Ulla PIRTTIJÄRVI – Máttaráhku Askái = In Our Foremothers’ Arms
(Innovator Series)
Tant pis pour ceux qui croyaient que Mari BOINE était la seule chanteuse sami à tenter d’éclairer le « joik » (chant traditionnel du peuple sami) sous un nouveau jour ! Ancienne membre du trio féminin ANGELIN TYTÖT (« Les Filles d’Angeli »), rebaptisé depuis ANGELIT (à ne pas confondre avec les voix bulgares d’ANGELITE !), Ulla PIRTTIJÄRVI a décidé d’apporter sa propre contribution à l’élargissement d’une voie nouvelle pour l’expression traditionnelle sami avec des arrangements contemporains.
Grand bien lui en a pris puisqu’après avoir enregistré un livre-disque de contes pour enfants (Hoŋkoŋ Dohkka), son album Ruošša Eanan, paru en 1998, a capté l’attention des critiques de world music de Scandinavie pour sa démarche novatrice. Il faut dire que non seulement Ulla interprète, mais compose également des joiks. De plus, elle a su s’entourer pour ce premier essai puisque c’est ni plus ni moins que le fondateur du groupe électro-world TRANSJOIK, Frode FJELLHEIM, qui a produit son disque et en a conçu les arrangements. Tous deux ont récidivé en 2002 avec l’album Máttaráhku Askái, qui peut se traduire par « Dans les bras de nos aïeules ».
Ce disque a, comme on pouvait s’y attendre, le goût des horizons glaciaires crépitants, des vents animistes, de la faune grommelante et des rythmes apesantis par quelques épaisseur neigeuse qui colle aux bottes fourrées (Čálkko-Niillas, Riđđu Badjána, Nuortta Silkkit).
Au minimalisme syllabique et au ton dévotionnel des joiks d’Ulla PIRTTIJÄRVI répond un habillage instrumental très atmosphérique élaboré à partir de claviers et de percussions, sur lesquels se posent occasionnellement quelques pincements de cordes de guitare acoustique, quelques piaillements de guitare électrique, le souffle étal d’un saxophone soprano, le couinement éploré d’un violon, les pincements d’âme d’un accordéon et des murmures embués.
Avec Frode FJELLHEIM aux manettes, on se doute que la combinaison entre instruments acoustiques et programmations claviéristiques évoque l’univers de TRANSJOIK, sans toutefois rivaliser avec ses extrémismes hypno-rythmiques ! Máttaráhku Askái opte pour un ton globalement plus feutré et l’instrumentation choisie prodigue des couleurs volontiers jazzy.
Du paysage arctique, Ulla PIRTTIJÄRVI préfère nous faire admirer ses étendues placides et veloutées plutôt que ses reliefs raboteux. Ses joiks imposent leurs empreintes pittoresques et leurs élans spirituels. Les textes évoquent divers aspects de la vie dans les temps anciens (Gádja Nillá, Ladjogahpir…) et la confrontation avec les temps modernes (New York, Odda Aigi, qui sont comme par hasard les morceaux les plus expérimentaux). « Le temps ne s’arrête pas, dit Ulla dans Áigi Vássá, et quand l’ère moderne arrive, l’ancienne est oubliée. On se demande alors quelle est la meilleure ? »
En fin de course, tout n’est plus que bruissements volages, souffles nasillards et clapotis, et le disque se referme sur un ultime joik intimiste profondément émouvant (le morceau éponyme à l’album) accompagné au piano et aux claviers, comme une dernière étape avant le repli intérieur définitif. Le silence a repris ses droits…
C’est une cohabitation douce et complice entre tradition et modernisme qui anime Máttaráhku Askái. Son enregistrement lui-même illustre cette « fusion identitaire » puisque le chant d’Ulla et les bruitages naturels ont été enregistrés chez elle, dans le nord de la Finlande, alors que la plupart des parties instrumentales ont été captées dans un studio de New York.
Entre le militantisme vindicatif de Mari BOINE et les projections hallucinées de WIMME, Ulla PIRTTIJÄRVI inaugure une voie médiane sans doute moins radicale dans son traitement mais tout aussi envoûtante et qui combine émotion et réflexion, passé et présent, ruralité et urbanisme, rusticité et raffinement.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°13 – septembre 2003,
et remaniée en 2021)