AKSAK MABOUL – Onze Danses pour combattre la migraine
(Crammed)
C’était en 1977 : le « no-futurisme » battait son plein, et Marc HOLLANDER, futur directeur du label belge Crammed, secondé par le non moins multi-instrumentiste Vincent KENIS, futur producteur de la plupart des disques Crammed, ouvrait avec le premier album d’AKSAK MABOUL la voie au mélange des genres et des cultures, bref à ce qui a été depuis nommé la « sono mondiale ».
L’air de rien, sans programme de vol vraiment préétabli, avec peu de technique musicale mais avec une curiosité immense pour les sons et les mélodies du monde et une tendance « touche-à-tout » (orgue Farsifa, clarinette, piano, boîte à rythmes, saxophone, Fender Rhodes, xylophone, mandoline, dumbek, flûte, darbouka…), Marc HOLLANDER et Vincent KENIS ont construit de façon minimale un cirque sonore dantesque composé de sketches et de pochades bariolées.
Leur univers était nourri de références, pas nécessairement conscientes, à Erik SATIE, Duke ELLINGTON, Nino ROTA, Robert WYATT, empruntant aux folklores balkanique et tsigane, aux rythmiques berbères ou aux chants pygmées, saluant au passage KRAFTWERK, le jazz-fusion, le minimalisme, la musique classique et contemporaine, et allant jusqu’à initier les antiennes de la future techno de Detroit, le tout avec une naïveté, une spontanéité et une absence de prétention tout bonnement surréelles ! Tout sonne faux, ou bien fauché, et pourtant… quel sens du décor dans ces voyages que nous font faire ces Onze Danses, curieusement découpées en dix-sept pistes…
À l’époque, AKSAK MABOUL n’était qu’un binôme, mais déjà l’esprit auberge s’y manifestait : ici un violoniste (Jeannot GILLIS), ici un saxophoniste (Lee SCHLOSS), ici un vclaviériste-saxophoniste (Chris JORIS), ici un guitariste (Paolo RADONI) et plusieurs chanteuses, dont une certaine Catherine JAUNIAUX, mais aussi Lucy GRAUMAN, Ilona CHALE, sans oublier Juliette, une gamine déjà très au courant de la logique consumériste… On a même droit en prime à une prise live sur le tard (Mastoul One Year Later, qui ne figurait pas sur l’édition LP originale publiée en 1977 sur Kamikaze mais qui avait été ajoutée dans la réédition LP de 1981 sur Crammed) qui voit AKSAK MABOUL évoluer en quintet avec que des célébrités des musiques nouvelles européennes telles que Michel BERCKMANS, Geoff LEIGH et Denis VAN HECKE.
La suite, on la connaît avec le second album, Un peu de l’âme des bandits, nettement plus dense et complexe que ce premier opus (avec FRITH et CUTLER dans les parages, il fallait s’y attendre). Ces Onze Danses pour combattre la migraine n’ont certes pas encore tous les éléments requis pour devenir une parfaite référence d’un certain Rock in Opposition, comme son successeur le sera, mais il est assurément une perle prémonitoire de tout un pan des nouvelles musiques européennes, que le catalogue du label Crammed couvrira évidemment peu après. AKSAK MABOUL n’était pas encore « en opposition », mais assurément déjà « en projection ».
Inventif, visionnaire, espiègle, lunatique, troublant, ce disque offre un spectre d’impressions particulièrement vaste et consistant. C’est un laboratoire musical qui aère la tête plus qu’il ne la prend. Demandez donc à KLIMPEREI ou à TOUPIDEK LIMONADE ce qu’ils doivent en penser…
Stéphane Fougère
PS : Le tableau qui figure sur la couverture est en fait l’illustration qui a servi pour la réédition LP de 1981 sur Crammed. Il est toutefois dommage que le livret ne reproduise pas l’illustration de pochette de la toute première édition en LP sur Kamikaze en 1977 qui était notoirement différente.
Label : http://crammed.be/
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°14 – décembre 2003)