Thierry ZABOITZEFF – HEAT (Rough Mix)
(IMD ZABmusic)
Présenter Thierry ZABOITZEFF serait faire offense à nos lecteurs qui le suivent depuis tant d’années et, notamment, dans nos colonnes (voir notamment : https://rythmes-croises.org/thierry-zaboitzeff-iva-lirma-archives-02-07/). Cependant, si HEAT devait être votre porte d’entrée dans l’univers musical de ce compositeur multi-instrumentiste exceptionnel, vous auriez alors choisi probablement celui de ses nombreux albums qui se révèle sans ambiguïté au cœur de nos préoccupations humaines actuelles et des plus prégnantes puisqu’il en va de la survivance même de notre espèce.
Il est vrai que les espaces sonores toujours novateurs que Thierry ZABOITZEFF explore sans concession depuis plus de cinquante ans (cf. https://rythmes-croises.org/thierry-zaboitzeff-au-coeur-de-cinquante-ans-de-musiques/ ) sont parfois apparentés à des dimensions oniriques – et parfois cauchemardesques – où l’on relèvera de fondamentales interrogations sur les parts d’ombre et de lumière où chemine l’âme humaine. Certains de ses opus font souvent référence à un langage imaginaire propre, qu’il soit instrumental ou vocal, ancrant son inspiration dans l’espérance ou dans l’angoisse que peut susciter l’évolution humaine dans son espace interactif et planétaire.
Avec HEAT cependant, la métaphore n’est plus de mise : la planète brûle et la magnifique jaquette réalisée par Thierry MOREAU (le fidèle graphiste et ami qui réalise ses visuels depuis de nombreuses années) (https://rythmes-croises.org/thierry-moreau-ou-le-parcours-dun-graphiste-familier-et-pourtant-meconnu/ )ainsi que les titres qui composent l’album sont sans ambiguïtés :
1. Vague de chaleur intense (5:47)
2. Bulletin Météo (9:05)
3. Heatwave Alarm (4:15)
4. Cold Song (3:57)
5. Echoes (2:53)
6. Signes avant-coureurs (5:10)
7. Epilogue (3:34)
Cette sensibilité au caractère fragile, malmené, autant que merveilleux de Gaïa était déjà exprimée par Thierry ZABOITZEFF dans Le Passage, son album sorti en début d’année, ou encore dans des titres comme Heat & Suffocation sur son album India. Cette suffocation relayée par les voix linéaires des médias est ici clairement évoquée, certainement parce que cette réalité exponentielle est de chaque instant désormais, avec son lot de dérèglements dont nos modes de vie sont la cause sans que, pour autant, les victimes, quotidiennes désormais, n’établissent encore le lien de responsabilité qui nous incombe.
Mais le four alchimique dans lequel l’inspiration de Thierry ZABOITZEFF trouve son accomplissement ne délivre nulle lave en fusion : l’œuvre témoigne ici d’une rigueur toute conforme au cheminement du compositeur – et seul interprète de sa musique. Le premier titre annonce la couleur rougeoyante qui ne nous quittera plus désormais : la pièce débute par un thème ciselé au piano, très « staccato », vite repris aux violoncelles, l’instrument de prédilection de Thierry ZABOITZEFF. L’obstination rythmique inscrit bien le fait que, désormais, c’est Chronos qui compte les points, sans état d’âme : Vague de chaleur intense est le compte à rebours d’un temps qui nous est désormais compté. La pièce, première de l’opus, peut être entendue sur Bandcamp à l’adresse suivante :
https://thierryzaboitzeff.bandcamp.com/album/heat
L’absence de référence tonale doublée du caractère martial des parties vocales ainsi que les ostinatos rythmiques de Heatwave Alarm contribuent à illustrer une brutalité bien typique hélas des comportements humains les uns envers les autres et envers la Nature. Les évocations des chœurs martiaux ne sont pas une référence nouvelle pour Thierry ZABOITZEFF, qui avait déjà utilisé ce procédé vocal saisissant dans Le Mariage du Ciel et de l’Enfer au sein d’ART ZOYD. Pour un peu nous ne sommes pas loin d’un Ork Alarm de Jannik TOP, un autre violoncelliste et bassiste bien connu des aficionados du groupe MAGMA.
Si Cold Song peut apparaître comme un répit dans cette canicule sonore, la pièce, appuyée sur une célèbre marche harmonique de Henry PURCELL, porte une partie vocale chromatique ascendante où Thierry ZABOITZEFF, d’une voix solitaire, juste, fragile et sensible, chante, dans un langage imaginaire, une complainte qui, à la fin de cette marche ascendante, se meurt sur un timbre grave et fataliste. Le froid y est certes évoqué, mais le bruit sinistre de la glace qui se fend ne semble pas de bon augure pour la suite, même si la cinquième pièce, Echoes, déroule sa mélodie paisible parfois à deux voix : la chaleur y est omniprésente quoiqu’en filigrane.
Elle est à nouveau évoquée dans sa fatalité à travers Signes avant-coureurs qui, même si des pauses nous sont encore ménagées, nous dirige vers un Epilogue qui prolonge ce do dièse grave du piano qui sonne comme un glas. La Terre semble ici tourner, rougeoyante, dans un espace à peine troublé par le murmure des derniers crépitements d’un feu qui l’a dévastée. Un message radio annonçant des canicules se fait encore entendre tandis qu’une mélodie étrange, articulée comme en quinconce entre le piano et le violoncelle souligne désormais l’absence du temps.
Chaque opus de Thierry ZABOITZEFF est une œuvre en soi, et une partie incontournable de l’édifice de sa création. Homogène dans sa progression et sa démarche, marquées du sceau de l’intransigeance et de l’exigence, sa création est pourtant constituée d’univers différents, ce qui peut nous amener à considérer que l’ensemble de l’œuvre de Thierry ZABOITZEFF est un multivers, un kaléidoscope d’univers cohérents indépendamment les uns des autres, mais en congruence quand on considère la progression passionnante de ce musicien à l’inspiration personnelle unique reconnaissable entre mille.
Vous l’aurez compris : HEAT est incontournable, par la cohérence de son message de sensibilité et de grande urgence. Bienvenue dans le multivers de Thierry ZABOITZEFF !
Philippe Perrichon