l’existence d’un opus mystérieusement resté dans l’ombre, et que Ad Hoc Records a fini par exhumer !
Il n’y a guère que ceux qui ont assisté à un certain concert à Freiburg le 18 avril 1994 qui ont dû se douter qu’il manquait quelque chose à la discographie de THE WORK, précisément un chapitre final. Car la majorité des morceaux joués ce soir-là étaient complètement nouveaux ! Et pendant tout ce temps, ils ont sombré dans les limbes de l’oubli… jusqu’à ce que le label susnommé nous les livrent sur un plateau, tels qu’il ont été joués ce fameux soir de 1994.
Il a fallu pour cela que la prise de son effectuée par Volkmar MIEDTKE en mono soit retraitée en version stéréo par Udi KOOMRAN – c’était en 2004 – puis que Mick HOBBS et Tim HODGKINSON éditent la bande en 2008, pour une parution deux années après. C’est ce qui s’appelle une résurrection lente, mais soignée. Car le son ici est aux antipodes de celui, sauvage et caverneux, du Live in Japan, dont on se souvient qu’il provenait d’une mini-K7. C’est un enregistrement beaucoup plus net et saillant, plus en phase avec l’évolution sonore de THE WORK lors de sa seconde phase d’existence (à partir de 1989).
La première époque de THE WORK, illustrée par les albums Slow Crimes, Live in Japan et le EP I Hate America, avait été stigmatisée comme une heureuse confrontation entre l’urgence post-punk et les choix d’écriture avant-gardiste de HENRY COW. Lors de la résurrection de THE WORK après sept ans d’abstinence, cette démarche a été poussée dans de nouveaux retranchements avec Rubber Cage, s’ouvrant même avec See sur l’expérimentation électronique, qui a ainsi tempéré ou dévié plus avant les assauts incendiaires des débuts. Parce que THE WORK n’est pas du genre à jouer les poseurs et que ses membres avaient tous trempé dans d’autres aventures entre temps. En conséquence, The 4th World s’inscrit dans la continuité de See, tout en présentant la musique du groupe sous un jour encore différent.
The 4th World n’est pas le live rétrospectif ou le « best of » de la seconde vie de THE WORK. Et bien qu’enregistré en concert, il s’écoute presque comme un nouvel album studio. La vingtaine de morceaux qui le compose s’enchaînent quasiment tous, formant une suite dans laquelle les éclats post-punk peinent à émerger, préférant céder la place à une mise sous tension progressive, subreptice et cauteleuse, qui oblige l’auditeur à écouter l’œuvre d’une traite, comme si elle était constituée d’un seul tenant, mais avec des chapitres ouvrant sur des horizons jamais encore visités par le quartet.
Le contexte live autorise même Mick HOBBS, Tim HODGKINSON, Bill GILONIS et Rock WILSON à « travailler » sur des formats courts, sorte de piécettes aux allures parfois franchement théâtrales, quand se mêlent voix « live » et voix échantillonnées. Du reste, tous les textes sont des montages de phrases ou de mots pêchés à diverses sources (poèmes, livres sacrés, manuels de médecine, journaux… c’est tout juste si on n’y trouve pas le bottin) bizarrement assemblés. On n’osera pas parler d’album concept, mais au moins d’un trip foutrement déviant et insituable.
Même le fan invétéré pourra mettre un certain temps à trouver ses marques – quand bien même le son THE WORK est vite identifiable – et il lui faudra attendre le dernier quart pour se retrouver en terrain connu, avec les reprises de Hell (inclus dans Rubber Cage), de la coda de The Hive et du bouillonnant The Rim (tirés de See), seules concessions du groupe à un répertoire plus familier.
On ressort de ce « quatrième monde » aussi hébété que ravi, pas loin de penser qu’en fin de compte, cette inédite fin de partie est peut-être le « must » de THE WORK.
Stéphane Fougère
(chronique originale publiée dans TRAVERSES n°30 – mai 2011,
et légèrement remaniée en 2025)
PS : Membre de THE WORK, le multi-instrumentiste et vocaliste Mick HOBBS est mort le 3 janvier 2025. Il était l’un des activistes les plus féconds du mouvement Rock in Opposition de la fin des années 1970 et du début des années 1980 dans la veine post-punk, expérimentale et noise. Outre THE WORK, il a également joué avec THE LOWEST NOTES, THE LO YO YO, THE MOMES, FAMILY FODDER, Catherine JAUNIAUX, Zeena PARKINS, FLAMING TUNES, HALF JAPANESE, STROBE TALBOT… Dès 1982, Mick HOBBS avait également créé OFFICER !, son propre projet solo constitué de chansons et d’instrumentaux avant-gardistes prodigieusement « ovni-esques », avec lequel il a réalisé plusieurs albums (en LP, K7, CD…) durant les années 1980 et qui a été réactivé dans les années 2010, jusqu’en 2023. Nous lui rendons hommage avec cette chronique.