Bridget St. JOHN – From There to Here (UK/US Recordings 1974-1982)

147 vues

Bridget St. JOHN – From There to Here (UK/US Recordings 1974-1982)
(Cherry Red)
C’est la reine du bric-à-brac (« Jumble Queen ») ; la chanteuse la plus difficilement classable des années 1969-1974, la « sweet travelling lady » aux pieds nus, pleurant doucement, les yeux fermés pour ne pas que ça se voie et qu’on croie que c’est juste la pluie sur son visage ; à la frontière de ses sœurs anglaises Vashti BUNYAN, Anne BRIGGS et Sandy DENNY, sa sœur appalachienne Linda PERHACS et les voix des chanteuses de groupes plutôt folk (renouveau), PENTANGLE, FAIRPORT CONVENTION et FOTHERINGAY,  et si l’on veut n’oublier personne un zest de Nick DRAKE – à qui elle a d’ailleurs rendu hommage (Fly) sur une compilation Mojo en 2018 – période Bryter Layter (1970 avec John CALE) ainsi que le troisième et ultime album de ce dernier.  Mais son timbre grave et son chant lent et feutré ne la font ressembler à personne (à tort on l’a comparée à NICO, mais c’était pour les gens qui n’ont pas d’arguments qui tiennent et les critiques un peu paresseux ou prétentieux). 

Elle a été des années Dandelion, label de John PEEL qui inaugure avec elle (Ask me no Questions en 1969) son catalogue décalé et amoureux des musiciens qu’il cherche à faire connaître, après l’avoir invitée maintes fois lors de ses émissions de radio Night Ride et Top Gear depuis 1968. Suivront deux albums toujours chez Dandelion (Songs for the Gentleman en 1971 arrangé un peu bizarrement par Ron GEESIN (sorti de PINK FLOYD) et  Thank You For…  en 1972 pour lequel elle invite pas mal de musiciens tout en étant à la production de l’album : entre autres John MARTYN, Pip PYLE et la fine fleur du folk-rock anglais (il paraîtrait que Robert WYATT qui, ne l’oublions pas, lui a offert un morceau sur son The End of an Ear en 1970 intitulé For Saintly Bridget, aurait participé aux sessions de cet album, mais il n’est pas crédité).
 
Malheureusement, pas plus ce dernier album de la trilogie chez Dandelion que les deux précédents n’ont réussi à faire décoller la carrière de Miss St. JOHN, qui assiste à l’époque, en 1972, à l’effondrement inéluctable du label mal distribué, mal connu et mal défendu, dont les artistes sont mal promus et doivent se débrouiller pour trouver des concerts ou des tournées.
 
C’est ainsi que Bridget St. JOHN, proche de Robert WYATT mais également de Kevin AYERS (mais sans être du côté de la « Canterbury Scene »), accompagnera ce dernier et chantera même les très jolies chansons The Oyster and the Flying Fish sur l’album Shooting at the Moon (1970) du délicat raconteur, fondateur de SOFT MACHINE et exilé quand il en a envie à Majorque (il habite à l’époque sur une péniche lorsqu’il est à Londres), ainsi qu’une rareté retrouvée plus tard sur des démos du suprême amateur de bons vins (français) intitulée Jolie Madame (en français !). Kevin AYERS produira également un single pour Bridget St. JOHN en 1970 chez WEA intitulé If You’ve got the Money/Yep qui fit un flop de toute beauté. Et pour parfaire l’histoire, elle chantera Baby Come Home surThe Unfairground, ultime et un peu dérisoire album de Kevin AYERS en 2007.
 
Bridget St. JOHN, elle a eu très heureusement une belle étoile et de bons parrains depuis ses débuts et notamment la rencontre à l’université de Sheffield en la personne de John MARTYN qui l’encourage à écrire, à jouer de la steel string guitar, à vaincre sa timidité et surtout à faire des démos de ses chansons  (sur scène, raconte John PEEL, elle baissait les yeux et se cachait derrière sa guitare et s’arrêtait de chanter lorsque les gens parlaient trop fort dans les pubs où elle jouait quelques morceaux ; son premier album reflète cette simplicité cotonneuse, intime et réservée même si quelques morceaux semblent empreints d’une détermination peu équivoque, qui est l’arme ultime des timides afin de ne pas s’effondrer).
 
Après ses trois albums et la déroute de la famille Dandelion (les disques Pissenlit), Bridget St JOHN ne désarme pas et frappe à la porte de différentes maisons de production anglaises (ça va de Virgin Records qui ne dit ni oui ni non à la maison de disques d’Elton JOHN « Rocket Records » qui lui préférera une horrible chanteuse (Kiki DEE) et MCA, car elle y a enregistré une version de Passin’ thru de Léonard COHEN qui aurait, d’après Bridget St. JOHN …., disparu !
 
Il faudra attendre 1974 pour que grâce à Rick KEMP (STEELEYE SPAN) qui jouait de la guitare électrique sur la plupart des morceaux de Thank you for…, elle puisse enfin trouver un label accueillant ; Chrysalis (chrysalide après les pissenlits) lui offre des conditions normales d’enregistrement et propose même que John MARTYN produise l’album, mais celui-ci se défausse, exténué par une tournée américaine et déjà un peu mal en point physiquement.
 
Neuf sessions ont été nécessaires en mars 1974 et l’album Jumblequeen (reine du pêle-mêle et du vrac, du brouillage et des cahots)  sort dans l’année, produit par Leo LYONS (bassiste des TEN YEARS AFTER, ah oui !) avec des musiciens qui auraient pu former un groupe pour les concerts derrière Bridget St. JOHN : à la batterie Mike GILES et à la « slide guitar » Stefan GROSSMAN entre autres. 
 
Le disque de neuf morceaux démarre avec Sparrowpit, un morceau entrainant et qui fait le point sur la situation de Bridget St. JOHN : exilée pour des raisons sentimentales dans ce village du Derbyshire, entre Sheffield et Manchester, c’est à dire « nowhere » ! ; elle chante légèrement mais sans rien lâcher sa tristesse et cherche à panser bravement ses blessures de cœur en demandant aux gentils habitants de Sparrowpit de la prendre sous leur aile (« sparrow » en anglais veut dire moineau, « pit » voulant dire trou) pour qu’elle se console et qu’elle reprenne pied.
YouTube player
Les chansons qui suivent assemblent les pièces fragiles d’un tendre self-portrait : Want to Be with You répète à l’envi : « I want to Be Where Someone Loves me Best of All » ; message on ne peut plus clair. Les chansons tristes deviennent des chansons d’émotions mêlant joie et larmes retenues, et avec l’aide délicieuse de Beverly MARTYN (femme de John), aux chœurs sur Curious and Woolly, on atteint la chanson parfaite (ça parle de l’effet de quelques bons verres de vin sur l’esprit et l’équilibre du corps gentiment joyeux de la chanteuse qui semble enfin sourire dans la chanson), suivie à nouveau en décalque par Jumblequeen qui poursuit en apothéose d’accompagnement (moog, basse et orchestre) les battements entêtants du cœur intime, délicat et bouleversant de la chanteuse en accentuant la tristesse et la solitude de miss St. JOHN, plus aérienne et soyeuse que jamais mais également perdue et éperdue au beau milieu de ses regrets, de ses tourments, de ses déceptions, son désarroi et ses fatigues à travers des mots et des images magnifiques  : « the Dishes are Dirty, my Hands are Unclean, I Tumble my Junk like some Proud Jumblequeen ».
YouTube player
L’album ne convainc pas, il se vend peu et comme les trois précédents disparait des radars des productions musicales de l’époque ; en 1974 bien des chefs-d’œuvre ont été publiés et il n’est plus de place pour des artistes fragiles ou trop « à part ». Bridget St. JOHN, à nouveau sans contrat, décide de partir à New York (le « Here » de From There to Here du titre) aux alentours de 1976, armée de quelques morceaux et démos sur un revox, là où elle pense qu’une communauté pourrait accueillir et relancer sa carrière qui tourne en rond en Europe (elle indique dans le livret du coffret avoir envoyé des démos à Virgin – qui considère la cassette « with optimism and caution ! » – et qu’ils ont préféré signer Anthony MOORE qui a enregistré la même chanson que la sienne à savoir une reprise de Catch a Falling Star de Perry COMO) . 
 
Les deux autres CDs du coffret reprennent l’intégralité de Take the 5ifth enregistré en 1995 avec des musiciens de studio et un mélange New York/Nashville parfois déroutant (avec Catch a Falling Star emporté dans les bagages anglais – bien joué !)  et des sessions issues entre 1981 et 1982.
YouTube player
YouTube player
Mais l’époque est de moins en moins curieuse envers les « singers/songwriters », et Bridget St. JOHN ne fait plus que des apparitions rares (Japon et Europe). Pourtant elle a des projets : elle a tourné et collaboré avec Steve GUNN (joli chanteur acoustique) et a publié un CD live au Japon en 2010 (Jolie Madame, avec un titre en français, Mon Gala Papillons, ainsi qu’un album live enregistré en octobre 2019 dans un pub londonien : Live at the Betsey Trotwood.
 
Elle a surtout rencontré Galen, la fille de Kevin AYERS (disparu en 2013) qui semble vouloir continuer l’œuvre de son père (un beau livre sur lui et un album d’elle paru en 2019) et toutes deux travaillent sur des chansons de Kevin AYERS (il y a près de quarante ans, en mars 1976). Bridget St. JOHN avait confié à un fanzine français disparu aujourd’hui qu’un disque de duos avec le beau et ténébreux Kevin était sur les rails et que cette collaboration heureuse ferait la part belle à des chansons décalées pour des « insane people, des little ones, des enfants et des doux rêveurs impénitents ». 
 
Eh! bien en 2022, ce message (révérencieux et amoureux) vous est destiné de la part de tous les lecteurs de cette chronique, et nous attendons de vos nouvelles (Jolie) Madame St. JOHN !
 
Xavier Béal
 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.