EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN – Rampen (APM : Alien Pop Music)

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EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN – Rampen (APM : Alien Pop Music)
(Potomak)

La légende, tenace, brodeuse, raboteuse et parfois radoteuse et qui aime les jolies histoires, surtout celles qui commencent bien (et finissent pareillement), assure que EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN s’est créé comme par hasard (zufällig) à Berlin en 1980 et que le premier album du groupe (Kollaps en 1981) a été une sorte de miracle tellement les membres étaient fauchés et qu’aucun instrument véritable n’aurait été utilisé lors des enregistrements (qui ont duré tout de même plusieurs jours) autant par manque d’argent que de pratique musicale. Album sorti un an plus tard et avec la caractéristique principale et plutôt vérifiée d’être tout à fait inaudible.

Alors pourquoi ce groupe qui semblait superficiel ou sporadique, artificiel et météorique comme beaucoup d’autres à cette époque aura t-il perduré depuis maintenant près de 44 ans ? Pourquoi est-il devenu la référence obligée de tant de groupes indus et noise et de nombreux courants post wave que les pauvres VELVET UNDERGROUND, THROBBING GRISTLE, TEST DEPT et autres petites choses fragiles n’ont plus qu’à se rhabiller et porter leurs oripeaux dans les bennes prévues à cet effet ?

La carrière foisonnante du groupe s’écoule depuis lors en s’apaisant depuis Tabula Rasa en 1993, tout en restant passionnante mais pourtant semble s’éteindre petit à petit jusqu’à Lament de 2014 déjà un peu sombrement décevant (une célébration du centenaire de la première guerre mondiale, pourquoi pas, mais pourquoi tout de même ?) et un Greatest Hits, clin d’œil de 36 années de services rendus et remasterisés (cordes et trombones à foison) en 2016.

Coup de tonnerre en 2020 avec la sortie d’Alles in Allem (tout est dans tout, tout ça pour ça ou en fin de compte) sorte d’ultime bouteille jetée à la mer et suivie d’une tournée (d’adieux ?), semblait rester für immer le testament).

Pourtant quatre ans après cette surprise et un demi silence du groupe  saupoudré parcimonieusement de quelques aventures  de Blixa BARGELD en solo (deux albums parus en 2023 : un long récit avec Mark KANAK, Atmung, et un double intitulé simplement Live in Berlin en duo avec Teho TEARDO datant de 2022, parsemé joliment de pas mal de reprises de leur album de 2013 Still Smiling), sort en 2024 Rampen, de façon encore plus surprenante, tout à fait inattendue et inespérée, imposant album jaune (gelb wie geld), comme un hommage aux 50 ans de la frénésie du krautrock des années 1970 (NEU, FAUST, CAN dont on ne sort plus en 2024 que des reliques ou des live), ou un retour en ville, 35 ans après la chute du mur de Berlin. Un hommage et une volonté d’explorer ce que le groupe nomme affectueusement ses « Rampen » (rampes d’accès ou de décollage), au sens de « ramping up » (montée en puissance et accélération) pratique malicieuse née de l’improvisation on stage et reconstruite et développée en studio.

Ici, ce magnifique double album CD de 15 titres semble être l’assemblage de 23 titres issus de la tournée de 2022 et retravaillés dans le studio (Candy Bomber) de Berlin tout au long de l’année 2023. Sous-titré APM : Alien Pop Music, l’ensemble étalé sur deux CDs (un seul aurait peut-être suffi, mais un « testament » doit rester un document d’envergure), les Rampen se succèdent comme un long recueillement aux atmosphères crépusculaires, ne négligeant pas les montées et les accélérations mais sans laisser déborder les morceaux au-delà d’un certain point (seul le splendide morceau Planet Umbra le long duquel Blixa BARGELD chante comme un vieux griot désabusé et en roulant les R dure au-delà de 8 minutes).

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Les voix se font à la fois caressantes et s’étirent comme une valse triste propice à la douceur et à la mélopée, les chœurs sombres et les murmures balancent parfois en un final un peu discordant : Es konnte sein, ainsi que sur Before I Go : « avant que je m’en aille, je ramasserai tous les masques, le thé, je couperai toutes les lumières et je mettrai un message crypté sur la porte », ça se poursuit en comptine au xylophone et « before I go » devient « before I know » en tourbillon. Sans oublier Pit of Language et ses voix sépulcrales sortant du gouffre et Aus den Zeiten : « chante pour moi en jaune, cette ancienne chanson » ad libitum.

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S’agit-il donc d’un tout dernier signe afin de clôturer définitivement l’aventure ? S’agit-il également de combler une facette du groupe qui a réussi son évolution et préfère tirer sa révérence avec superbe, plutôt que de risquer de se répéter dorénavant ? S’agit-il de refermer de façon distincte et distinguée une aventure qui pourrait désormais tourner en rond.

Pas de tout ça, nous dit en substance Blixa BARGELD (BARGELD voulant dire argent comptant on le croira donc sur parole), d’ailleurs la première chanson pose les problèmes dans le bon sens : Wie Lange noch ? (Encore combien de temps ?) : tout a été écrit, tout a été dit, on a tout chanté, pensé etc. mais qu’importe on peut tout recommencer et c’est ce que fait ce chanteur en poursuivant sa quête mi en allemand, mi en anglais avec des titres simples (It Could be, Before I go, Better like that, Everything will be Fine, I Dunno yet) comme si la vie à raconter n’était emplie que des têtes de chapitres pour un documentaire sans affects et sans afféteries. Rampen cherche à dresser une sorte de bilan peut-être un peu désabusé (tout comme la voix aigre douce de BARGELD) mais toujours assumé.

Cette recherche expérimentale sur le terrain, parait donc entrer désormais dans une phase nouvelle, fruit d’une évolution constante et non pas d’un bilan attristé. Moins d’imprévisible et de non conventionnel, moins d’agressif et d’expérimental. Ici le groupe semble donc revenir à certaines de ses racines tout en se redéfinissant. Ce changement marque l’arrivée de l’APM comme une affirmation définitive, un peu sophistiquée et totalement maîtrisée des directions vers lesquelles se dirige le groupe, entre le microscopique et l’immensément grand dans un « no man’s land » entre le passé et le futur, l’intime et le haïku, le recueillement et la mélancolie. Ce qui promet, on l’espère d’autres APM en construction entre apaisement, féerie et silence sacré, à bord du bien nommé Potomak, porteur de poésie bien trempée et de messages allégoriques, en gardant toujours l’inventivité et surtout et toujours sans oublier le chemin vers l’émotion.

Xavier Béal

Site : https://neubauten.org/en/

Page : https://neubauten.bandcamp.com/album/rampen-apm-alien-pop-music

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