Dombra du Kazakhstan : Le « Kuï shertpe » de Karatau

226 vues

Dombra du Kazakhstan : Le « Kuï shertpe » de Karatau
(Buda Musique)

« Un vrai Kazakh n’est pas un Kazakh, un vrai Kazakh est une dombra. » Ces paroles d’un poète kazakh tend à démontrer à quel point l’identité de ce peuple d’Asie centrale – forgée aux XVe et XVIe siècles sur l’attachement à la steppe et au mode de vie nomade, mais mise à mal au XXe siècle par le modèle de modernisation soviétique, imposant la sédentarisation – persiste à travers la musique, et notamment la pratique de la « dombra ». Ce luth à long manche fretté pourvu de deux cordes est en effet l’un des deux instruments représentatifs de la tradition musicale kazakhe, avec la vièle à deux cordes « kobyz », instrument de prédilection des chamanes « baksy » (cf. les deux excellents disques Kazakhstan : Le kobyz, sur Inédit, et Akku, de Raushan ORAZBAEVA, chez Dunya).

On dit que la dombra est douée de parole, exprimant en musique ce qui ne peut être dit en mots, l’émotion étant chez les Kazakhs vécue surtout intérieurement. Cet idéal de retenue se perçoit autant dans les chants épiques que dans les « kuï », qui sont des pièces instrumentales relativement courtes explorant une image musicale, un état d’âme. Appel à la méditation et à la réflexion, le kuï allie intériorisation et éclat, virtuosité.

Cet album s’attache exclusivement à faire découvrir le style « shertpe » de la dombra, soit le style développé dans le centre, le sud et l’est du Kazakhstan, tandis que l’ouest privilégie le style « töpke ». Si ce dernier se reconnaît par sa frappe simultanée des doigts sur les deux cordes de la dombra, le style shertpe se caractérise par un pincement sur les cordes, et les kuï joués dans ce style peuvent intégrer des formes improvisées. De plus, l’évolution du shertpe étant liée aux techniques de chant, son timbre est plus mélodieux et ses kuï, sortes d’esquisses psychologiques ou de descriptions naturalistes, rappellent plus sûrement la voix humaine.

Sept interprètes de différentes générations, tous maîtres de la dombra dans le style shertpe, ont été conviés à enregistrer pour ce disque quelques kuï représentatifs du style et de sa revivification. La plupart de ces kuï ont été composés par SUGIR (1882-1961), dombriste de référence qui incarne l’école shertpe de la région de Karatau (Sud du Kazahstan). Les kuï de SUGIR sont effectivement perçus comme des traits d’union entre la tradition et l’innovation, et ont aussi la particularité d’emprunter certaines de leurs formes aux kuï composés à l’origine pour la vièle kobyz (dont l’un des maîtres, YKHLAS, a initié SUGIR, ceci expliquant cela…).

YouTube player

On remarquera aussi que l’un des musiciens enregistrés pour ce CD, Boranqul KOSHMAGHAMBETOV, est l’un des derniers compositeurs kazakhs encore vivant, et qu’il joue ici trois kuï de sa propre composition, témoignant ainsi du renouvellement de cette tradition régionale qui représente un rempart contre « l’occidentalisation » du Kazakhstan.

Les auditeurs encore novices en matière de musique traditionnelle du Kazakhstan trouveront peut-être ce CD un peu aride (un seul instrument, un seul style de jeu), les amateurs avertis se régaleront en revanche de cette plongée exhaustive dans un répertoire régional et stylistique aux vertus sublimatoires, et que le livret (comme toujours avec la collection « Musique du monde » du label Buda Musique) décortique avec beaucoup de précision. Ce disque est en tout cas un remarquable complément au livre-CD de référence Le Chant des steppes : musique et chants du Kazakhstan, paru en 2002 aux Éditions du Layeur.

Stéphane Fougère

Page label : www.budamusique.com

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n° 25 de septembre 2006)

One comment

  1. Merci

    Je profite de cette publication pour vous remonter quelques infos.
    Suite aux « événements » à Almaty je n’avais plus aucun contact avec mes amis d’Almaty. Les quelques infos qui transitaient arrivaient du Kirghizistan voisin.

    Dire que nous étions inquiets est…

    Bref j’ai pu m’entretenir avec mes amis d’Almaty et si la situation n’est pas stabilisée le calme est revenu.
    Mes interlocuteurs sont restés très peu prolixes. La situation est encore très tendue.

    Je ne sais pas si les festivals Spirit of Tengri à Almaty et Spirit of Eurasia à Noor-Sultan vont renaître.
    Ils étaient deux dates majeures de la musique ethnique contemporaine et accueillaient des artistes du monde entier. Une source de découverte pour nous tous, et une ouverture au monde pour tous les Kazakhs.

    Cordialement

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.