BAKA BEYOND
Les Esprits de la forêt équatoriale et leurs échos celtes
Il y en a pour qui la « fusion globale » n’est qu’un concept ou un simple assemblage d’échantillons sonores ethnisants ; le groupe BAKA BEYOND en a fait un art de vivre. Pionnier d’un métissage musical afro-celtique sans machines ni programmations, nourri à la fois aux rythmes de la forêt équatoriale et aux résonances de l’âme gaélique, BAKA BEYOND est aussi un groupe de scène revigorant dont les performances sont une fête pour les yeux, les jambes et les oreilles, comme a pu le remarquer pour la première fois le public du Festival interceltique de Lorient en août 2005.
La formation comprend des musiciens anglais, bretons et africains, et a façonné son identité sonore en s’inspirant plus particulièrement des chants et des rythmes traditionnels des pygmées Baka, qui vivent dans les espaces forestiers du Cameroun. Le guitariste anglais Martin CRADICK et sa femme Su HART, chanteuse et danseuse, tous deux fondateurs de BAKA BEYOND en 1992, ont été littéralement envoûtés par la culture des Baka et ont contribué à la faire connaître par le biais des disques et des concerts du groupe ainsi que par la réalisation d’enregistrements de musique traditionnelle baka.
En retour, les Anglais ont aidé les Baka à améliorer leurs conditions de vie menacées par les exploitations industrielles de la région via une association humanitaire et culturelle. La relation entre les Baka et les membres de BAKA BEYOND n’a cessé de se consolider depuis maintenant treize ans, les premiers contribuant même directement aux enregistrements du groupe, comme en témoigne le dernier album en date, The Rhythm Tree. C’est cette passionnante aventure que nous vous proposons de retracer avec Martin CRADICK, rencontré lors du passage de BAKA BEYOND au Festival interceltique de Lorient en 2005.
Baka Before
La musique africaine, Martin CRADICK n’est pas né dedans ; il y est venu par un cheminement assez sinueux. « J’ai un peu fait partie d’une sorte de groupe de folk anglais », reconnaît-il. « J’y suis venu à travers le rock et la musique improvisée. J’ai rencontré des musiciens folk du temps où je vivais à Oxford. En fait, j’ai un passé musical plutôt étrange. J’ai appris la guitare classique, mes parents n’écoutaient jamais de musique, sauf peut-être des chants de Noël pendant la période de Noël ! J’ai joué un peu de blues, un peu de celtique, un peu d’africain… J’ai découvert comme ça différentes musiques, mais j’ai senti que la musique africaine me convenait davantage, j’ai aimé cette façon de travailler de manière collective, tout en syncopes, tous ces gens faisant des choses relativement simples mais qui collaient bien ensemble… J’ai vraiment aimé cela. »
Cette passion pour la musique africaine a conduit Martin CRADICK à créer à la fin des années 1980 l’un des premiers groupes de « fusion world », le groupe OUTBACK, comprenant à la base une guitare et un didgeridoo, en compagnie de Graham WIGGINS, futur créateur du groupe Dr. DIDJ. Détail intéressant, le premier disque d’OUTBACK contient les prémices d’un métissage afro-celtique.
« Je me souviens qu’on avait fait une version d’un traditionnel breton, An Dro Nevez, avec des percussions africaines. C’était en 1988… Donc, déjà à cette époque, on mêlait rythmes africains et musique celtique. »
Et pour couronner le tout, l’album s’intitule Baka ! Ce n’est évidemment pas une coïncidence puisqu’à cette époque Martin CRADICK a déjà rencontré, au moins par procuration, la musique des pygmées Baka : « La première étincelle a eu lieu en 1989 », se souvient-il. « Il y avait une émission de télé sur Channel 4, un documentaire en deux parties sur les Baka réalisé par un type nommé Phil AGLAND. J’étais en train de regarder ça et j’ai été littéralement transporté par la musique, dans le sens où on voyait quelqu’un jouer d’un petit instrument et tout le monde se laissait emporter doucement dans la musique, jusqu’à ce que le village entier se mette à chanter ou à battre des mains. Je me suis dit qu’il fallait que j’aille là-bas. Ce n’était évidemment qu’un rêve… En même temps, j’ai pris ma guitare, et j’ai écrit un riff qui est devenu le morceau Baka, inclus dans l’album du même nom du groupe OUTBACK ; c’était en 1990. »
L’ Appel de la forêt
Dans les deux années qui suivirent, une série de coïncidences eurent un impact déterminant qui pousseront CRADICK à franchir le pas et à découvrir « in situ » la culture baka :
« J’ai d’abord rencontré un étudiant anthropologue qui s’occupait d’un »workshop » de percussions. Il avait une petite percussion intéressante qui lui avait été donnée par des Pygmées. De son côté, ma femme, Su, a appris qu’une bourse d’études était allouée par le Pitts River Museum d’Oxford pour les gens désireux d’étudier les Pygmées ou les Bushmen. On leur a écrit en leur disant que nous n’étions pas anthropologues mais que nous possédions des facultés de communication non verbales, que nous avions auparavant joué de la musique avec des Berbères, que nous étions aller jouer dans les Andes, en Amérique du Sud… Et ils nous ont payé pour partir ! »
Durant son premier séjour chez les Baka, de janvier à mars 1992, Martin CRADICK effectue de nombreux enregistrements de la musique jouée par ce peuple. Couplés avec ceux que Jeremy AVIS a réalisés en 1990, ses enregistrements de terrain forment le contenu du disque Heart of the Forest, qui est assurément le premier CD entièrement consacré à la musique baka. La culture musicale baka est avant tout une culture de l’oreille et du son. Dans la forêt africaine équatoriale, la vision est en effet souvent occultée par la densité et la luxuriance du paysage, au profit de l’ouïe, qui devient le sens prédominant. Pour se repérer en forêt, il est important d’être à son écoute : le flot d’une rivière, le chant d’un volatile, un cri, une voix au loin ont ni plus ni moins fonction de borne kilométrique. Cette nécessité de repérage par le son a engendré chez les Baka une prédisposition à l’écoute de premier ordre.
On peut distinguer trois aspects de musique baka : la musique rituelle, la musique « éducative » et la musique faite pour le plaisir. C’est à la première catégorie que renvoient ces styles de chant si particuliers aux Baka, sorte de « yodels forestiers » que l’on appelle « yelli » ou encore « abale », à travers lequel les Baka, les femmes surtout, communiquent avec les esprits protecteurs de la forêt, avant l’aurore, de manière à s’assurer par exemple que la chasse – effectuée par les hommes – sera bonne.
Polyphonies vocales et polyrythmies manuelles et percussives sont donc à l’honneur sur ce CD, mais les enregistrements de CRADICK et d’AVIS accordent également une grande place à la musique instrumentale, caractérisée par l’utilisation d’instruments à cordes tels que le ngombi na péké, le ieta, le limbindi, l’an g’bendi et bien entendu les percussions, notamment les tambours à eau.
La musique accompagne bon nombre d’activités chez les Baka, elle est aussi par conséquent un formidable vecteur de cohésion, de rassemblement et l’esprit de collectivité y prédomine. On travaille ensemble, on joue ensemble, on chante ensemble, on danse ensemble… Ce n’est pas un hasard si, chez les Baka, le même mot, « bé », désigne à la fois le chant et la danse… Heart of the Forest offre un large choix d’harmonies polyphoniques et de variations mélodiques et rythmiques prises sur le vif, avec en accompagnement obligé le chant des insectes…
Toute la grammaire musicale et vocale qui a inspiré BAKA BEYOND est soigneusement reproduite, détaillée et pertinemment commentée. C’est à la fois un formidable recueil ethnomusicologique digne des productions Ocora ou Folkways ainsi qu’un formidable continuum d’ambiances diurnes et nocturnes typiquement équatoriales. Et pour la petite histoire, les fonds récoltés par la vente de ce disque sont entièrement reversés aux Baka, comme il se doit…
Les Échos de la forêt
Loin de se contenter de jouer les collecteurs de documents sonores durant son séjour chez les pygmées Baka, Martin CRADICK, muni de ses seules guitare et mandoline, a aussi « jammé » avec eux.
« Nous avons joué beaucoup de musique. Il y avait quelques musiciens qui savaient très bien jouer de la guitare, et qui avaient appris auprès des villageois ou en écoutant les archives de la radio congolaise. J’ai donc appris ce que l’on pourrait appeler le »style congolais » en écoutant jouer les Pygmées à la radio congolaise. Et depuis, je me suis rendu compte que certains musiciens de là-bas ont été quelque peu influencé par mon style de jeu. Nous nous sommes en quelque sorte appris mutuellement des choses…
« Je me rappelle d’un docteur au Cameroun qui avait rencontré un pygmée lui ayant parlé d’un homme blanc qui lui avait appris à jouer de la guitare. J’ai d’abord pensé que j’avais appris à jouer ce style de guitare auprès de ce type dont il parlait, avant de réaliser qu’il parlait en fait de moi ! (rires) En fait, il pensait l’avoir appris de moi ! Les deux versions sont probablement vraies… »
Ces sessions « interculturelles » ont motivé la création de ce qui est devenu le premier disque sous le nom BAKA BEYOND, Spirit of the Forest. Les huit pièces qui le composent sont inspirées par l’écoute de la musique des Baka, notamment par le son du limbidi, cet archet musical qui a particulièrement attiré Martin CRADICK, ou ont été développées consécutivement à ces sessions durant lesquelles Martin a joué et composé avec les Baka. On trouve notamment une nouvelle version du morceau Baka, déjà enregistré sur le disque du même nom du groupe OUTBACK, mais ici joué avec les Baka (sous le titre Baka Play Baka). D’autres pièces encore sont des arrangements de chansons traditionnelles baka. Dans toutes ses compositions, Martin CRADICK a cherché à traduire l’esprit de partage qui a régné durant ses sessions avec les Baka. Il a préservé notamment leurs motifs de percussions et quelques-uns de leurs chants yelli et a ajouté ses mélodies de guitare et de mandoline.
« En fait, il n’y avait pas encore de groupe à l’époque où a été enregistré Spirit of the Forest », reconnaît Martin CRADICK. « Ce disque a vraiment été enregistré dans la chambre qui nous servait de studio. Ce disque, c’est moi qui l’ai enregistré, et j’ai demandé à Su, ma femme, de chanter dessus et à Paddy LE MERCIER de jouer du violon dessus. » Le Breton Paddy LE MERCIER (ancien membre de MALICORNE) est en effet un complice de longue date puisqu’il a également participé à OUTBACK. Ses soli au violon et à la flûte dans Spirit of the Forest, mariés aux grisantes notes de guitare de Martin CRADICK et au chant moelleux de Su HART, engendrent des climats capiteux que viennent secouer les rythmes syncopés et les curieux instruments à cordes des Baka.
Combinant composition contemporaine et répertoire traditionnel, instrumentation occidentale et sonorités « locales », cet opus séminal, même s’il n’est pas encore conçu comme une œuvre de groupe, inaugure parfaitement la démarche de BAKA BEYOND et est un des plus brillants exemples de fusion « cross-culturelle » intelligente doublé d’une remarquable production.
Un cœur pour les Baka
Les deux albums, Heart of the Forest et Spirit of the Forest, s’étant honorablement bien vendus, notamment en Amérique, Martin CRADICK et Su HART n’ont pas tardé à fonder une œuvre de charité. Baptisée Global Music Exchange, elle est vouée à récolter l’argent qui était dû aux Baka du fait de leurs participations et compositions à ces deux disques, et bien sûr à leur restituer ces fonds, en tant que propriétaires de cette musique, de manière qu’ils puissent profiter du produit de ces ventes. Martin et Su sont ainsi retournés plusieurs fois dans la forêt sud-camerounaise pour distribuer ces fonds sous forme d’outils divers, de vêtements, et même des cartes d’identité, bref autant d’objets de première nécessité susceptibles d’aider le peuple baka à s’accommoder aux mutations de leur environnement naturel auxquelles il est de plus en plus confronté.
Le Global Music Exchange – également baptisé One Heart par les femmes baka – a ainsi permis la réalisation de plusieurs projets, décidés par les Baka eux-mêmes, comme la création d’un centre médical et d’une association visant à donner une reconnaissance légale aux Baka. Au Cameroun, la forêt est devenue la cible privilégiée des exploitants industriels, et les fermiers « bantous » de la région se sont progressivement détournés de leur ancien mode de vie et de pensée, au point que la position de médiateurs avec la forêt qu’occupaient les Baka n’a plus été reconnue et appréciée en tant que telle, et que ces derniers ont été relégués au rang de citoyens de basse catégorie, à peine plus considérés que les animaux…
Le seul domaine dans lequel les Baka sont encore respectés reste la musique. C’est pourquoi ils ont demandé en 2000 que Global Music Exchange les aide à construire une « Maison de Musique » (Music House). Martin CRADICK a ainsi réquisitionné un ami architecte qui, avec les outils fournis par l’œuvre de charité, a appris aux Baka et aux Bantous les rudiments de la construction en bois. La Maison de Musique a ainsi été construite au sein même d’un arbre gigantesque et peut se targuer d’être dans cette région de l’Afrique le premier bâtiment créé par une communauté dite indigène qui en est aussi propriétaire.
Au-delà de la récompense financière qu’elle représente, cette Maison de Musique est aussi un espace de rencontre associatif et une vitrine culturelle qui a contribué à rendre aux Baka, sur le sol camerounais et même au-delà, la considération qui leur faisait défaut. Peu à peu, les Baka regagnent le respect de leur voisinage, et surtout des autorités camerounaises.
Martin CRADICK : « J’ai déjà obtenu que les Baka puissent jouer à Yaoundé, la capitale du Cameroun, l’année dernière. On a joué dans les jardins de la résidence du Consulat anglais. C’était très bon pour eux politiquement, les gens ont pu se rendre compte qu’ils étaient civilisés et que le fait qu’ils habitent en forêt ne font pas d’eux des animaux, que ce sont des citoyens camerounais comme les autres, pas seulement des »indigènes » de la forêt mais des êtres humains.
« De plus, nous étudions la possibilité de faire venir jouer les Baka en Europe. Ça pourrait se faire l’année prochaine. Ce n’est pas une mince affaire de régler pareille entreprise, mais il y a des chances. »
De la forêt équatoriale aux landes celtiques
Le disque Spirit of the Forest a beau avoir été une réussite tant sous l’aspect musical qu’en termes de travail de studio, Martin CRADICK a très vite (soit au bout d’un concert) abandonné l’idée de reproduire sur scène les enregistrements de l’album avec des bandes pré-enregistrées et des programmations rythmiques. « Dès lors qu’il a été question de répéter en vue d’un concert, j’ai dû créer un groupe pour pouvoir jouer ce disque en live, » déclare Martin CRADICK. « Il a fallu un moment avant de trouver les bons musiciens, ceux avec lesquels ça fonctionne vraiment bien. »
BAKA BEYOND est ainsi devenu une véritable communauté transculturelle, incluant, outre des Anglais (Martin CRADICK, Su HART, mais aussi la chanteuse Denise ROWE, récemment intégrée au groupe, le batteur Tim ROBINSON et, pendant un temps, le piper Alan BURTON), des musiciens du Cameroun (le bassiste Sam DJENGUE), du Sénégal (le percussionniste et joueur de kora Seckou KEITA), de la Sierra Leone (le percussionniste Ayodele SCOTT), du Ghana (le percussionniste et joueur de balafon Nii TAGOE) et… de Bretagne (le violoniste et sonneur Paddy LEMERCIER).
Chacun a intégré ses influences et son talent pour créer un processus musical essentiellement collectif dans lequel chacun est à l’écoute de l’autre, selon une leçon de vie apprise des pygmées baka. Ainsi les mélodies et les rythmiques africaines ont-elle trouvé leur chemin dans l’espace musical des musiciens européens, aux racines surtout celtiques.
Martin CRADICK : « Les musiciens africains qui font partie du groupe actuellement vivent en Angleterre, mais ont surtout joué dans des groupes africains. Je pense que la musique celtique est une chose vraiment nouvelle pour eux. »
À priori saugrenues, les connexions entre la tradition celtique et le matériau sonore des Baka ne se sont pas avérées si imaginaires qu’elles pouvaient paraître.
« Il y a plein de liens rythmiques », affirme Martin CRADICK. « Et il y a aussi des liens en ce qui concerne la nature même de ces musiques. Elles sont toutes deux liées à la célébration, à la danse. On est tous humains, on a tous deux jambes, donc on est tous susceptibles d’être sensibles à l’appel de la danse… En fait, dans toute culture il y a des similarités avec d’autres cultures, et aussi des différences. Et il est clair que si on se concentre sur les différences il sera très difficile de mélanger les cultures. Ou bien on se concentre sur les similitudes, et alors il y a moins de problèmes. »
Singulièrement, le chant caractéristique des pygmées Baka, le yelli – un élément de premier ordre dans la musique de BAKA BEYOND – a, en tant que son rythmique incorporable à d’autres rythmes, une équivalence celtique.
Martin CRADICK : « Il est intéressant de noter que nombres de chants gaéliques, notamment les »waulking songs » (NDLR : dans la tradition écossaise, chants de travail des femmes interprétés notamment pendant le foulage du tweed), n’utilisent pas de mots, juste des sons vocaux, des vocalisations, et c’est ce que font également les Baka. »
La rythmicité du matériau purement vocal serait donc mise en valeur d’une manière similaire dans la culture baka et dans la tradition gaélique.
« C’est le principe de la »mouth music » », rappelle Su HART. « À l’époque où les Anglais ont interdit aux Écossais de jouer leur musique et leurs instruments, ces derniers ont créé des chants dans lesquels ils »reproduisaient » en quelque sorte le son de leurs instruments, comme le bagpipe. Bon nombre de waulking songs ont des refrains, la majorité ont cet aspect purement vocal, choral, avec ces phrases répétitives qui n’ont pas de sens. Cela dit, il peut y avoir des couplets qui racontent des histoires. »
Martin CRADICK : « Et c’est précisément ce que font les Baka avec leurs narrations d’histoires, dans lesquelles ils ont des refrains et le chanteur principal fait des couplets improvisés. La dernière fois que j’y suis allé, j’ai rencontré un musicien qui jouait de cet instrument nommé »ieta » (sorte de petite harpe à sept cordes). Je ne l’avais jamais rencontré avant, mais il était aussi un excellent conteur d’histoires, parce que tout le monde se joignait à lui pour chanter les refrains et, entre deux refrains, il partait dans d’hallucinants couplets improvisés auxquels je ne comprenais rien. »
Selon Su HART, « il y a aussi une similitude dans la façon dont les morceaux vont »de haut en bas », que ce soit dans les chansons gaéliques que l’on joue comme dans celles des Baka. Les mélodies jouent au yoyo, comme une sorte de »yodling », dans les deux traditions. »
L’Arbre à musique
Douze ans après la publication de son premier opus, Spirit of the Forest, BAKA BEYOND est devenu un groupe à l’identité sonore unique et qui n’a eu de cesse de se peaufiner, prenant constamment appui sur l’héritage gaélique de ses membres européens et s’inspirant bien entendu des chants et des rythmes baka.
Au fil du temps et des albums, d’autres influences et sonorités apportées par les membres africains du groupe ont été digérées, faisant valoir des affinités notamment rythmiques entre des cultures différentes. Les visites régulières que Martin CRADICK et Su HART ont rendu aux Baka du Cameroun ont permis de consolider une relation amicale réciproque et de soutenir différents projets avec l’œuvre de charité Global Music Exchange, à commencer par la Maison de Musique, édifiée dans un arbre. C’est elle qui est cœur du sixième album de BAKA BEYOND, précisément nommé Rhythm Tree.
Depuis longtemps, Martin CRADICK rêvait de pouvoir enregistrer les Baka en forêt à l’aide d’un système multipiste. Les progrès de la technologie et les possibilités offertes par la Maison de Musique aidant, le rêve s’est finalement réalisé et ce nouveau disque en est la résultante. Muni d’un multipiste, d’un panneau à énergie solaire et de piles, CRADICK a pu enregistrer les Baka dans des conditions live. La pièce Kobo est la première à avoir été enregistrée dans ces conditions et montre au passage les talents que les Baka ont développés à la guitare.
Boulez Boulez est de même directement lié à la construction de la Maison de Musique puisqu’il a en quelque sorte servi d’hymne. C’est le premier morceau de guitare pour lequel les Baka se sont inspirés de leurs propres rythmiques, notamment celles sous-jacentes au chant yelli. Ayant rejoint BAKA BEYOND en 2003, la chanteuse et danseuse anglaise Denise ROWE a pu élargir ses prouesses chorégraphiques en apprenant la danse liée à ce morceau et en a fait depuis un des « highlights » des concerts du groupe.
Au chapitre des influences gaéliques, on trouve de superbes thèmes, comme Sad among Strangers, inspiré d’un chant de foulage (« waulking song ») écossais ; Hush Hush, un chant de lamentation écossais magnifié par la très belle voix de Su HART ; et le non moins émouvant Shimina, rehaussé d’une ligne rythmique tirée d’un rituel baka. N’oublions pas non plus l’apport de Paddy LEMERCIER, avec ses délicieuses interventions au violon et au whistle, et qui a notamment intégré un reel de sa composition dans le très sautillant La Londé, à l’origine une chanson apprise auprès des enfants baka.
D’un ensemble d’influences disparates, tant sur le plan musical que géographique, BAKA BEYOND réalise une synthèse remarquable de cohésion. Si l’influence baka a toujours servi de fondements à ses opus, les musiciens baka n’avaient guère eu l’occasion d’être véritablement conviés à un disque de BAKA BEYOND depuis Spirit of the Forest. Signe des temps et de l’évolution des rapports entre CRADICK et les pygmées, les musiciens baka qui ont été enregistrés pour Rhythm Tree sont dûment crédités dans le livret alors qu’ils étaient encore anonymes dans le premier album. Par exemple, la chanteuse inconnue dont le yelli introduisait Spirit of the Forest a été identifiée, et on sait aujourd’hui qu’elle s’appelle Loni. Et c’est encore son yelli que l’on entend en ouverture de Rhythm Tree, en forme d’écho au disque séminal de BAKA BEYOND.
La maison dans l’arbre et le multipiste ont contribué à rapprocher encore davantage les Baka des membres de BAKA BEYOND et à les intégrer à l’aventure de ce dernier. En attendant que les Baka puissent un jour suivre BAKA BEYOND en tournée, Martin CRADICK a le projet d’enregistrer un nouvel album de musique traditionnelle baka, qui sera en quelque sorte le petit frère de Heart of the Forest, ainsi qu’un album live de BAKA BEYOND.
Live Power !
Durant sa bonne dizaine d’années et plus d’existence, BAKA BEYOND s’est taillé une très enviable réputation pour ses performances scéniques, particulièrement roboratives. Il suffit de se rappeler que, en langage baka, le même mot désigne le chant et la danse, et on aura compris pourquoi les concerts de BAKA BEYOND régalent autant les oreilles que les yeux.
Le public du Festival Interceltique de Lorient a pu en faire l’expérience pour la première fois en août 2005. Pour sa première prestation en Bretagne (et la seconde en France), BAKA BEYOND ne disposait que de 45 minutes (et pas une de plus !) pour faire ses preuves. Il ne lui a fallu pas plus de deux minutes pour mettre le public dans sa poche. Les spectateurs ont eu tôt fait de scander les rythmes des chansons et ont été aisément subjugués par le jeu de scène des deux chanteuses, Su HART et Denise ROWE, qui sont aussi des danseuses pour le moins exubérantes.
En termes de déploiement d’énergie, les musiciens n’étaient pas non plus en reste. Pendant trois quarts d’heure, l’énergie du groupe ne s’est pas affaiblie, pas plus que l’enthousiasme du public. La courte durée de performance imposée au groupe n’a guère permis à BAKA BEYOND d’évoquer des plages sonores plus introspectives, comme il sait pourtant le faire sur disque, si ce n’est le temps d’une « bottle song », une pièce instrumentale à base de bouteilles vides (celles que votre serviteur et sa photographe avait vidées peu avant le concert, pour tout dire !) dans lesquelles les musiciens se sont mis à souffler, créant des sonorités étranges en forme de « yelli du troisième type » !
La vitalité et la maîtrise de la mise en scène de BAKA BEYOND ont été amplement plébiscités par le public lorientais qui, après le dernier morceau, n’a eu de cesse de réclamer un rappel qui, hélas, ne vint jamais ; le rigorisme de l’organisation ayant fait force de loi.
Il reste à espérer que le succès rencontré par BAKA BEYOND à l’Interceltique pourra se prolonger à l’occasion d’autres concerts sur le sol français, tant il paraît inconcevable que n’importe quel festival consacré aux musiques du monde puisse passer à côté de l’une des formations qui illustrent le mieux l’expression « world music ». Sur scène, BAKA BEYOND s’adresse autant aux oreilles qu’aux yeux et aux bras et jambes de chacun, et ce qui s’y vit est assurément différent d’une écoute de salon. L’énergie qui y est activée est d’une autre nature que celle qui s’exprime sur disque, dans lequel les vertus extatiques des rythmes baka et des chants gaéliques sont exprimées sous des aspects forcément plus veloutés, voire plus introspectifs, répondant à une autre exigence de production et de mixage.
Toutefois, BAKA BEYOND a déjà eu l’occasion, dans son cheminement discographique, de sortir un disque live. Il date de 1996 et présente la particularité d’avoir été enregistré par un moyen fort peu conventionnel, c’est-à-dire à l’aide d’une invraisemblable machine appelée « rinky dink », qui est électriquement alimentée par… une bicyclette ! En bref, il faut pédaler pour avoir de l’électricité !
L’enregistrement de ce bien-nommé Live and Pedal-Powered a donc été fait en DAT, directement sur la table de mixage qui a été alimentée par le rinky-dink. C’est certainement le genre de choses qu’il faut voir pour y croire, et on en regrette presque qu’il ne s’agisse que d’un enregistrement audio. Toutefois, une page est consacrée à l’engin sur le site Web de BAKA BEYOND. C’est également sur celui-ci que l’on peut se procurer en exclusivité ce Live and Pedal-Powered, ainsi qu’un bon paquet d’enregistrements live type « official bootlegs » à l’usage des « die-hard fans ».
Tous les autres disques studio du groupe sont également disponibles sur http://www.bakabeyond.net, de même que ceux de formations parallèles, comme le trio acoustique EtE, comprenant Martin CRADICK, Seckou KEITA et Nii TAGOE, ainsi que les disques d’OUTBACK. S’il fut signé pendant quelques années par le label Hannibal/Rykodisc, et ainsi distribué à l’échelle internationale (jusqu’à l’album Sogo), BAKA BEYOND en est aujourd’hui réduit, comme beaucoup d’autres, à l’autoproduction et à l’autopromotion.
Au fond, s’il manque encore quelque chose à l’œuvre de BAKA BEYOND, c’est bien un témoignage visuel de ses performances en concert. La création d’un DVD viendrait opportunément combler ce vide. À ce sujet, Martin CRADICK déclare : « Il existe 10 minutes de film réalisé dans la Maison de Musique, et 45 minutes d’un spectacle en Amérique. Le son n’est pas très bon, mais le concert a été réalisé en multipiste. Depuis deux ans, on leur demande la bande, et ils nous répondent toujours »Oh oui, on vous l’envoie la semaine prochaine ! » Et on attend toujours… (rires) »
Article réalisé par Stéphane Fougère – Photos : Sylvie Hamon
Propos recueillis lors du Festival Interceltique de Lorient 2005 par S.F. et S.H.
(Article original publié dans ETHNOTEMPOS n°18 – janvier 2006)
Site : www.bakabeyond.net
Page : https://bakabeyond.bandcamp.com/
Discographie BAKA BEYOND
* Spirit of the Forest (1993, Hannibal/Rykodisc)
* The Meeting Pool (1995, Hannibal/Rykodisc)
* Live and Pedal-Powered (1996, March Hare Music)
* Journey Between (1998, Hannibal/Rykodisc)
* Unplugged (1999, March Hare Music)
* Sogo (2000, Hannibal/Rykodisc)
* Official Bootleg Series (2000)
* East to West (2002, March Hare Music)
* Rhythm Tree (2005, March Hare Music)
* BAKA BEYOND & BAKA GBINÉ : Baka Live (2007, March Hare Music)
* Baka – Beyond the Forest (2009, March Hare Music)
* After the Tempest (2014, March Hare Music)
Réalisations parallèles :
* THE BAKA FOREST PEOPLE : Heart of the Forest (1993, Hannibal/Rykodisc)
* Martin CRADICK, Nii TAGOE & Seckou KEITA : Baka Beyond Present Eté (2001, March Hare Music)
*ORCHESTRE BAKA GBINÉ : Gati Bongo (2005, March Hare Music)
* Su HART : Worth it After All (2007, March Hare Music)
* Baka in the Forest (Traditional Songs of the Baka Women Recorded Live in the Cameroon Rainforest) (2009, March Hare Music)
*ORCHESTRE BAKA GBINÉ : Kopolo (2012, March Hare Music)
* Voice of the Forest (with the Baka Forest People of Southern Cameroon) (2013, March hare Music)
(Discographie mise à jour en 2023)