ÉTAGE 34 & Beňat ACHIARY

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ÉTAGE 34 & Beňat ACHIARY
(33 REVPERMI)

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La rencontre de Beñat ACHIARY avec ÉTAGE 34 est de celles que l’on peut définir sans ambages comme improbables et difficilement prévisibles. Elle eut pourtant lieu en 1996 à Bordeaux, où ils donnèrent leur premier concert. C’était une expérience inédite pour ÉTAGE 34, trio free-rock dont les membres, Daniel KOSKOWITZ (batterie), Olivier PAQUOTTE (guitare basse) et Dominique RÉPÉCAUD (guitares), sont pourtant coutumiers des prestations improvisées avec tel ou tel autre manipulateur d’instruments. Mais ici, l’instrument, c’est la voix, nue et fragile, trop fragile en général pour oser se confronter à un mur d’orage qui n’accorde, de par son amplitude sonore, aucun quartier.

Plusieurs écueils étaient de nature à contrarier le dialogue : d’abord, la tentation du conflit, qui aurait poussé chacune des deux parties à se faire entendre par-dessus l’autre. À ce petit jeu, la voix risquait de plier par étouffement. À l’autre bout, la tentation de la politesse mutuelle sainte-nitouche, qui aurait contraint le trio à faire rentrer au forceps dans le format « chanson » sa force d’expression et engendré la frustration d’un côté comme de l’autre. Mais ÉTAGE 34 et Beñat ACHIARY ont suffisamment râpé leurs guêtres sur les épineux sentiers des musiques libres pour avoir gommé en eux toute velléité de revenir chahuter dans les couloirs des institutions stylistiques rigides. Le goût du large ne peut que rendre sensible à l’appel d’un plus grand large…

L’album d’ÉTAGE 34 avec Beñat ACHIARY, paru sur le label maison 33 REVPERMI, rend donc compte de cette « fusion libre » que les deux forces en présence, à l’occasion de concerts sporadiques ici et là, ont déployé dans l’impact d’une fulgurance « explosante-fixe » qui balaie toute espèce de compromis. Ainsi Beñat ACHIARY ressuscite-t-il la parole de ses « sources » (Fernando PESSOA, Jon MIRANDA, Arthur RIMBAUD, Bernard MANCIET, parmi d’autres…), allant du susurrement à la déclamation, traquant la moindre ivresse vocale encore trop effarouchée à l’idée de s’exprimer pour enfin pulvériser les barricades séparant le littéraire de l’organique.

Les martèlements insatiables de la batterie de KOSKOWITZ, les bouffées grondantes de la basse de PAQUOTTE et les rafales abrasives des guitares de RÉPÉCAUD définissent un espace d’ébullition remarquablement propice à l’éclatement des cellules sémantiques d’ACHIARY en autant de giclées frontales indélébiles. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : la réussite de l’entreprise tient avant tout au respect mutuel que les titans se portent tout du long. On assiste bel et bien à une symbiose (j’allais dire : harmonieuse !) entre une culture séculaire appelée par ses « traces de résonance » et une culture urbaine qui n’existe que dans son jaillissement sonore immédiat.

On se doute toutefois que le disque n’est encore que le reflet contrarié (mais tout de même, quel souffle !) d’une fureur qui démultiplie plus sûrement ses vibrations dans le cadre de la performance live.

De la même manière que KING CRIMSON à une époque, ÉTAGE 34 et Beñat ACHIARY libèrent plus sûrement leur potentiel dans l’éphémère intensité de l’acte scénique, et l’auditeur en perçoit immédiatement les influx. Selon les cas, ou il quitte la salle, pressé par son instinct de survie de mettre un terme à l’annihilation envoûtante de ses facultés mentales, comme ce fut le cas au Festival Sons d’Hiver en 1998 ; ou bien il participe de cette trouée dans l’indicible rageur, comme ces séides basques éméchés lors du concert donné aux Instants Chavirés de Montreuil en 1999 ! C’est en tout cas le type de partage musical qui décadenasse les genres et laisse sur le carreau tous les stériles débats intégristes.

Cette leçon de choses ne se digère pas ; elle se reçoit de plein fouet, c’est tout !

Stéphane Fougère

Label: http://33revpermi.free.fr

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°4 – juillet 1999)

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