CHARMING HOSTESS – Punch

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CHARMING HOSTESS – Punch
(ReR Megacorp / Orkhêstra)

Il y en a encore qui s’imaginent qu’il suffit de jouer la potiche court vêtue au sourire « ultra-brité » pour faire office d’hôtesse ? Allez dire ça à Jewlia EISENBERG, la femme de tête des CHARMING HOSTESS, et c’est clair que vous vous ramassez un pain. Et ce n’est pas parce que le groupe est originaire d’Oakland qu’il faut s’imaginer avoir affaire à des « California Girls » typiques des revues de plage. Il n’y a qu’à voir la pochette et le livret de ce CD : aux défilés de mode, les « Charmantes Hôtesses » préfèrent les rings de boxe. La formation du groupe se prête du reste bien aux duels : trois femmes et trois hommes. On pourrait aussi les distinguer en trois chanteuses et trois musiciens, mais la vérité est que les chanteuses jouent aussi d’un instrument et que les musiciens chantent aussi parfois. Les rôles sont mélangés, bousculés. La parité, quoi !

Pour être « hôtesse de charme », il faut combiner plusieurs qualités : être engagée, féministe, anarchiste, pratiquer la polyphonie, la polyrythmie, en un mot, être « nerdy-sexy-commie-girly ». (J’en vois déjà qui, échaudés par cette mentalité amazone, essaient de trouver une porte de sortie…) Leur esthétique musicale est à l’avenant et peut être circonscrite comme suit : « klezmer-punk-jewish-freak-balkan-funk » ! (Sans exhaustivité aucune, naturellement…)

Là où ça se complique, c’est que le livret de Punch laisse entendre que le groupe CHARMING HOSTESS se décline en fait en deux formules. Une précision s’impose. Il y a le CHARMING HOSTESS « Big Band », celui-là même qui s’exprime dans Punch, et le CHARMING HOSTESS « a capella » ou presque, qui a réalisé également le disque Sarajevo Blues, avec voix, cordes et beatbox, et qui porte sur le génocide et le nationalisme en mêlant textes et musiques des diaspora juives, bosniaques et africaines (ça, c’est un programme…). On n’étonnera pas grand-monde en signalant que ce CD est paru sur le label Tzadik…

Notez également que Jewlia EISENBERG a réalisé en 2002 sur le même label « zornien » un album sous son nom (mais auquel participent d’autres charmantes hôtesses), Trilectic, narrant les relations politiques, intellectuelles et sexuelles du philosophe allemand Walter BENJAMIN et de l’actrice lettone Asja LACIS (ça aussi, c’est un programme…).

Punch, lui, a en fait été enregistré à l’époque de Trilectic mais, pour des raisons absconses, ne sort que maintenant, et fait plutôt suite à Eat, l’excellent album inaugural de CHARMING HOSTESS paru en 1998 sur Vaccination Records.

C’est bien connu, les hôtesses, surtout de l’air, voyagent et voient du pays, plein de pays. Les CHARMING HOSTESS ne font pas exception : dans Punch, elles se ré-approprient avec éclat des chansons traditionnelles turques, albanaises, hongroises, palestiniennes, bulgares, et présentent des compositions de leur cru particulièrement échevelées où à ces influences s’ajoutent celles du folk américain et du zydeco, avec une bonne dose de harissa instrumentale et vocale.

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Le trio féminin (Carla KIHLSTEDT, Nina ROLLE, Jewlia EISENBERG), sorte de commando mi-gospel, mi-bulgare, frappe d’emblée par ses arrangements vocaux d’une extrême vigueur et précision, ses harmonies complexes et contorsionnistes, supportées par une rythmique chauffée à blanc et tirée au couteau, prompte à semer les « breaks » les plus périlleux, et hautement colorées par une instrumentation qui emprunte autant au rock qu’à divers folklores : guitare électrique, basse, violon, accordéon, saxophone, flûte, clarinette, didgeridoo, et autres épices sonores.

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Je doute qu’on puisse trouver l’équivalent ailleurs… Certes, on peut effectuer des rapprochements. Vous connaissez le groupe finlandais VÄRTTINÄ, dans lequel s’esbaudissent des déesses scandinaves au timbre haut perché ? Eh ! bien CHARMING HOSTESS, c’est un peu du VÄRTTINÄ version est-européenne, voire moyen-orientale, mais plus barré et pratiquant une sorte d' »avant-ethno-rock » dopé aux amphétamines dans lequel mélodies et dissonances jouent fébrilement au chat et à la souris ! Il faut dire aussi que trois des membres du groupe (Nils FRYKDAHL, Carla KIHLSTEDT et Dan RATHBUN) se commettent également dans IDIOT FLESH et SLEEPYTIME GORILLA MUSEUM, ce qui peut expliquer beaucoup de choses… Il me semble de même que CHARMING HOSTESS a déjà intégré des reprises d’ART BEARS à son répertoire live. Et Punch paraît sur ReR Megacorp… Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils/elles disaient…

Vous cherchiez la claque musicale de l’année 2004 ? Punch est beaucoup plus que cela : un uppercut !

Stéphane Fougère

Site : www.charminghostess.us

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°18 – août 2005)

One comment

  1. Et voilà. Je m’enthousiasme devant ce métissage original et dynamique, toute cette énergie, et ensuite je découvre que c’est une rediffusion, et que tu as fait la nécro de la chanteuse hier. Vilain garçon. Ceci dit, sa musique lui survit, c’est déjà pas mal. Merci pour la découverte post mortem ! comme disent les légistes.

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