Albert MARCŒUR & LE QUATUOR BÉLA – Si oui, oui. Sinon, non
(Béla Label / Label Frères)
Cette galette-là, ça faisait un moment qu’on l’attendait… inexorablement ! Ce faisant, on était dans une situation très marcœurienne (remember L’Inexorable Attente, dans l’album L’Apostrophe ?). On ne pouvait que l’attendre parce que mine de rien, ça faisait depuis 2012 qu’il tournait ici et là avec son nouveau spectacle, dont on savait, ou dont on se doutait, qu’il allait être consigné, gravé sur un CD. Et puis, à un moment, on a fini par se demander si ça valait le coup de continuer à attendre. Le fallait-il ? « Si oui, oui. Sinon, non », s’entendait-on répondre. Bien évidemment… Il ne pouvait en être autrement !
Alors on attendait et, en attendant, on se savait sur le bon chemin… mais on n’était pas encore rendus ! Cette fois, c’est tout bon, le MARCŒUR nouveau est arrivé ! Pas seul, non. Mais pas entouré par pléthore non plus. Avec le temps, on finit pas savoir voyager plus léger. Exit donc le « MARCŒUR BAND », mais « welcome back » le QUATUOR BÉLA, déjà présent lors des Travaux pratiques. Et justement, un quatuor, c’est plus pratique et plus léger à se trimballer qu’un groupe de rock. Et ça réduit la note d’électricité. Le Quatuor et l’Albert allaient-ils pouvoir travailler ensemble, sans électricité ? Si oui, oui. Sinon, non. Il n’y avait pas d’alternative. Nous y voilà.
Avec un seul quatuor pour tout accompagnement, la musique de l’Albert est-elle plus dépouillée ? En un sens, oui. Mais en fait, non. Avec nuance, profondeur, raffinement, audace et retenue, BÉLA fait bloc. BÉLA, pas toc ! Il a plus d’un tour dans ses cordes, là où l’Albert n’a pas sa langue dans sa poche. Tous deux – ou tous cinq, c’est selon – ils ne sont pas du genre à le crier sur les toits. Alors ils le disent en douceur, avec cette sorte de suavité acariâtre, cette rondeur désespérée, cette élégance fataliste, cette délicatesse grinçante, ces quintes essentielles…
Par murmures crispés, par marmonnages acérés, par gémissements péremptoires, par embardées saccadées, par éclats étouffés, le MARCŒUR cerne les risibilités de l’existence au quotidien : les expressions de langage toutes faites qui, mises bout à bout, ne font que remplir leur vacuité (Pirouettes pour des prunes), les encombrements tout aussi vains provoqués par Les Valises à roulettes, les ruées vers le Havre pour voir l’Éclipse que tout le monde verra… à la télé, les produits ménagers qui créent des besoins (Entretien), les Mouches qui vrillent, qui loopent, qui rasent et qui s’écrasent… de l’enculage de mouches tout ça, mais qui prend une place follement aberrante dans nos vies trop petites ! Mêmes les fins de vie en deviennent touchantes à force d’être oubliées (Les Deux Petits Vieux)… Et à l’autre bout de la vie, donc à l’envers du temps, il y a ceux qui arpentent les Chemins de l’école, sur lesquels l’Albert et le BÉLA devisent en privé sur la laïcité, méritant un triple ban du public…
Les mots de MARCŒUR font toujours mouche (encore une ?), mais même ceux qu’ils empruntent occasionnellement à d’autres sonnent étrangement comme du MARCŒUR, comme ce témoignage, palpitant de pathétique, d’un ancien tubiste de la Fanfare des Laumes : « On ne peut plus défiler à cinq », dit-il. Mais pourtant, à cinq, l’Albert et le BÉLA en font défiler de belles ! Quitte là aussi à emprunter, musicalement, à d’autres. (Souvenez-vous, MARCŒUR est Emprunteur, il n’a pas dit le contraire… )
Et quand le MARCŒUR se passe de mots, on l’écoute jouer… de la table, pendant que le QUATUOR distribue les cartes ! Albert qui fut batteur joue maintenant de la table « fait maison », dont il use comme d’un kit de toms, tandis que BÉLA s’immisce, d’abord par intermittence, puis à temps complet, enfilant cette Combinaison bi-polaire comme deux qui feraient la paire… ou pas.
Et puis tout de même, il y a cette contribution iconographique, pour le livret et sa couverture, de PLONK et REPLONK, si adéquate dans sa verve cocassement surannée. Pensez donc, ils ont même pensé à illustrer le vide sémantique des Pirouettes pour des prunes avec une « machine à reboucher les trous » ! Délicate attention… Car chez MARCŒUR, même les trous sont plein de sens, de même que les respirations chez BÉLA, tout comme leur alchimie harmonique s’échafaude sur des interstices, dans lesquels les suspensions viennent à point… et créent des liens. Passer de l’Éclipse à la Combinaison bi-polaire, ça ne se fait pas en une pirouette, mais ça roule encore mieux que des valises ! Et le tout brille de cette fantaisie pincée, d’une poésie du peu qui devient un tout.
Des albums comme celui-ci, on en voudrait des camions. Mais c’est aussi leur sporadicité qui font leur valeur. Si MARCŒUR prend son temps pour les faire, c’est parce que ses opus doivent illuminer leur auditoire. « Faire briller dedans. Pour oublier que dehors, c’est pas brillant ! » Pari tenu. Tenue (in)correcte exigée. De l’exigence de la légèreté. Du poids de la fugacité. De la subtilité de la trivialité. Du sérieux de l’absurdité. Le monde n’est jamais aussi émouvant que lorsqu’il roule de traviole… et qu’il est souligné au MARCŒUR.
Stéphane Fougère
Sites : www.marcoeur.com
Chouette ou pas, c’est le regard émerveillé qui me guide ici dans l’actualité … bravo par deux
Zap-Pascal