Tony HILL (HIGH TIDE) ne s’embarquera plus à « marée haute »…

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Tony HILL (HIGH TIDE) ne s’embarquera plus à « marée haute »…

Le compositeur, guitariste et chanteur anglais Tony HILL a tiré sa révérence le 8 décembre 2022. Sa carrière musicale se confond presque intégralement avec celle du groupe HIGH TIDE, qu’il a fondé en 1969 après avoir joué dans le groupe psychédélique américano-anglais The Misunderstood, le groupe The Answers et dans l’éphémère trio Turquoise d’un certain David Bowie. Outre Tony HILL, HIGH TIDE était formé du violoniste Simon House, du bassiste Peter Pavli et du batteur Roger Hadden, préfigurant dans sa formation le King Crimson des années 1972-74, dont il peut passer pour un ancêtre plus rugueux et acariâtre.

Même s’il n’a pas connu de franc succès commercial, HIGH TIDE a été plutôt bien accueilli par la critique de l’époque et passe pour avoir été le pionnier d’un rock proto-métal sans fioritures mais nourri de tendances acides et psychédéliques et de velléités progressives, avec des soli abrasifs et haletants, des tempi changeants, des constructions sinueuses, des contrastes climatiques et des improvisations nourries.

Paru en 1969 sur le label Liberty, son premier album, Sea Shanties, fut assurément une sacré claque sonore en comparaison avec les productions plus « flower power » de cette époque, avec un son lourd et dense et des textes plutôt pessimistes, servis par une production certes rêche et approximative, mais avec un travail guitaristique monumental de transpiration électrique et un violon frénétique et volontiers distordu, jouant à l’unisson ou entrelaçant leurs lignes, tous deux appuyés par une basse sombre et une batterie fébrile. Si l’on peut y déceler des échos de groupes comme Jimi Hendrix Experience, Iron Butterfly, Steppenwolf ou Blue Cheer, avec en plus le chant aux accents « jim-morrisonniens » de Tony HILL, la musique de HIGH TIDE affiche une identité sonore forte qui ne se digère pas d’un seul trait.

Voici une pièce instrumentale furieuse et roborative extraite de Sea Shanties, Death Warmed Up : 

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À défaut de rivaliser avec Sea Shanties en termes de densité sonore magmatique, l’album suivant, tout bonnement titré High Tide (1970), confirme et affine quelque peu l’inspiration du groupe : on y remarque un plus grand équilibre entre les parties de guitare et de violon, l’introduction sur certains passages d’un orgue et des séquences plus contrastées, combinant heavy rock, blues psychédélique et effluves folk. Mais le manque de succès commercial et l’instabilité mentale grandissante du batteur Roger Hadden a obligé HIGH TIDE à mettre fin à son aventure, léguant à la postérité ces deux seuls albums précurseurs d’un certain métal progressif mais nimbé de l’atmosphère « underground » du début des années 1970, et tout en préservant un goût très prononcé pour l’improvisation. Simon House a par la suite rejoint le groupe Hawkwind et Peter Pavli s’est retrouvé chez Third Ear Band puis chez Michael Moorcock’s Deep Fix.

Voici Blankman Cries again, le morceau d’ouverture de l’album High Tide :

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Mais l’histoire de HIGH TIDE ne s’arrête pas là ! Tony HILL et Simon House se sont remis à faire de la musique ensemble et ont enregistré une cassette avec huit pièces, Interesting Times, parue en 1986 et qu’un obscur label italien, Cobra, a sorti en LP l’année suivante. Une édition CD, augmentée de deux autres pièces, a fait suite en 1990, sur un label pirate, Lobster. Néanmoins, on n’y retrouve que partiellement le son du HIGH TIDE d’antan, le guitariste et le violoniste n’ayant pas cru bon de (ou n’ayant pas pu) recruter un bassiste et un batteur, leur préférant une boîte à rythme et des synthés qui trahissent bien leur époque. Mais en 1989, les fans des premières heures de HIGH TIDE ont eu l’heureuse surprise de voir sortir, toujours sur Cobra Records, un LP et un CD, Precious Cargo, comprenant une session live en studio inédite datée d’octobre/novembre 1970, soit peu de temps après la sortie du second album du quartette d’origine, que l’on retrouve sur cet enregistrement qui augure ce qui aurait pu être le troisième album de HIGH TIDE, mais qui pâtit d’une qualité sonore abyssale par endroits.

Simon House ayant à nouveau rejoint les rangs de Hawkwind en 1990, on aurait pu croire que le retour de HIGH TIDE aurait tourné court. Que nenni ! Un label berlinois, World Wide Records (WWR, sous-division de SPM), a publié en 1990 et en 1991 pas moins de quatre albums inédits de HIGH TIDE ! L’un d’entre eux, The Flood, exhume plusieurs enregistrements inédits datés de 1970, 1971, 1976 et 1979, démontrant ainsi que HIGH TIDE a continué à exister après son second album éponyme, même si de manière très souterraine et avec des formations différentes : Simon House, encore présent sur les enregistrements de 1970, est remplacé par un guitariste, Android Funnel, sur les enregistrements de 1971, dans lesquels le bassiste Peter Pavli se fait cette fois entendre au violoncelle ; et Roger Hadden est remplacé par Draken Theaker (ancien batteur du Crazy World of Arthur Brown et de Deep Fix).

Les trois autres CD parus sur WWR ne contiennent pas d’archives anciennes, mais des enregistrements effectués en 1990 et publiés sous l’impulsion de Draken Theaker : si A Fierce Nature a été entièrement joué et enregistré par les seuls Tony HILL et Draken Theaker, Ancient Gates réunit une formation plus complète avec le renfort de Dave Tomlin (Third Ear Band) à la basse, au violon et au clavier et d’une chanteuse indienne, Sushi Krishnamurti.

C’est un autre HIGH TIDE qui se déploie ici : en lieu et place des compositions labyrinthiques et complexes des deux premiers albums, Ancient Gates est constitué de longues improvisations sur des bribes de thèmes, voire pas de thèmes du tout, empruntant au blues comme à la musique indienne, les morceaux prenant l’allure de « ragas » en mode « free-rock ». En voici un exemple avec la double pièce Ancient Gates/Starless Skylines :

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Paru en 1991, le CD The Reason of Success s’inscrit dans le sillage d‘Ancient Gates et présente une démarche similaire, avec les mêmes Tony HILL, Draken Theaker et Dave Tomlin, mais Simon House, Peter Pavli et Android Funnel apportent aussi leurs contributions. 

Voici la pièce d’ouverture de l’album, Garage Gods : 

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Ces mêmes années 1990 et 1991 verront la sortie sur le même label WWR de deux albums, Strange Attractor et Star Map Excursion, crédité au groupe HAZCHEM, lequel est ni plus ni moins constitué des mêmes musiciens principaux officiant sur Ancient Gates et The Reason of Success, soit Draken Theaker, Dave Tomlin, Peter Pavli, Sushi Krishnamurti, mais aussi le saxophoniste et flûtiste Lynn Dobson (Soft Machine, Third Ear Band) et bien sûr Tony HILL, plus quelques invités occasionnels. Autrement dit, HAZCHEM est une excroissance du HIGH TIDE millésimé 1990.

Toujours en 1990, WWR sort également Playing for Time, le premier album solo de Tony HILL constitué de morceaux enregistrés en 1975 et 1977, auxquels s’ajoute une pièce plus récente de 1989.

Si HIGH TIDE est définitivement retourné au silence après cette salve d’albums dans les années 1990 suite à la disparition prématurée de Draken Theaker, Tony HILL a continué à jouer et a même formé un autre groupe, Tony HILL’s FICTION, avec lequel il a enregistré le disque Dna, The Brain, The Universe, en 2001. La même année, le label anglais Woronzow a publié un second album solo de Tony HILL, Inexactness, dans lequel le guitariste joue avec des membres du groupe Bevis Frond et retrouve le bassiste Peter Pavli. (L’album a été réédité en septembre 2022 chez Blue Matter avec trois pièces supplémentaires.)

Voici la pièce maîtresse de ce disque, Of Foundries, Ships, & Steeples :

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Toujours en 2001, la discographie de HIGH TIDE a été augmentée en 2001 d’un album-compilation, Open Season, paru sur le label italien Black Widow et qui reprend la quasi-majorité des pièces de The Flood, deux morceaux de The Reason of Success, une d’Ancient Gates, plus deux pièces solo inédites, une de Tony HILL et une de Peter Pavli, offrant ainsi un balayage de la production « underground » du groupe sur une vingtaine d’années.

En 2006, les albums Sea Shanties et High Tide ont bénéficié d’une superbe réédition CD en version remastérisée chez Eclectic Discs (republiée par Esoteric Recordings en 2010) et chacun d’eux a été complété par des morceaux supplémentaires, des versions démos mais aussi des pièces totalement inédites enregistrées à la même époque mais laissées incompréhensiblement dans les tiroirs en dépit d’une très bonne qualité sonore, et qui prouvent que HIGH TIDE a été décidément plus prolifique qu’on ne le pensait dans ses vertes années.

Le parcours artistique de Tony HILL est sans doute de ceux qui ne sont mentionnés que dans les notes de bas de page des manuels d’histoire du rock, mais son impressionnante maîtrise du vocabulaire guitaristique électrique et son œuvre avec et autour de HIGH TIDE mérite d’être (re)découverts par les oreilles curieuses et non frileuses qui souhaiteraient découvrir les racines d’un rock « lourd » mais non moins alerte, fiévreux, audacieux et défricheur. Salut l’artiste…

Article réalisé par Stéphane Fougère

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