Yungchen LHAMO – Coming Home

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Yungchen LHAMO – Coming Home
(Real World)

Pour avoir connu à un tel degré d’exacerbation les affres de l’exil et de la séparation, à la fois de sa famille et de son pays, le Tibet, on se demande comment la voix de Yungchen LHAMO peut encore à ce point sertir les rayons régénérants de la compassion et en propager les échos avec autant de foi dans l’âme universelle. La réponse ne peut se trouver sans l’appréhension, par tout un chacun, de la force spirituelle que véhicule le bouddhisme tibétain, auquel Yungchen a toujours rendu un large hommage.

Ceux qui l’ont écouté en concert ne peuvent que reconnaître que sa voix suave, implorante et aérienne agit comme un baume sur les âmes meurtries, et ce avec d’autant plus de force qu’elle chante généralement a capella. Son précédent album sur Real World, Tibet, Tibet, avait du reste subjugué par son épure et le parti-pris de privilégier en priorité cette dimension vocale soliste. Autant annoncer de suite la couleur : Coming Home prend une direction opposée.

Yungchen LHAMO a en effet choisi de profiter des possibilités qu’offre l’enregistrement en studio pour expérimenter avec les sons occidentaux et parer sa voix de textures instrumentales à la fois acoustiques et électriques et quelques « effets spéciaux » à base de boucles et de drones. Pareil exercice comportait des risques, mais Yungchen a crédibilisé son choix avec un certain bonheur en faisant appel à Hector ZAZOU, maître de l’ornementation ambiant et expérimentale de qualité.

Sa production rend compte d’un goût assez sûr et d’un dosage subtil des matières instrumentales offertes par les bonnes âmes de la famille Real World (David RHODES à la « guitare sauvage », Hossam RAMZY aux percussions douces, Caroline LAVELLE au violoncelle, Peter GABRIEL aux drones…) et plusieurs invités singuliers (le violoniste Richard BOURREAU de LO’JO TRIBAN, le guitariste acoustique et électrique Kent CONDON, déjà entendu sur d’autres disques de ZAZOU, le joueur de kantele Timo TROVINEN, la chanteuse trip-hop SISTER SOLEIL…).

Chansons de l’exil, mais aussi de l’espoir du retour (Coming Home dit bien ce qu’il veut dire). Yungchen en universalise la portée en usant des technologies occidentales, manière pour elle de revendiquer sa liberté et d’en appeler à la liberté pour son peuple.

Pour autant, cet album ne doit pas se confondre avec une plâtrée de new age javellisée. Certes, les premiers morceaux (Happiness is, Sky) installent un climat tout en suspension méditative, donnant la sensation d’une marche au ralenti, précieuse et précautionneuse, mais le chemin n’est pas aussi « sucré » qu’on pourrait le croire…

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La paix de l’âme et la volonté d’irradier une joie intérieure se confrontent à des sentiments plus ambigus comme la perte, la déréliction, la nostalgie, la mélancolie, notamment reflétés par le morceau Heart, dans lequel kantele et violon mêlent leurs notes et leur résonances pour former un collier d’apesanteur autour de la voix implorante de Yungchen.

Les chansons suivantes font de même preuve d’une audace créative sans précédent, comme cet hommage au Dalaï-Lama (Ngak Pai Metog) où un chœur vocal vient soutenir la voix de Yungchen en harmonie (on ne trouve pas ce genre de pratique dans la musique traditionnelle tibétaine), ou ce rêve chanté (Dream), percé de cellules vocales en écho ou « inversées », que notre Dame ne se souvient pas avoir enregistré (!), ou encore le plus rugueux Defiance, où les chants de gorge échantillonnés du groupe de Touva SHU-DE et les notes de guitare aigres et tendues de David RHODES, enrobant les complaintes de Yungchen, font littéralement froid dans le dos… Ce chant à connotation politique suggère cependant moins la colère qu’il exprime une blessure qui, compte tenu de la situation du Tibet, a du mal à se refermer.

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L’auditeur qui a pris l’habitude d’appréhender le chant tibétain sous son seul aspect « rassérénant » et de support de yoga ne trouvera peut-être pas ici le douillet coussin de méditation sonore qu’il souhaite. Coming Home est certes un album de chants abreuvés de spiritualité, mais qui n’ont rien de « fonctionnels ». La perspective de ce disque est résolument artistique, au sens plein du terme, illustrant une quête et une soif de découverte, et son écoute s’avère moins facile qu’il y paraît de prime abord. Il faut se préparer à découvrir les recoins d’une âme qui exprime à la fois ses douleurs, ses craintes, ses aspirations, ses espoirs, ses visions… C’est somme toute l’histoire d’un combat pacifiste.

Avec la spiritualité bouddhiste comme force et source d’inspiration et Hector ZAZOU comme guide artistique, Yungchen LHAMO livre avec Coming Home un album très personnel qui ne ressemble à rien de ce que les bacs « Tibet » des disquaires nous avaient habitués à écouter. Le pèlerinage spirituel qu’il illustre emprunte des sentiers un tant soi peu inattendus, mais néanmoins « ascendants ».

Stéphane Fougère

Site : ww.yungchenlhamo.com

Label : https://realworldrecords.com/artist/543/yungchen-lhamo/

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°3 – octobre 1998
et remaniée en 2018)

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