Yochk’o SEFFER – Chromophonie (DVD) (Musea) //
Yochk’o SEFFER – Condor (3xCD) (Musea Parallèle)
De Yochk’o SEFFER, certains continuent à ne vouloir voir que le servant de la musique zeuhl pour être passé un temps dans MAGMA (1001° Centigrades) et pour avoir formé ZAO avec Faton CAHEN. Au tournant des années 2010, le label Musea, qui est à l’origine de bon nombres de parutions d’albums du saxophoniste hongrois, a mis le paquet côté publications en différents formats (coffret CD, DVD) afin d’achever de donner une image beaucoup plus large du champ d’expression de Yochk’o en dehors des formations mythiques qui l’ont fait connaître.
Et quoi de mieux qu’un documentaire pour présenter les diverses facettes artistiques du personnage ? Réalisé par Jean-Pierre ZIRN, le DVD Chromophonie (du nom d’une collection de deux LP enregistrés par SEFFER avec le violoniste Lajos HORVATH) illustre on ne peut mieux à travers diverses séquences la fameuse maxime sefferienne selon laquelle BARTOK est son grand-père et COLTRANE son père. Comprenez par là que le saxophoniste ténor et sopranino a toujours navigué entre composition et improvisation, dans un souci de mettre en évidence un processus de transformation de la matière musicale.
Des entretiens avec Yochk’o alternent avec des sessions musicales où il joue en exclusivité avec d’autres personnalités qui ont marqué son parcours, comme le pianiste Faton CAHEN, son complice de ZAO et d’ETHNIC DUO, sa violoniste de fille Debora SEFFER, le saxophoniste Alain BOUHEY, mais aussi Christian VANDER, avec lequel il se fend d’une reprise bouillonnante d’Offering du maître COLTRANE. On a de même droit à un… solo de Didier LOCKWOOD (ben alors Yochk’o, tu laisse les gens s’installer chez toi sans rien dire ?), à un extrait d’une séance d’enregistrement avec le STRING ORCHESTRA et à un extrait d’un concert de ZAO au Triton en 2003, avec un public en transe.
La seule archive plus ancienne montre Yochk’o dans les années 1980 lors d’une performance de son « sax septuor » qui met en valeur ses fameuses « sculptophonies » évoluant entre toiles d’araignées et fumigènes, histoire de créer l’ambiance. Le documentaire révèle également le génie créatif de Yochk’o en tant qu’auteur d’œuvres picturales mi-abstraites, mi-expressionnistes et de ces instruments à vents aux formes impossibles conçus à partir de matériaux (bouteilles en plastoc) récupérés dans des poubelles !
Pour compléter ce documentaire, quelques captations supplémentaires figurent en bonus : un solo de Yochk’o au sax ténor, un duo avec Faton CAHEN (ETHNIC DUO), un morceau avec NEFFESH MUSIC, une autre pièce live de ZAO aux Tritonales et un extrait de Trabla tiré de ce concert « sculptophonique » en 1984.
Le SEFFER compositeur, improvisateur, peintre et sculpteur s’est aussi fendu en 2010 de rien moins qu’un triptyque discographique dénommé Condor, en référence à la mythologie… non pas magyare, mais inca. Chaque CD de ce coffret porte du reste le nom d’un animal sacré issu de cette mythologie : le puma pour le CD 1, l’anaconda pour le CD 2, et le condor pour le CD 3. Pour Yochk’o, il y a un lien entre ces trois imposantes bestioles et les trois degrés de l’âme exposée dans la Kabbale (qui a nourri aussi naguère les titres de ZAO), à savoir Nefes, Rouah et Neschamah. Où l’on voit que chez SEFFER, la pratique artistique se double d’une vision spirituelle.
Puma contient dix pièces jouées par Yochk’o en duo avec le batteur « JP » MOLINA, son complice dans son nouveau quartet de jazz RED MISTICUM. La formule et le son renvoient fatalement au mythique duo John COLTRANE/Rashied ALI sur Interstellar Space. Au beau milieu de ces dialogues sax/batterie sont insérés quatre titres formant la suite Triste Colère, dans laquelle le saxophoniste duettise en tout liberté et en impro totale avec l’immense contrebassiste Joëlle LEANDRE ainsi qu’avec le percussionniste François CAUSSE, qui officie uniquement sur des « poêles à frire ».
Sur Anaconda, Yochk’o SEFFER change de casquette instrumentale, s’empare exclusivement du piano et joue en duo avec Sylvain MILLER, qui s’exprime au saxophone baryton. Sur des thèmes d’inspiration hongroise revisités avec une approche jazzy, les fluides « déroulés » cuivrés de MILLER contrebalancent les phrasés plus graves et tranchants du piano sefferien.
Enfin, sur Condor, on retrouve le Yochk’o SEFFER compositeur et arrangeur : le CD ne comprend qu’une seule et même pièce, Trabla n°12, fondée sur un thème traditionnel magyar déjà honoré par BARTOK en son temps, et qui s’étale sur quasiment une demi-heure. À part François CAUSSE au steel-drums, tous les autres musiciens (une quinzaine !) officient aux saxophones, qu’ils soient soprano, sopranino, ténor, baryton ou basse. Il s’agit d’un époustouflant concerto pour cuivres, qui se distingue par ses harmonies dynamitées, sa construction… déstructurée, selon la marotte « transformatrice » du Maestro Yochk’o !
Suprême surprise en dessert, ce troisième CD comprend une piste vidéo qui permet d’écouter autant que de voir une interprétation du classique de Yochk’o intitulé Ima (morceau qu’il avait à l’origine enregistré pour NEFFESH MUSIC), dans une version 2010 qui atteint presque les 23 minutes. Ce coffret 3CD est agrémenté d’un épais livret illustré de nombreux et saisissants tableaux réalisés par Yochk’o et que l’on retrouve en images projetées dans le bonus vidéo.
Stéphane Fougère
DVD Chromophonie : www.musearecords.com
3xCD Condor : www.musearecords.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°30 – mai 2011)