Éloge de la musique pour guitare de Leo BROUWER
(en hommage à Philippe CAUVIN)
S’il est un musicien emblématique de la musique pour guitare du XXe siècle, c’est bien Leo BROUWER. Bien que nos colonnes soient peu coutumières de musique contemporaine (il y aurait beaucoup à dire sur cette étiquette, puisque la musique de BARTOK est considérée comme contemporaine alors que ses premières œuvres ont déjà plus d’un siècle, mais c’est un autre débat), le cas exceptionnel de la musique de Leo BROUWER mérite l’intérêt de nos oreilles averties puisque c’est dans le cadre de la pratique de la musique Zeuhl que votre serviteur a rencontré cette musique. En effet, c’est lors d’un concert « croisé » entre EVOHÉ – dont votre serviteur était guitariste -, et UPPSALA – dont Philippe CAUVIN était guitariste -, en 1975 à Toulouse, que cette musique fut jouée, en première partie d’EVOHÉ, par Philippe CAUVIN, virtuose de la guitare classique et compositeur. Ce musicien bordelais se produisait avec UPPSALA à la guitare électrique, mais sa maîtrise de la guitare classique avait fait de lui un interprète brillant d’une musique encore peu écoutée à l’époque, celle de Leo BROUWER.
Il fallait une certaine audace pour oser présenter cette musique aux sonorités étranges, à la technique exigeante, à un public peu versé dans ce répertoire. Mais servie par Philippe CAUVIN, dont l’enthousiasme le disputait à une indéniable intériorité, la musique de Leo BROUWER (comme celle de Philippe CAUVIN, pour chant et guitare) emportait l’adhésion immanquablement, au-delà d’une certaine sidération. Cette sidération n’est-elle d’ailleurs pas trop rare de nos jours où la musique est trop souvent assujettie à des canons esthétiques restrictifs ? Sortir du cadre n’est-il pas le but de toute création ? Nous aurons dans nos colonnes bientôt l’occasion de revenir sur le parcours de Philippe CAUVIN et celui de son groupe, UPPSALA, à l’occasion de la publication récente d’un enregistrement d’un concert de ce groupe.
Original, révolutionnaire, Leo BROUWER, compositeur et virtuose de la guitare, est né à Cuba en 1939. Son père, flamenquiste de haute volée, interprète de GRANADOS, TARREGA, ALBENIZ et VILLALOBOS l’initie à la guitare. « Au bout de quelques mois, nous dit Leo BROUWER, je jouais, uniquement d’oreille, des pièces de concert qu’il m’avait apprises, et, depuis, je les ai toujours jouées dans mes concerts, sans les avoir jamais lues. »
À l’âge de treize ans, sa rencontre décisive d’Isaac NICOLA, lui-même élève d’Emilio PUJOL, l’incite à se concentrer sur l’étude de la guitare alors qu’il étudiait également les percussions, le violoncelle et le piano. Reconnu très tôt comme un musicien exceptionnel, il réalise cependant que le répertoire de la guitare comporte des trous.
« Nous n’avions pas un Quintette de BRAHMS, pas d’Histoire du Soldat de STRAVINSKY […] pas de sonate de BARTOK. Ainsi, alors que j’étais jeune et fou, je me suis dit que si BARTOK n’avait pas écrit de sonate, je pourrais le faire. Cela a été mes débuts dans la composition. » Dès lors il étudie la composition et l’orchestration en autodidacte et, en 1954, crée sa propre méthode composition. De cette première période datent des pièces célèbres comme les Piezas sin titulo (pièces sans titre). Il donne son premier concert à seize ans, et son répertoire de concert couvre la musique de la Renaissance (Luis de MILAN), le baroque (J.-S. BACH), la musique espagnole du XIXe siècle et du début du XXe TARREGA, SOR, TORROBA) et la musique de celui dont il sera une sorte d’héritier audacieux, Heitor VILLALOBOS.
En 1964 il compose la magnifique pièce Éloge à la Danse, pièce qui, dès lors, sera souvent inscrite à de multiples concours de guitare ou d’épreuves de fin d’études de nombreux conservatoires. Depuis 1961, Leo BROUWER a rencontré les musiques de PENDERECKI, STOCKHAUSEN, XENAKIS et si ces musiques l’inspirent, lui font découvrir des horizons très nouveaux, il prendra toujours soin de ne pas opérer de rupture entre sa manière personnelle antérieure et un style qui va s’enrichir et se développer jusqu’à aujourd’hui.
Ci-dessous une version de Pepe ROMERO de l’Éloge à la Danse :
On pourra trouver de nombreuses versions de cette pièce dont une des meilleures est peut-être celle du guitariste grec Costas COTSIOLIS qui, avec Alvaro PIERI et Julian BREAM, est un grand spécialiste de la musique de Leo BROUWER.
L’apport de Leo BROUWER est considérable : il compose des musiques de ballets, de films, s’intéresse beaucoup à la pédagogie, il pousse la technique instrumentale dans ses retranchements extrêmes, usant d’effets percussifs sur la guitare, d’indications d’une grande précision pour l’obtention de timbres spécifiques, toutes exigences qui le conduiront à repenser même l’écriture pour l’instrument comme nous le montre ci-contre cet extrait de la partition de La Espiral Eterna.
Costas COTSIOLIS, dont nous avons déjà parlé, en donne une remarquable version sur son album consacré au Concerto de Liège de Leo BROUWER.
L’apport pédagogique de Leo BROUWER est incontournable. Sa musique pour guitare suppose une connaissance poussée de l’instrument et en exploite toutes les possibilités. En 1961 il conclut un cycle d’Estudios Sencillos (Études Simples) devenues depuis incontournables pour tout guitariste. À l’instar des Études de CHOPIN pour le piano ou de celles de VILLALOBOS pour la guitare, elles présentent l’intérêt d’être consacrées à différents aspects de la technique de l’instrument tout en étant caractérisées par une musicalité qui justifie seule leur existence et leur intérêt pour un auditeur non guitariste.
On notera que si c’est par Philippe CAUVIN que la musique de Leo BROUWER a conquis l’intérêt de votre serviteur, c’est à Thibault CAUVIN, fils de Philippe, que Leo BROUWER a dédié une série supplémentaire de dix Études Simples que Thibault, lui aussi brillant interprète de la musique pour guitare, a enregistrées en 2020. Nous y reviendrons, car ce jeune interprète mérite que l’on évoque la genèse de ce superbe enregistrement et de sa belle dédicace.
Avant d’indiquer quelques œuvres incontournables de ce compositeur prolixe, gardons à l’esprit que la dimension novatrice s’équilibre toujours, chez Leo BROUWER, par une émergence périodique qui fait l’éloge de la mélodie, qu’elle soit populaire dans sa construction ou dans son rythme.
C’est le cas notamment de cette pièce très délicate Un Dia de Noviembre, écrite par Leo BROUWER en 1957 pour la musique du film éponyme.
Ci-dessous la version remasterisée de ce « jour de novembre » enregistrée par Leo BROUWER lui-même en 2020 :
Article réalisé par Philippe Perrichon
* Catalogue des œuvres *
Pour la guitare seule :
Suite No. 1 Antigua (1955)
Suite No. 2 (1955 ou après)
Piezas sin títulos Nos. 1-3
Deux thèmes populaires cubains: Cancion de Cuna & Ojos Brujos
Deux airs populaires cubains: Guajira Criolla & Zapateado
Variations on a Piazzolla Tango
Canción Triste
Preludio (1956)
Danza Característica « Quítate de la Acera » (1957)
Fugue No. 1 (1959)
Tres Apuntes (1959)
Danza del Altiplano (1964)
Elogio de la Danza (1964)
Un Dia de Noviembre (1968)
Canticum (1968)
La Espiral Eterna (1971)
Estudios Sencillos (Nos. 1-20) (1973)
Parábola (1973)
Tarantos (1974)
Cadences (1975)
El Decamerón Negro (1981)
Preludios Epigramáticos (1981)
Variations on a Theme of Django Reinhardt (1984)
Paisaje Cubano con Campanas (1987)
Sonata (1990)
Rito de los Orishás (1993)
Paisaje Cubano con Tristeza (1996)
Hoja de album (1996)
Hika: In Memoriam Toru Takemitsu (1996)
An Idea (Passacaglia for Eli) (1999)
Viaje a la Semilla (2000)
Nuevos Estudios Sencillos (Nos. 1-10) (2001)
La Ciudad De Las Columnas (2004)
Exaedros 1
Variantes
Paisaje cubano con fiesta (2008)
Estudios Sencillos (Nos. 21-30) (2020 pour Thibault Cauvin)
Pour plusieurs guitares :
Micropiezas Hommage à Darius Milhaud (pour 2 guitares, 1957-1958)
Micropiezas No. 5 (1958)
Toccata (pour 4 guitares)
Per Suonare a Due (2 Guitares)
Paisaje Cubano Con Rumba pour 4 guitares
Acerca del cielo, el aire y la sonrisa (1978)
Pour guitare et orchestre :
Tres danzas concertantes (1958)
Concierto para Guitarra (No. 1) (1973)
Concierto de Lieja (No. 2) (1981)
Retrats Catalans (1983)
« From Yesterday to Penny Lane » for Guitar and orchestra (1985)
Concierto Elegiaco (No. 3) (1986)
Concierto de Toronto (No. 4) (1987)
Concierto de Helsinki No. 5 (1991-2)
Concierto Omaggio a Paganini (1995) (Double concerto pour violon et guitare)
Concierto de Volos (No. 6) (1997)
Concierto No. 7 « La Habana » (1998)
Concierto No. 8 « Concierto Cantata de Perugia » (1999)
Concierto No. 9 « de Benicassim » (2002)
Concierto No. 10 « Book of Signs » (2003-4) (Double concerto pour deux guitares)
Œuvres pour autres instruments :
Symphonie No. 1 (pour orchestre)
Remembrances (pour orchestre)
Anima Latina (pour orchestre)
Cadence Quatuor en Ré
Sonate pour Cor et Piano
Sonata Pian E Forte (pour piano)
Sonata pour violoncelle solo
Per suonare a Tre (pour flûte, alto, et guitare, 1970)
Pictures of Another Exhibition (pour violon, cor, et piano)
La Region Mas Transparente (pour flûte et piano)
Diary Of An Alien – Flute Solo (pour flûte)
Basso Continuo I (pour 2 clarinettes)
2009 Mitología de las Aguas (Sonate No. 1 pour flûte et guitare) – écrite et dédiée à Sef ALBERTZ