YANG – Une nature complexe (A Complex Nature)
(Cuneiform / Orkhêstra)
Si PHILHARMONIE a proféré son Dernier Mot en 1998, son mentor, le guitariste Frédéric L’ÉPÉE, malgré un accident qui a failli lui coûter une main, a continué à faire entendre ses propres cordes, même si de manière plus discrète. Outre quatre albums en solo, dont un inspiré d’une œuvre du très recommandable poète René DAUMAL (Le Mont analogue), L’ÉPÉE a poursuivi ses investigations guitaristiques au sein du Cercle de guitares de Nice, avec plusieurs de ses élèves (car il est aussi professeur de guitare) et avec le G.L.I. (Groupement de libres improvisateurs). YANG est son nouveau groupe qu’il a formé avec l’un de ses élèves les plus doués, Julien VECCHIE, le batteur Volodia BRICE, qui avait joué dans PHILHARMONIE, et le bassiste Stéphane BERTRAND.
Fondée sur des contrepoints de guitares, des allers-retours récurrents entre mélodie, modalité et dissonance, distillant « ostinati » polyphoniques entêtants pour ne pas dire hypnotiques, à l’instar de la musique de gamelan, la musique de YANG est entièrement composée par Frédéric L’ÉPÉE. Ce dernier a toutefois cherché à composer en tenant compte de la personnalité des autres musiciens, ce qui l’a obligé à travailler sur des modes mélodiques inhabituels et des rythmes complexes.
La formation, de même que la musique, voulue plus dure et incisive que celle des travaux solistes de L’ÉPÉE ou même celle de PHILHARMONIE, est évidemment de nature à titiller les papilles auditives des gourmands de « Fripperies », de « Crimsonite » et de « Guitar-Crafteries ».
Ceux-ci se régaleront sans problème de pièces comme Les Deux Mondes (un morceau qui figurait sur le CD de L’ÉPÉE, Traces), Souterrain, Le Masque rouge (cousin pas si germain de Red et autres VROOOM), ou encore Orgueil. Outre l’éternelle empreinte frippienne, on pourra déceler de-ci, de-là d’autres inspirations, réelles ou non, tel Steve HOWE (sur le plus délicat Compassion), Steve HACKETT, Pat METHENY, les pièces lorgnant soit vers le blues, le jazz (Impatience) ou le heavy sans pour autant s’y confondre, et toujours avec le souci de s’en tenir à un propos qui, fut-il « complexe de nature », est également resserré et ne cherche pas à rafler le premier prix de virtuosité acrobatique en vrille.
Nul doute que ce disque plaira à ceux qui souhaitaient voir KING CRIMSON, après Red, évoluer dans un registre plus progressif, sans surenchères mathématiques dans l’écriture, sans improvisations « projeKctales », sans équipements et sonorités électroniques et bien sûr sans bluettes « belew-isantes ». Une nature complexe donne à écouter des chansons instrumentales époustouflantes de maîtrise et qui traduisent de façon aigüe l’urgence énergétique du moment, l’album ayant été enregistré en seulement trois jours. C’est dire si le flambeau frippien est on ne peut mieux porté avec intelligence par YANG.
Stéphane Fougère
Site : http://fredericlepee.eu/
Label : www.cuneiformrecords.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°17 – avril 2005)