Bill CALLAHAN – Gold Record

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Bill CALLAHAN – Gold Record
(Drag City)

Depuis le mitan des années 1990, l’avènement de la musique lo-fi, et de ses sous catégories (le slowcore et le sadcore) la maison de disque Drag City de Chicago est le refuge, le sanctuaire ou plutôt le havre d’artistes (majoritairement américains) du folk décalé et du post grunge essoufflé (NIRVANA et compagnie…). Drag City possède un catalogue impressionnant en quantité et en qualité grâce à la fidélité de ses auteurs maison qui ne cherchent pas forcément le grand succès public et préfèrent se bâtir une œuvre au long cours et sur le long terme. Même si parfois des chefs d’œuvre inattendus ou en adéquation avec l’époque (comme une juxtaposition harmonieuse des étoiles dans le ciel de la musique) trouvent leurs publics.

Fin des années 1990 et début des années 2000, on sent en effet une sorte de frisson venant des États-Unis autour de groupes gravitant autour des précurseurs de ces sous-genres (LOW de Duluth – Minnesota, Bonnie « Prince » BILLY de Louisville – Kentucky), ainsi que d’autres groupes tels SMOG, adeptes d’un rock minimal, lent, intimiste et cérébral.

SMOG, dont l’unique membre est Bill CALLAHAN (né à Silver Spring dans le Maryland) a commencé dans l’à peu près et dans la pénurie ses enregistrements auto-produits (cassettes avec très peu d’instruments) et a été signé rapidement chez Drag City pour officialiser ses essais avant de réaliser un véritable premier album de studio « professionnel » avec musiciens et arrangements dès 1992.

Suivront onze enregistrements jusqu’à 2004 sous le nom de Smog ou (Smog) avant la véritable envolée de Bill CALLAHAN sous son nom propre et riche de cinq albums jusqu’ à 2014. Entre 2014 et 2019 survient chez notre chanteur/guitariste un passage à vide (un silence dû à sa nouvelle paternité d’après le musicien) peut-être un sentiment de lassitude face au peu d’engouement de ses fidèles, ceux-ci lui reprochant de s’égarer ou de faire des copies plus ou moins réussies d’album en album. Silence radio donc, le chanteur décidant alors de faire une pause définitive et semblant déterminé à s’éloigner du monde de la musique.

Pourtant, en 2019, rescapé de ses tourments ou décidé à reprendre ce qu’il sait faire de mieux (écrire des portraits de personnages et les mettre en musique), Bill CALLAHAN entreprend un éblouissant « retour aux affaires » avec Shepherd in a Sheepskin Vest (toujours chez Drag City) empli de vingt morceaux dûment arrangés, avec pléthore de musiciens, chœurs et instruments de toutes sortes (mellotron, orgue de barbarie en passant par un moog et des guitares un peu nashvilliennes) pour enrober sa voix de baryton désormais totalement apaisée (et pas du tout trainante ni désabusée) et semblant revenue pour de bon de tous ses dilemmes intérieurs.

En 2020, Bill CALLAHAN récidive avec Gold Record (« disque d’or » !) l’album de la très grande maîtrise, beaucoup plus ramassé que le précédent (dix morceaux parsemés d’hommages et de clins d’œil à ses maitres – les trois C :  CASH, COHEN, COODER) et surtout des chroniques en forme de « short stories » inspirées d’une galerie de personnages caustiques, de portraits décalés, écrits comme toujours avec un humour à froid.

Ici la cadence est moins folk et moins contemplative qu’auparavant même s’il y a toujours du Nick DRAKE (pas nommé ni honoré parmi les maitres) du Nick CAVE parfois ou du Kevin AYERS dans la manière de poser cette voix grave et dont la patine est assurée magnifiquement. Les structures s’éloignent de l’alternance couplets – refrains pour affiner des mélodies qui partent tout d’un coup en vrille, comme de guingois, décollant au beau milieu d’un chant volontiers monocorde (comme s’il installait la scène avant de prendre la chanson en main).

Bill CALLAHAN affirme avoir enregistré l’album en moins d’une semaine (juste avant la tournée mondiale de Shepherd in a Sheepskin Vest passée par Paris en octobre 2019). Pour cet album dont les textes ont été écrits depuis de longues années, le chanteur indique qu’il lui fallait rassembler et parachever ces morceaux en petit comité (six jours et six musiciens), ajoutant : « Je suis arrivé à un point où j’arrive à nouveau à finir ces chansons ébauchées parfois il y a huit ans et celles-ci n’étaient pas destinées à figurer sur l’album précédent. »

Il va même jusqu’à réenregistrer Let’s Move to the Country de son album Knock Knock de 1999. La suite des quatre chansons laisse s’épanouir cette mélancolie soyeuse et langoureuse, suave et savoureuse des descriptions comme des empreintes qui risquent de s’effacer sous la poussière de la vie qui passe et de la lucidité fugace. Cette apparence de simplicité et de transparence est tout de même un leurre et le chanteur, même s’il semble enjoué dans cet album (après avoir été apaisé sur le précédent), reste dans sa solitude et n’est jamais indulgent ni avec lui-même ni avec ses personnages.

Ce tendre cynique laisse filtrer avec ce disque une douceur qui ne s’était jamais vraiment affirmée auparavant. As I Wander, la chanson qui clôture l’album est saisissante ; elle résume la posture du chanteur et son regard sur le monde et sur les autres, ceux qui l’écoutent et l’entendent et s’achève sur ces mots empreints de tristesse lucide et distanciée : « Everyone is counting on me / to get them home safely / before the track ends / as if I were the conductor / and this train were real. »

Bill CALLAHAN incarne magnifiquement chacun des dix personnages des dix titres de Gold Record en continuant (de plus en plus difficilement) à se cacher et s’effacer derrière eux.  Mais il a désormais laissé son désespoir d’autrefois pour raconter tel un homme accompli ses histoires délicates, sans indulgence, sans détour mais avec pudeur, comme un vieux cowboy ou un funambule marchant sans filet au-dessus du vide.

Xavier Béal

Label : www.dragcity.com

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