VIOLONS BARBARES – Violons Barbares
(L’Assoce Pikante / L’Autre Distribution)
De la part des musiciens du Collectif l’Assoce Pikante, on sait – en tout cas on commence à savoir – qu’on peut s’attendre à découvrir les musiques balkaniques et celles du pourtour méditerranéen sous des formes inattendues relevant d’hybridations toujours étonnantes qui gardent la saveur des traditions tout en les épiçant d’idées neuves. Mais ce groupe dans lequel officient Dimitar GOUGOV (BOYA, ELEKTRIK GEM) et Fabien GUYOT (L’HIJAZ’CAR, ELEKTRIK GEM) déjoue franchement les expectatives plus que toute autre émanation de l’Assoce Pikante, car il nous emmène sur des routes qui se situent bien au-delà de la sphère géoculturelle à laquelle ces musiciens nous avaient habitués.
Bien sûr, avec Dimitar GOUGOV, grand praticien de ce violon en forme de poire que l’on nomme gadulka, on se doute que la musique traditionnelle de Bulgarie sera certainement un port d’attache. Avec Fabien GUYOT, les pistes sont déjà moins claires, en tout cas moins irrémédiablement tracées dans un sillon traditionnel précis puisqu’il peut jouer de toutes les percussions possibles et imaginables ou au besoin en inventer à partir de n’importe quel objet ou presque. Mais on était loin d’imaginer que ces gaillards feraient route commune avec un musicien… mongol ! Et tant qu’à faire, ils ont croisé celui qu’il fallait, à savoir un musicien passé maître dans la pratique de l’instrument national mongol, le morin-khuur, violon à tête de cheval et à deux cordes, et qui a de plus une expérience notoire dans la fusion des genres (cf. son album Hoirr Öngo). Ce nomade des temps modernes n’est autre que Dandarvaanchig ENKHJARGAL, aussi connu sous le diminutif EPI.
De la Bulgarie à la Mongolie, la route a beau être soyeuse, elle est aussi longue, et les connexions d’une culture à l’autre à priori assez imperceptibles. Qu’importe, le propos des VIOLONS BARBARES n’est pas d’ordre ethnomusicologique, il relève de l’aventure sonore inédite, mariant deux violons aux timbres bien différents et une pléiade d’objets qui font du son quand on les frappe.
Il y a bien à la base du répertoire des VIOLONS BARBARES des mélodies traditionnelles, voire des reprises de morceaux trad’ bulgares (Sedenki) et mongols (Folk Melody), mais arrangées en fonction des tessitures des deux violons et des percussions, repensées de haut en bas par le trio, et augmentées de thèmes de leur cru pour aboutir à des pièces dotées d’une énergie nouvelle et d’un sens dramaturgique imprévisible (ça peut commencer tout gentiment et appuyer sans prévenir sur le champignon, comme dans Horse Galop et Makedonsko).
D’autres jouent la carte de l’apesanteur contemplative et hypnotique, comme Aav Eej, illuminé par les percussions cristallines de Fabien GUYOT et les prouesses vocales d’ENKHJARGAL, dont le chant de gorge diphonique est évidemment très sollicité dans l’esthétique sonore des VIOLONS BARBARES. Mais Dimitar GOUGOV et Fabien GUYOT savent aussi donner de la voix à l’occasion. Du reste, ce sont des polyphonies vocales qui lancent l’assaut inaugural de l’album. La première chose que l’on entend dans ce CD des VIOLONS BARBARES, ce sont des voix ! Ce n’est pas le seul paradoxe qui accueille l’auditeur, puisque Satripialo est un chant d’amour (vigoureux !) qui ne provient ni de Bulgarie, ni de Mongolie, mais de Géorgie ! On s’y reprendra donc à deux fois avant de réduire l’univers des VIOLONS BARBARES à de la « fusion bulgaro-mongole », d’autant que l’emblématique et azymuté Barbar Rock s’intitulait à la base « China Rock » !
Et l’épithète « rock » n’est pas si abusif que cela concernant les VIOLONS BARBARES, car, quand bien même ils ont fait le choix du « tout-acoustique », il y a chez eux une pulsion roborative qui devrait titiller les amateurs d’ethno-folk-rock, voire de rock tout court. Ainsi, la culture « chevelue » compte également parmi les inspirations du trio, lequel rend hommage à la « musique traditionnelle du festival de Woodstock » avec une sidérante reprise au sujet de laquelle il nous est demandé de ne surtout pas dire qu’ils la jouent en concert, « car c’est une surprise » (sic).
Mais au fond, la surprise, c’est qu’un tel trio existe et qu’il ose s’aventurer dans une voie qu’il est le premier à tracer, loin des formatages world sempiternellement ressassés. Un peu de barbarie dans ce monde aseptisé, ça ne fait vraiment pas de mal !
Stéphane Fougère
Site : https://violonsbarbares.com/