Valentin CLASTRIER
(Innacor)
Sur la pochette, pas de titre, rien qu’un nom (et pas des moindres). Comme si le disque synthétisait la personnalité ou la « carrière » de son auteur. Ce n’est pourtant pas une compilation, ni une anthologie, mais bel et bien un nouvel album qu’a réalisé Valentin CLASTRIER, l’un des artistes les plus discographiquement discrets de l’Hexagone, quelle que soit l’étiquette stylistique que l’on voudra bien lui affubler. De toute façon, on sera bien en peine de caser ce disque dans une case toute faite.
Bornons-nous donc au fait majeur : il s’agit d’un disque solo de vielle à roue électroacoustique, sans doute le premier de son géniteur depuis… son premier LP sorti en 1982, titré (faute de mieux ?) La Vielle à roue de l’imaginaire. Et d’imaginaire il est également question dans ce CD éponyme, qui pourrait passer pour un « volume 2 » de son lointain prédécesseur. Sauf qu’entre-temps, Valentin CLASTRIER a changé de vielle.
Ce CD lui offre l’occasion de faire breveté un nouveau prototype fabriqué par le luthier Wolfgang Weichselbaumer, et avec qui il a procédé à quelques innovations, donnant ainsi naissance à la « R.V.H. » (roue à variation de hauteur), soit une roue à archet dont la position est variable. Valentin CLASTRIER en définit l’intérêt ainsi : « Les variations de hauteurs génèrent des différences de volume (nuances) et offrent aussi la possibilité d’un jeu en tapping ou cordes frappées, que l’on peut naturellement alterner avec le jeu frotté habituel. » Des câbles de bicyclette ont aussi été intégrés à cette vielle du 21e siècle baptisée – à juste raison – « Venue d’ailleurs ».
N’allez pas pour autant croire que cette vielle des temps nouveaux est un alibi purement démonstratif. Si Valentin CLASTRIER a enregistré ce disque, c’est qu’il avait des choses à dire, des affects à exprimer. Il le précise dans le livret : « Je place les innovations de la lutherie, de même que l’expérimentation des techniques instrumentales, au service de l’expression. (…) Je place les sons au service de l’idée et de l’inspiration. »
Et c’est peu dire que « Venue d’ailleurs » nous emmène en retour vraiment haut et loin, commençant Au fond des temps pour y terminer aussi sa course, dans un espace aux résonances d’orgue bouché, ancestral et rugueux. Entre ces deux fonds temporels d’introduction et de conclusion, nous aurons serpenté à coups de manivelle plus ou moins tordus dans des terres en friche dont les semences poussent sous un Grand Soleil particulièrement vif et rayonnant (l’occasion de vérifier que CLASTRIER n’a pas été nommé le « Jimi HENDRIX de la vielle à roue » pour rien).
De même, on ne s’étonnera guère que les fruits de ces expérimentations osées mais non hasardeuses se parent de couleurs juteuses dans un style Néogothico-rococo-flamboyant dont les résonances s’étendent du médiéval au noisy-thrash. Mais le temps n’est pas toujours au beau fixe dans cette contrée hypnotique où l’éternité (Ad Vitam Aeternam) se fait mouvante et instable ; et quand soufflent les Vents solaires, c’est pour mieux animer l’horizon de craquements lugubres et de bouillonnements macabres. Dans pareil univers héroïco-fantastique, s’aventurer au-delà du Mur (du son ?) peut occasionner des rencontres inquiétantes que ne sauraient soutenir des âmes sensibles…
Entre une singulière Berceuse énervée résolument conçue pour des somnambules épileptiques et un Dialogue à l’allure non moins paradoxale d’un soliloque méditatif, Valentin CLASTRIER perturbe les canaux auditifs de ses Stridulations aussi bourdonnantes qu’abrasives, et fend l’air des certitudes sonores trop avachies à grand coup de Gyroturbation tourneboulante et sinusoïdale que lui seul pouvait imaginer.
Brouillant et bariolant les pistes entre médiévalisme rêche et futurisme râpeux, clamant à qui veut bien l’entendre qu’il est (comme sa vieille) Venu d’ailleurs, Valentin CLASTRIER n’avance pas masqué ; et quand il assène ses 4 Vérités sur un air de ritournelle grinçante, il rappelle au passage qu’en matière artistique l’attitude hérétique est seule garante d’une créativité hors les clous.
C’est dire si la sortie d’un pareil opus est un événement artistique rare, d’autant que les anciens disques de Valentin CLASTRIER ne sont pas du genre à courir les rues. Voilà donc, sans titre et sans fard, Valentin CLASTRIER tel qu’en lui-même, intègre et entier, avec son étrange soucoupe roulante à archet, au service d’une expression viscérale « entre les lignes, au-delà des notes » (sic), d’ici et d’ailleurs, d’autrefois et de demain.
Stéphane Fougère
Site : www.valentinclastrier.com
Label : www.innacor.com