Bill CALLAHAN – Resuscitate!
(Drag City)
Avec ses derniers albums, Bill CALLAHAN semble se préoccuper de plus en plus de sa place dans l’univers : tantôt amant, père, fils, mari, voisin, guide touristique cosmique, tantôt complice en admiration essoufflée de ses enfants et de ses chiens, bonimenteur et rêveur, les rôles pouvant changer à chacune des chansons. De plus en plus on a le sentiment qu’il essaie de se rapprocher d’un but pour lui essentiel, cherchant à embrasser son sens des responsabilités envers son prochain avec une joie hésitante tout en rayonnant d’une humilité euphorique à l’idée qu’il existe peut-être quelque chose d’encore plus grand dans l’inconnu (les planètes, pourquoi pas) et en tous cas loin d’ici-bas.
Suite aux francs succès (critiques, ventes, renommée) de ses deux derniers albums Gold Record en 2020 et Reality – Ytilaer en 2022, Bill CALLAHAN, dont les morceaux évoquent avant tout le voyage intérieur ou extérieur, s’est décidé, afin de s’extraire définitivement de l’horreur du Covid, de sortir de ses rêves et d’entamer une tournée entre fin 2022 et début 2023, pour « réveiller les gens de la torpeur pandémique, leur amour, leur gentillesse, leur colère, en un mot pour faire fonctionner leurs sens ».
Beau programme suivi d’effets, si l’on en juge par ce document live de qualité superbe, enregistré le 6 mars 2023 au Thalia Hall de Chicago (base de la maison de disque Drag City) qui consacre et magnifie cette idée de « repartir, se purifier et s’élever » ainsi que l’indique le chanteur, avec un titre tout trouvé : Resuscitate !.
Bill CALLAHAN a, il est vrai, peu donné de ses nouvelles en public à part un live enregistré à Melbourne en 2007 « Rough travel for a rare thing » concert acoustique capturé par d’authentiques fans australiens et une sorte de best-of de six titres, enregistré en faux live au studio de Jim WHITE à Nashville en 2017 paru chez Third Man Records en tirage limité.
Les morceaux de ce concert de 2023, dans leur majorité, viennent de l’album Reality, et les musiciens sont ceux de l’enregistrement studio dont le fidèle (depuis plus de 13 ans) Matt KINSEY aux guitares tantôt montées en bourrasques débordantes et tantôt plaintives et en retrait, et Jim WHITE en soutien sans faille aux drums.
Et ça démarre en fanfare avec First Bird, tout comme sur l’album studio, avec ces rêves dont on sort peu à peu pour mieux y retourner, chanson fragile et fébrile, hymne aux enfants (les siens) qui s’éveillent de leur côté et dont les ombres grandissent avec le soleil du matin (tall, tall, tall) ; du solide en live mais comme une introduction, une mise en chauffe qui débouche sur Coyotes, l’acmé long de près de 13 minutes soit le rêve éveillé de la chienne de Bill (qui, plus elle vieillit, plus elle dort de plus en plus tard), et qui se rêve en coyote puisque c’est ce qu’elle devait être avant d’être d’atterrir dans cette maison d’humains) et puis ce : « Yes I am your loverman, loverman, loverman » ad lib, morceau étiré comme la suite d’un état chaotique, sauvage et encore embrumé avec cet axiome en haiku : « They say never wake a dreamer Maybe that’s how we die ».
Le groupe ne lâche rien et repart avec Keep some Steady Friends around et Partition, ses rimes pas si aléatoires que ça (méditez, ventilez, faites ce que vous avez à faire, microdose, change your clothes) bien différent de la version anxieuse de studio, comme si l’on passait à un « rock out » psychédélique au fin fond du désert en chantant et dansant en derviches pour convoquer « des super pouvoirs » en entrainant les musiciens qui ne demandent qu’à se déchaîner et à défouler l’énergie qui s’épanouit depuis le début du concert, derrière le chanteur dont la douce ironie envahit la scène et le public.
Suivent des versions allongées de Naked Souls et Planets de près de dix minutes, un clin d’œil à Gold Record avec Pigeons jolie chanson et hello à Johnny CASH et Léonard COHEN, (deux voix amies et révérées par Mister CALLAHAN) ; un petit retour en arrière du côté de Smog (Keep some steady Friends around de Rain on Lens), pour les musiciens certainement, car Bill CALLAHAN est un conteur hors pair, doux amer et pince sans rire, même si sur scène il emporte tout avec lui, loin du rock un peu lent et cérébral du studio, le pudique funambule et sans filet est devenu un crooner plus du tout sombre ou cachant dans sa joie et son entrain sur scène ses fêlures et sa distance par rapport au monde de ces étranges années 20 du XXIe siècle.
À propos de Natural Information, Bill CALLAHAN chante de façon curieusement enjouée : « J’ai écrit cette chanson en cinq ans et pour toujours, celle-ci est à propos de ma fille toute petite, dansant dans la rue comme une minuscule divinité maladroite portant des sandales et faisant tourner une sorte de toupie dans chacune de ses mains ». Tout est dit pour ce père en admiration et dont les souvenirs s’amoncellent et restent précieux pour d’autres chansons à venir.
L’album se termine en beauté devant la musique des sphères (Planets) qui le laisse « vaguely hawaïan, just like sudsy chrome », Kilakila Malu (« shadow place » en hawaïen) avant que le soleil ne tire sa révérence du soir.
Laissons Bill CALLAHAN conclure, car ses notes de pochette, mis à part ses paroles de chansons, restent un peu sèches, un peu comme celles inexistantes de Have Fun with God, faux remix de 2014 avec des versions dub à toutes les sauces et un retour magistral à la simplicité acoustique.
« This is a live album that was taken from the tour for the REALITY album Songs tend to mutate after they’ve been recorded. These songs were mutating faster than usual. Like whatever happened to Bruce Banner in the lab — I knew these songs were about to get superpowers. As far as I was concerned, this change needed to be documented. The best thing about documenting something is that it gives the creator permission to move on, should they wish to move on. I usually prefer to move on. These songs were recorded in Chicago, America’s heart. And at one of the best clubs in the country — Thalia Hall, and please baby. Stay free. »
Xavier Béal