Voyage en Diphonie (un film de Jean-François CASTELL)
(Les Films du rocher / Hors-Champs/Contre-Champs /
A Propos Productions / Routes Nomades)
Inscrit sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel (PCI) de l’humanité à l’UNESCO en 2010, le « khöömii » mongol, que l’on définit par chez nous par l’expression « chant diphonique », a fait l’objet de nombreuses publications discographiques, avec en point d’orgue la publication en 2016 du coffret de 2 CD Une anthologie du khöömii mongol, à la fois somme documentaire présentant les différentes formes de pratiques du khöömii en Mongolie et outil de transmission à visée scientifique et culturelle.
Ce coffret Long Box fut l’aboutissement de six années de préparation pour l’ethnomusicologue Johanni CURTET et Nomindari SHAGDARSÜREN, fondateurs de la structure associative Routes Nomades, et sa sortie a été célébrée par une tournée exceptionnelle de douze « diphoneurs », chanteuses et musiciens mongols en France et en Suisse. Derrière ce projet, il y a une aventure humaine, une histoire de rencontres. C’est cet « envers du décor » qu’a filmé Jean-François CASTELL et qu’il expose dans son documentaire Voyage en Diphonie, fruit de trois ans de tournage et d’écriture.
Ce n’est pas la première fois que Jean-François CASTELL s’immerge dans la culture traditionnelle mongole, puisqu’il avait déjà réalisé en 2012 le documentaire Maîtres de chant diphonique, également consacré aux recherches de Johanni CURTET et à son projet de faire tourner et enregistrer quatre pointures du chant diphonique sous le nom de groupe DÖRVÖN BERKH. Voyage en Diphonie s’apparente donc à une suite, à un second chapitre des aventures de l’initiateur de Routes Nomades.
Pendant deux mois, Johani CURTET et Nomindari SHAGDARSÜREN ont servi de guides à une douzaine d’hommes et femmes mongols de plusieurs générations, chanteurs et musiciens professionnels ou simples bergers et les ont présentés sur diverses scènes ouvertes aux musiques du monde, comme l’ADEM de Genève, l’auditorium du Musée Guimet à Paris, ou encore le centre bouddhiste Karma-Ling.
Le film ne se contente pas d’aligner des extraits de concerts ; ceux-ci sont du reste courts et peu nombreux, de plus larges extraits figurent dans les bonus du DVD. C’est plutôt la tournée vécue de l’intérieur par toute cette équipe de chercheurs et d’artistes qui est au centre de Voyage en Diphonie.
Ce qui n’aurait pu être qu’un simple carnet de route anecdotique (attentes dans les aéroports, les stations, ballade sur un marché…) met en fait en abyme plusieurs perspectives narratives : la démarche ethnomusicologique de Johanni CURTET et son positionnement éthique sont éclairés par des extraits de conférences et d’entretiens donnés à des radios mongoles et occidentales ; le « mystère du khöömii » est abordé au détour d’un débat entre les musiciens, qui s’interrogent sur la nécessité de « dévoiler » leurs secrets avant de consentir à participer à des recherches scientifiques en laboratoire avec le C.N.R.S., au Gipsa-lab et au C.H.U. de Grenoble. Se faire scanner le larynx est, on le devine, une première pour ces artistes, et cela ne va pas sans quelque appréhension, ce que le film reflète avec tact.
Que les amateurs de dépaysement se rassure, Voyage en Diphonie ne reste pas cantonné aux laboratoires et aux salles de concerts européens, il expose également la splendeur et le relief des steppes mongoles, quand Johanni et Nomindari, après la sortie de leur Anthologie du khöömii mongol, entame à l’été 2017 un véritable tour de Mongolie, à la recherche des participants qu’ils ont enregistrés et auxquels ils remettent un exemplaire de leur coffret (ou à défaut à leur famille). On croise alors des diphoneurs locaux qui parlent de leur art, de leur pratique et de la relation du khöömii avec son environnement naturel, posant ainsi la problématique de sa transmission qui, de nos jours, se fait de plus en plus par le biais d’écoles, dont l’enseignement présente le risque de nivellement de la pratique du khöömii, au détriment de ses spécificités régionales (la Mongolie est un vaste territoire…).
Tout voyage a son lot de moments émotionnellement forts, Voyage en diphonie ne fait pas exception : outre les instants de partages, d’échanges, entre la tournée européenne de ces maîtres diphoneurs et le tour de Mongolie de Johanni et Nomindari, le sort a frappé : l’un des participants à l’Anthologie du khöömii mongol et aux concerts, PAPIZAN Badar, spécialiste du chant diphonique de Touva en Mongolie, a quitté ce monde. Il aura tout juste eu le temps de réaliser son rêve : faire connaître son art en Occident. Le film contient aussi une partie de son histoire, et lui est évidemment dédié (c’est lui qui figure sur la pochette du DVD).
C’est cette spirale d’éléments et d’événements humains, artistiques, culturels et scientifiques que reflète le film de Jean-François CASTELL, à la fois documentaire et épopée, que tout amateur de chant diphonique et de sa représentation se doit de découvrir. Voyage en Diphonie, ou comment l’envoûtante résonance vocale du khöömii se double d’échos existentiels…
Stéphane Fougère
Sites : https://www.facebook.com/VoyageEnDiphonie/
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