Evelyne GIRARDON : Une femme qui chante

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Evelyne GIRARDON

Une femme qui chante

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Évelyne GIRARDON est musicienne, comédienne, enseignante et chanteuse… Pionnière du mouvement folk en France, elle est devenue au fil des années la référence en ce qui concerne la transmissiondu répertoire chanté de la tradition populaire francophone.

Dans ce long entretien, elle nous parle de certaines rencontres musicales importantes de sa vie et retrace en détail sa longue carrière depuis ses débuts jusqu’à la publication de son dernier album, le très beau La Fontaine troublée.

Enfance

Je suis née au milieu des années 1950 à Lyon dans un quartier ouvrier et dans une famille où la musique avait un rôle important. Ma mère avait des origines ukrainiennes et chantait extrêmement bien, beaucoup, fort et de façon naturelle. Des années après, en rencontrant l’Italienne Giovanna MARINI, je me suis rendu compte que cette façon de chanter était une des caractéristiques du chant populaire et traditionnel.

Son répertoire était composé des « tubes » de l’époque mais aussi de mélodies des pays de l’est. Chanter était donc pour moi quelque chose de très naturel.

Renée MAYOUD

Elle a été mon professeur de musique au collège. Renée avait parfaitement compris la fonction de revendication que peut avoir la musique dans la société. Elle aimait beaucoup des artistes comme Woody GUTHRIE, Pete SEEGER et Colette MAGNY. Elle m’a dit : « avec une grosse voix comme la tienne, je vais t’emmener chanter dans les rues avec moi et mes deux fils Dominique et Jacques. ». Ce dernier a fait partie de LA BAMBOCHE et de MELUSINE entre autres.

Steve WARING

Je l’ai rencontré un peu plus tard. J’étais à l’époque institutrice et Steve est venu chanter dans ma classe. J’ai commencé à faire de l’improvisation vocale en sa compagnie grâce à LA GUIMBARDE, aux côtés de Renée. Étaient présents aussi Roger MASON et Jack TREESE. Cela s’est concrétisé par un enregistrement, La Voix. Spécial instrumental (Le Chant du Monde).

La vielle à roue

A 8 ans, j’avais vu et entendu deux vielleux à la Brasserie GEORGES de Lyon (Le JULES et LA MARIE). Cela m’a beaucoup impressionnée et je me rappelle très bien avoir dit à mon père que je jouerais plus tard de cet instrument.

J’ai réellement commencé à jouer de la vielle à roue, fin 1970 au moment où Le folk club de Lyon La Chanterelle a éclot. L’endroit a eu un rôle capital dans l’histoire du mouvement folk. Il a compté autant pour les Lyonnais que Le Bourdon pour les Parisiens.

J’ai eu plusieurs vielles à roue de Jean-Luc BLETON dont une « électrique » bien avant les « électro-acoustiques ». C’était la première au monde ! Elle est maintenant au Musée des Instruments Populaires de Montluçon et est exposée à côté de la guitare de Colette MAGNY, ce qui est un grand honneur pour moi.

J’ai fait mon premier apprentissage en 1975 avec Monsieur Georges SIMON, un maître musicien et luthier qui avait une vision assez novatrice de l’instrument et une idée très carrée et redoutablement efficace de son enseignement.

Le festival Saint-Chartier a démarré un an plus tard et j’ai eu un prix au concours de vielle niveau débutant. Il faut dire que nous n’étions pas très nombreux à l’époque (rires) !

Le mouvement folk et le répertoire traditionnel

Les revivalistes que nous étions venaient plutôt des villes. Nous n’avions pas forcément de racines régionales au sens ou on l’entend aujourd’hui. Des groupes comme MÉLUSINE, GRAND-MERE FUNIBUS FOLK et bien sûr MALICORNE n’avaient donc pas une vision locale de la musique. Il s’agissait surtout de mettre les gens en relation avec une esthétique, et de malaxer une masse sonore sur laquelle, il faut l’avouer, nous fantasmions beaucoup…

Nous étions tous autodidactes et nous nous sommes formés au fur et à mesure.

Il n’y avait pas non plus de clivage entre les instrumentistes, les chanteurs et danseurs. Dans les premiers festivals folks, tout le monde chantait. On ne pouvait pas imaginer un concert uniquement instrumental.

C’est dans ces endroits que j’ai approché la multiplicité des répertoires traditionnels qui m’a tout de suite intéressée autant pour les mélodies que pour les textes. Je collectionne toujours les recueils de chansons de France, du Québec ou d’ailleurs.

LA BAMBOCHE

Après avoir participé au groupe LA KINKERNE du musicien et collecteur savoyard JEAN-Marc JACQUIER, j’ai suivi ce groupe en 1978. C’était à un moment où les musiciens ont choisi l’électrification. Jean BLANCHARD composait des thèmes, des chansons et souhaitait avancer vers d’autres couleurs. Les arrangements restaient collectifs.

L’ambition de cette BAMBOCHE était très simple : faire de la musique traditionnelle avec des instruments « modernes » sans rien renier.

Le cinquième album de la formation, La Saison des Amours (1978) comportent des textes issus de la tradition ainsi que quelques compositions originales. J’ai interprété la majeure partie des chansons de ce disque.

Il y a eu ensuite Née de la lune, sorti en 1980. L’univers est teinté folk rock.

Jean BLANCHARD

Quand le groupe s’est arrêté, j’ai continué de tourner avec Jean. Nous avons formé d’abord le duo BLANCHARD-GIRARDON (cornemuse-vielle-chant) que nous avons recréé d’ailleurs il y a quelque temps sur d’autres bases musicales.

Nous avons créé BEAU TEMPS SUR LA PROVINCE avec le guitariste Denis GASSER puis successivement en 1981 avec le percussionniste Max DI NAPOLI, Michel PICHON (vielle à roue, accordéon), Pascal PARIAUD (clarinette). Nous avons fait quelques enregistrements. Il s’agissait de musiques traditionnelles arrangées.

LA COMPAGNIE DU BEAU TEMPS (1986)

Cette structuration en « compagnie » nous a permis de travailler avec des comédiens et des metteurs en scène à Lyon et d’aborder une autre forme pour livrer les répertoires.

Il y avait du chant, de la musique instrumentale, mais aussi un propos théâtral.

J’ai parfois été comédienne, j’ai souvent été invitée au théâtre comme chanteuse ou instrumentiste, avec, entre autres, Jacques WEBER ou Marcel MARÉCHAL et Dominique TOUZE.

Amour de fusain (1988)

Le label Ocora et l’AMTA ont édité plusieurs CD de musique traditionnelle de France : Jean BLANCHARD et Éric MONTBEL pour la cornemuse, Gilles CHABENAT pour la vielle à roue. J’ai fait un CD de chansons collectées en France et au Québec. Ce fut mon premier CD solo. C’est à la suite de cet enregistrement (qui a eu le Grand Prix international du disque de l’Académie Charles Cros) que j’ai décidé de réunir des amies chanteuses pour créer ROULEZ FILLETTES.

ROULEZ FILLETTES

Les chanteuses qui sont passées dans cette formation polyphonique (Sylvie BERGER, Yannick GUILLOUX, Solange PANIS, Michèle DELABBAYE entre autres) se sont toutes énormément impliquées. Nous avons enregistré deux CD. Les chansons étaient de tradition populaire ou d’auteurs comme Mélaine FAVENNEC et Gabriel YACOUB. J’ai contribué au répertoire en composant quelques titres et en réalisant les arrangements.

VOICE UNION

Dans le même temps, j’ai participé à la création de ce trio passionnant avec Liliane BERTOLO, et Sandra KERR, pour tisser les liens entre les traditions vocales de France, du Val d’Aoste, et de Grande-Bretagne. On a enregistré un CD et fait une tournée importante en Grande-Bretagne grâce à Folkworks (Ros Rigby).

LA COMPAGNIE BELINE

Depuis de nombreuses années, j’avais fondé cette association destinée à organiser des stages ou événements pour un public amateur.

Fin 1999, cette association est devenue une « vraie » compagnie professionnelle toujours bien présente et qui regroupent des artistes amoureux de la polyphonie et des chansons de la tradition orale.

LA COMPAGNIE BELINE, c’est avant tout un état d’esprit et une famille artistique qui évolue en fonction des projets.

De « laissez faire et laissez dire » à « l’ailleurs de l’avant »

De nombreuses créations ont vu le jour comme Laissez Faire et Laissez dire (2002) pour Radio France qui a engendré Laissez chanter qui voudra (la suite du couplet !) et le trio vocal a capella TRAD-ARRGT.

Je pense aussi à des projets importants comme Le Pommier doux… si doux (2000) sur des collectages d’Achille MILLIEN ou plus récemment le spectacle Noces Bayna avec Fawzy AL AIEDY (2008).

Puis la parution du double CD Répertoire (2005) qui a permis de faire connaître un titre traditionnel d’Ardèche aux jeunes lycéens qui passèrent le BAC musique en 2009 et 2010. L’ailleurs de l’avant (2009), a été une commande des Francofolies de La Rochelle et de son directeur Gérard PONT : un spectacle sur la chanson traditionnelle française avec des anciennes de Roulez Fillettes, François LAZAREVITCH, Soig SIBERIL et Gilles CHABENAT. Ce fut un beau succès public et critique mais un gouffre financier… pour la petite COMPAGNIE BELINE, non subventionnée et peu accompagnée…

La fontaine troublée
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Cet album est un bilan musical. J’y ai mis des choses extrêmement personnelles. Il y a des chansons traditionnelles ou d’autres que j’ai écrites, celles des poètes que j’aime…

C’est un disque qui ne ressemble pas aux précédents. Il y a plusieurs raisons à cela.

Après les Francofolies, de nombreuses personnes m’ont encouragée à une interprétation en soliste. La rencontre avec Gilles CHABENAT a été déterminante. Avec I MUVRINI, Gabriel YACOUB et d’autres, il a développé un système de jeu au service du chant.

Les autres artistes qui m’accompagnent sur ce CD sont aussi non seulement de formidables musiciens et chanteurs mais des personnes humainement fortes, qui ont cru à mon travail. La solidarité, l’amitié est un maillon essentiel pour moi.

Conclusion provisoire

J’ai maintenant le privilège de la durée et le sentiment d’avoir toujours été dans des histoires de métissage, de croisements. Le milieu des musiques traditionnelles s’est beaucoup développé autour de la danse. Ma fonction est ailleurs car je préfère plutôt les histoires chantées, les chansons en français. J’y suis donc peu programmée. Depuis une quinzaine d’années, j’ai étendu mes activités autour d’une pratique vocale différente. J’aime la transmission, c’est l’endroit où je peux partager le mieux ce qui me passionne le plus.

Propos recueillis par Frantz-Minh Raimbourg

Site : www.ciebeline.com

Discographie

La Voix (Coll. spécial instrumental) (Le Chant du monde)

-La Saison des amours (LA BAMBOCHE) – Ballon noir

La Confrérie des fous (LA CONFRÉRIE DES FOUS) (Ballon noir)

Née de la lune (LA BAMBOCHE) (WEA Filipacchi)

Beau temps sur la province – (Éditions Beau Temps)

La Compagnie du Beau temps (LA COMPAGNIE DU BEAU TEMPS) (Arion)

Amour de fusain (OCORA-Radio-France – Grand Prix international du disque de l’Académie Charles Cros)

Amour que j’ai (ROULEZ FILLETTES) (Auvidis – Grand Prix international du disque de l’Académie Charles Cros)

Le Grand Festin (LA COMPAGNIE DU BEAU TEMPS) (Auvidis)

Musicalpina (Éditions Musicalpina)

Anthologie de la musique traditionnelle (EPM)

Hommage à Barbillat et Touraine (CMDT BERRY)

Depuis des Lunes (ROULEZ FILLETTES) (L’Autre Distribution)

Voice Union (Fellside Recording)

Millien, Le Pommier Doux (Harmonia Mundi / FAMDT)

Atlas Sonore 18, répertoire Julien Tiersot (CMTRA)

Répertoire (double CD) (L’autre Distribution – Choc Monde de la musique)

Noces Bayna (avec Fawzy AL AIEDY) (Victorie Musiques – Universal)

-La Fontaine Troublée (L’Autre Distribution)

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