AUSTER LOO – Collective

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AUSTER LOO – Collective
(Igloo Records)

Quand des flûtes, des percussions, une kora, un koto, un piano, une contrebasse, un setar, des voix, et encore des percussions prennent la route ensemble à la recherche d’horizons musicaux inexplorés, on se dit qu’on doit avoir à faire à une sacrée communauté de musiciens ! Au vu d’une telle instrumentation, on se demande : « Mais combien sont-ils donc ? Une douzaine, une quinzaine ? » Pas tant que ça… À la base, AUSTER LOO n’était qu’un duo, qui a eu envie chemin faisant de la jouer « collectif » et a rencontré des musiciens d’horizons différents qu’ils ont emporté dans leur aventure aux confins des musiques acoustiques et improvisées en Belgique. De fait, ils étaient deux, ils ne furent plus que huit ! Il n’empêche : par les temps qui courent, emmener un octet sur les routes et lui faire enregistrer un disque, ça ne doit pas être commode, au moins financièrement parlant. C’est pourquoi l’existence d’un AUSTER LOO « COLLECTIVE » mérite qu’on y attarde ses oreilles si on a l’âme un tant soi peu voyageuse.

C’est suite à une expédition musicale au Maroc en 2014 que s’est formé le duo AUSTER LOO, créé par Simon LELEUX, réputé pour sa maîtrise des percussions arabes et moyen-orientales comme le bendir, l’udu, la darbouka, et surtout de sa variante basse, le doholla, qu’il pratique avec Yildirim LEVENT (à qui il a dédié son album solo Letter to Levent en 2021) et par Lydie THONNARD, qui pour sa part souffle dans des flûtes basse, alto, en ut ou dans un piccolo.

Forts de leur passion commune pour le rythme et l’improvisation, tous deux ont cherché leur inspiration en se mettant à l’écoute de ce qui se faisait ailleurs, loin, et ont enregistré un premier album paru en 2016, Rhythm & Breath, composé de dialogues nourris entre la flûte et la darbouka, avec déjà quelques invités. Désireux d’élargir le cadre de leurs propositions musicales, Simon LELEUX et Lydie THONNARD ont chemin faisant transformé leur duo en un groupe de huit musiciens avec lesquels ils ont enregistré le bien-nommé album Collective, qui est peu ou prou devenu le nom du groupe.

Aux côtés de la flûtiste et du percussionniste qui forment son noyau dur, l’AUSTER LOO COLLECTIVE accueille le chanteur iranien Shahab AZINMEHR, qui s’avère être également un virtuose du târ (un luth à manche long) et du setâr (un autre luth à manche long) formé auprès de Mohammad MUSAVI et Dariush TALÂ’I ; le griot mandingue Bao SISSOKO, réputé pour être un virtuose de la kora ; la joueuse de koto Aki SATO, « maître certifié » de l’École Ikuta et également virtuose du shamisen qui a notamment reçu l’enseignement du « trésor national vivant » HATSUKO Kikuhara ; le contrebassiste Vincent NOIRET, qui s’est notamment illustré dans le groupe belgo-galicien IALMA ou auprès de Ghalia BENALI et de Luc PILARTZ et Nicolas HAUZEUR ; le pianiste Célestin MASSOT, qui a pris part à de nombreux projets allant du jazz à la musique contemporaine ou cubaine et qui a déjà joué avec Simon LELEUX dans son autre groupe HANDS IN MOTION, devenu SPËCHT ; et le percussionniste mexicain Osvaldo HERNANDEZ NAPOLES, grand collectionneur d’instruments traditionnels d’Amérique latine qui s’est investi dans moult créations et groupes (le Karim BAGGILI QUARTET, CAÇAMBA…) et qui a enregistré trois disques pour homerecords.

Simon et Lydie n’ont pas eu à chercher vraiment loin pour trouver ces artistes accomplis, vu qu’ils résident tous en Belgique, mais leurs bagages culturels les ont assurément mener loin sur la route buissonnière des langages musicaux à inventer. Ainsi AUSTER LOO COLLECTIVE a-t-il créé le sien à partir des cordes, des peaux, des vents et des touches mis à disposition par chacune et chacun de ses membres… et aussi en tirant parti d’une certaine propension à l’exploration sonore partagée par tous.

Par conséquent, il ne serait pas juste de définir AUSTER LOO COLLECTIVE comme un étal(age) de plusieurs cultures, car ses instruments (y compris les voix) sont ici joués « hors cadre » et n’ont pas pour objectif de représenter une tradition. Ils en véhiculent néanmoins les fragrances, les teintes, les subtilités, les raffinements, les lignes sinueuses, les sèves énergétiques émanant de leurs racines, et les mettent au profit d’un récit poly-linguistique en huit parties aux rebondissements constants, aux croisements imprévisibles, aux alliances inattendues, aux écoutes mutualisées, aux ententes plus que cordiales…

Collective n’est ainsi constitué que de compositions de Simon LELEUX, hormis une reprise d’un morceau traditionnel japonais dûment réarrangé à la sauce « auster-looienne ». Nous sommes donc en présence d’une Terra Incognita aux résonances profondes.

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Qui eut imaginé entendre une flûte, un piano et une contrebasse baguenauder nonchalamment sur un tapis de percussions orientales et s’arrêter pour écouter l’élégie mélancolique d’une voix et d’un luth persans ; une kora ponctuant de ses notes vibrantes une voix occidentale tournée un peu plus à l’est ; une voix mexicaine bercée par un koto ; une doholla servir de rampe de lancement à une flûte mise sur orbite ; un piano projeter ses vagues (à l’âme?) sur des cliquetis malicieux ; l’archet d’une contrebasse s’immiscer dans les notes claudicantes d’un koto ; un shamisen avancer en mode chaviré sur de sentencieuses frappes de gong ?

Ainsi des compositions comme Mueo, Jeegee, Senna, Aruna étirent-elles généreusement leurs paysages oniriques et émouvants, tandis que Myo, Kali, Iris et la coda de Senna cultivent une veine plus sanguine et extatique en faisant résonner haut, fort et vite les frappes percussives et les envolées de flûte sur des lignes obsessionnelles de piano, de contrebasse ou de kora. Mais les changements de vitesse et de climats s’observent aussi dans une seule et même pièce, faisant prendre à l’auditeur une route semée sinon d’embûches, au moins de surprises jubilatoires.

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Il y a des disques qui font parcourir le monde ; celui-ci combine et entrelace plusieurs mondes pour en inventer un nouveau. AUSTER LOO COLLECTIVE ne trahit cependant pas les mémoires de ces mondes, il en décuple les facultés visionnaires.

Stéphane Fougère

Site : www.austerloo.com/

Page label : https://www.igloorecords.be/album/auster-loo-ananta/

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