De la chanson française près de Kobaïa : AD VITAM + Pierre-Michel SIVADIER (le 28 octobre 2023 au Théâtre Aleph à Ivry-sur-Seine [94])

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De la chanson française près de Kobaïa : AD VITAM + Pierre-Michel SIVADIER (le 28 octobre 2023 au Théâtre Aleph à Ivry-sur-Seine [94])

La planète musicale Kobaïa est célèbre pour ses fresques musicales engendrées par les groupes MAGMA et OFFERING et leur guide Christian VANDER. Mais quiconque a un tant soi peu exploré au-delà de ses champs lyriques véhéments pour combattants et affranchis a pu découvrir des îlots d’expression dans lesquels s’épanouit des formes poétiques plus intimes, quitte à sacrifier un peu de l’exotisme verbal de la langue locale, le kobaïen, au profit de… la langue française ! Oui, le style « chanson » – qui plus est française – a aussi droit de cité sur les pistes non centrales des boulevards de la muzik zeuhl, et Christian et Stella VANDER ont, dans leurs parcours discographiques et scéniques en solo, usé de cette forme. Mais comme on le devine, la chanson française dont il est question chez eux n’a rien de commun avec celle qui pollue les temps de cerveaux disponibles dans les canaux médiatiques officiels. Il faudrait plutôt parler d’une poésie chantée explorant des formats et des « habillages » qui échappent aux modes éphémères pour mieux prendre racine dans des modes (musicaux) autrement plus vitaux.

Fondé à l’origine par le Chilien Oscar Castro pour promouvoir ses œuvres théâtrales subversives, le Théâtre Aleph d’Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, programme occasionnellement des soirées ouvertes à d’autres expressions musicales et chantées. C’est ainsi qu’en cette fin octobre 2023 furent accueillis deux satellites de Kobaïa qui explorent de façon très personnelle le format chanson : le groupe AD VITAM et Pierre-Michel SIVADIER.

Pendant que les trois quarts de la populace française écumaient ce soir-là leur mauvaise bière devant la finale de rugby, quelques résistants irréductibles qui pouvaient se compter sur les doigts de trois paires de mains ont bravé le mauvais temps pour se rendre au Théâtre Aleph pour aller voir et écouter le second concert de la nouvelle formation d’AD VITAM menée par le compositeur, guitariste et chanteur Jad AYACHE, six mois après son remarqué passage au Triton, aux Lilas, et dont RYTHMES CROISÉS s’est déjà fait l’écho (voir ici).

Puisqu’on l’a déjà fait dans l’article mentionné ci-dessus, on ne vous présente plus AD VITAM, mais chacun sait ou doit savoir à cette heure que ce groupe a des liens avec la sphère « zeuhl » et l’œuvre de Christian VANDER au-delà de MAGMA, et qu’il cultive un format « chanson », avec des influences rock, folk…

Comme on s’en doute, le répertoire était centré sur le nouvel album, Une seconde chance (titre qui avait une certaine résonance ce soir-là), dont on fêtait la récente sortie en format vinyle sur le label ACEL, quelques semaines après celle en CD, et dont l’intégralité a été interprétée, en commençant par les morceaux les plus remuants et pêchus (Prochaine Sortie, Les Boucles de Meige, Les Amis, Accord perdu), sans oublier J’avais cru, chanson au ton plus solnnel et martial (qui a dit : « magmaïen » ?) rappelant les premières années du groupe, pour ensuite céder la place aux chansons plus douces (Malo), mélancoliques (Tu n’y étais pas, Au fil des pages) ou sereines (Providence, Le Printemps revient).

Dans un second temps, le répertoire a exhibé d’anciens morceaux tirés des deux précédents albums d’AD VITAM (Le Fidèle, un texte inédit de Georges BRASSENS, Ça et là et Vallon des Auffes) ainsi qu’une reprise peu courue des BEATLES (I’m Only Sleeping), un hommage à Wilson PICKETT (le dernier morceau de Une seconde chance) et, en rappel, une reprise elle aussi peu jouée de LED ZEPPELIN (Four Sticks), comme lors du concert au Triton.

Le son de la petite salle du théâtre Aleph privilégiant les basses, les voix de la chanteuse Isa MODICA et de Jad AYACHE ont eu fort à faire pour se faire entendre face à la robuste et foisonnante section rythmique de Philippe GLEIZES (batterie) et Charles LUCAS (basse), pourvoyeurs d’une énergie électrique à laquelle les séides magmaïens ne peuvent rester insensibles. Mais globalement l’alchimie a fonctionné et une certaine magie s’est distillée tout au long du concert.

Ce qui a fait la différence sur ce concert, c’est la présence dans le public d’un ancien membre d’AD VITAM, Claude LAMAMY (entendu aussi dans les VOIX DE MAGMA), que Jad AYACHE a convié sur scène pour ressusciter un morceau de l’album Là où va le vent, le fameux Poème de soldat, dont le texte a été écrit par un certain Christian VANDER… Quelle émotion que de réentendre ce chant superbement mis en musique par Jad, et interprété par Claude !

Au total, AD VITAM nous a régalés ce soir-là encore d’un fort agréable moment de poésie électrique et acoustique, en comité certes restreint, mais d’autant plus réceptif. On espère que cette nouvelle formation suivra son chemin et se fera entendre sur d’autres scènes.

À l’occasion de ce concert, AD VITAM a de plus réservé aux heureux spectateurs une surprise de taille, puisqu’il a convié en première partie le compositeur, pianiste et chanteur Pierre-Michel SIVADIER, plutôt rare (euphémisme !) en concert solo.

Ce nom ne doit pas être tout à fait inconnu des séides de la zeuhl, puisqu’il a travaillé avec Christian VANDER, notamment dans ses formations OFFERING, Les VOIX DE MAGMA et dans les albums À tous les enfants et John Coltrane, l’homme suprême (pour lequel il a écrit Coltrane à l’instant). Pierre-Michel SIVADIER a de même composé pour Stella VANDER (Ma seule enfant et Innocent, dans l’album D’épreuves d’amour, et Follement doux et Le Cœur à l’envers, dans l’album du même titre). En retour, Stella VANDER a prêté sa voix sur le premier album de Pierre-Michel, D’amour fou d’amour, paru en 1995 sur Seventh Records, et dans lequel on entend également un autre fidèle de la famille magmaïenne, à savoir Simon GOUBERT.

Ce premier essai a été suivi en 2008 d’un deuxième disque, Rue Francœur, dans lequel on retrouve une fois encore Stella VANDER, et plus récemment par un troisième opus, Si, en 2019, paru comme le précédent sur Ex-Tension Records (une excroissance de Seventh). Cette fois, ce sont les voix de BEVINDA et d’Awa TIMBO qui accompagnent (ou parfois se substituent à) celle de Pierre-Michel, et ses mots sont enveloppés de percussions orientales et de guitares affûtées. Alain BASHUNG, Serge GAINSBOURG, Jane BIRKIN et la Carmen de BIZET y sont célébrés avec une savoureuse et élégante audace. La même année, Pierre-Michel SIVADIER lègue une composition, Pina Bausch et le fleuve, à Simon GOUBERT pour son très bel album Nous verrons.

Mais Pierre-Michel SIVADIER a un parcours pour le moins éclectique puisqu’il a composé également pour d’autres artistes de chanson française, pour le cinéma, pour le théâtre. Il a ainsi travaillé avec Michel HERMON (Thank you Satan), Jane BIRKIN, Céline CAUSSIMON, Lambert WILSON, Fanny ARDENT, James IVORY, Magic MALIK, etc. Pierre-Michel SIVADIER est également l’auteur de quelques ouvrages de fictions et de poésies, Paùl Jack, Adam et Bérénice, Frondes étourdies, Mets du jour, L’Être que je suis et Désordres (Journal, pamphlet, poèmes), qui sort en décembre 2023 (éditions Stellamaris)…

Grand amoureux des mots et de la langue, Pierre-Michel SIVADIER déploie dans ses disques un univers poétique dans lequel les mouvements emballés ou contrariés des âmes, des cœurs et des corps s’entrelacent aux chavirements des notes, aux élans rythmiques, aux fresques harmoniques ; les inflexions de l’intime rejoignent les souffles élémentaux, l’universel se conjugue à échelle humaine ; les instants qui y sont saisis se diluent dans l’insondabilité du mystère. Ciselés et exigeants mais aussi ludiques, ses textes sont façonnés pour répondre à l’écho des flux des marées, aux ressacs des vagues et aux spirales des vents, ils tracent des ponts entre les dimensions du dedans et du dehors, souvent fantasques, toujours grandioses, et tapissent les tourments de contemplations lumineuses.

Pour ce concert au Théâtre Aleph, Pierre-Michel SIVADIER a d’abord démarré avec des pièces majoritairement instrumentales dont certaines portaient des titres énigmatiquement arithmétiques mais déroulés dans un ordre pas nécessairement logique : Mélodie 106, Mélodie 105, Mélodie 101, respectueusement sous-titrées Danse en si bémol, Hispanisante et To Herbie Hancock, alternées avec des reprises piano solo de thèmes célèbres de Michel LEGRAND (You Must Believe in Spring, tiré des Demoiselles de Rochefort), de Léonard BERNSTEIN (I Want to Live in America, de West Side Story), de Miles DAVIS (Tutu).

Le reste du répertoire était constitué de chansons de Pierre-Michel qui se prêtaient à des revisites en solo, comme Il n’y a que toi, Comprendre les marées ou encore un thème qu’il a composé pour Jane B., À la grâce de toi, toutes extraites de l’album Si, ou encore Je n’aurai de cesse, issue de l’album Rue Francœur.

Le contexte intimiste du Théâtre Aleph seyait parfaitement à l’univers musical charmeur et envoûtant de Pierre-Michel SIVADIER, entre chanson française et jazz, serti de fins et subtils arrangements qui mettent en connivence notes et mots. Les « mets du jour » concoctés par cet artiste fort discret qu’est Pierre-Michel SIVADIER ont constitué une bien belle mise en bouche pour nos oreilles avant le concert d’AD VITAM.

Article : Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon

Page label ACEL pour AD VITAM : https://acel-enligne.fr/discUSC.html

Site : Pierre-Michel SIVADIER : http://pierremichelsivadier.free.fr/

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