SERENDOU – Avel an Douar
(Hirustica / Coop Breizh)
Les métissages entre les cultures africaines et celtiques ont déjà une certaine histoire. Mais jusqu’à présent, ils ont surtout été illustrés par de grands rassemblements de musiciens des deux continents qui jouaient la grand-messe (AFRO CELT SOUND SYSTEM, KELTIAFRIKA, NOMA’S…). Il y a aussi eu des projets de dimension plus restreinte et plus recentrés sur la culture bretonne et une culture africaine ; citons la création Lila-Noz de KERHUN ET LES GNAWAS et l’ensemble N’DIALE, qui regroupe le Jacky MOLARD QUARTET et le Founé DIARRA TRIO du Mali. Mais SERENDOU inaugure une formule à la fois plus intimiste – puisqu’il s’agit d’un trio – et plus minimaliste, puisque son instrumentarium ne comprend à la base que des vents et des peaux !
SERENDOU, c’est avant tout un dialogue de flûtistes incarnant chacun une culture différente. Avec sa flûte traversière en ébène, Jean-Luc THOMAS, co-fondateur du label breton Hirustica, est connu pour ses recherches sur la matière bretonne et ses ouvertures sur d’autres cultures du monde (Irlande, Brésil, Afrique du Nord et de l’Ouest, Pologne, Syrie, Kurdistan), qu’il fait connaître dans le Trégor.
L’artiste nigérien Yacouba MOUMOUNI est pour sa part un grand connaisseur des traditions Peuls (dont il est issu), Songhaï, Haoussa et Djerma et fut le fondateur du célèbre groupe ethno-pop-jazz MAMAR KASSEY, dont il est le chanteur charismatique. Lui qui dirigea naguère les ateliers du projet « Voix du Sahel » a cependant décidé de se taire pour se consacrer à la flûte et en jouer de plusieurs sortes dans SERENDOU, dont le nom désigne précisément une flûte peul (tout comme la céissé et la séréwa).
Initié à l’occasion du festival Africolor en 2006, SERENDOU a attendu quatre ans pour enregistrer son premier disque, Avel an Douar (qui signifie fort judicieusement « Le Vent de la Terre »). Riche d’une complicité accrue par plusieurs concerts, résidences et voyages, SERENDOU s’écoute comme on lirait un carnet de routes, lesquelles feraient sans cesse la navette entre la Bretagne et le Niger. Les pièces enregistrées puisent ainsi à diverses sources traditionnelles : chanson haoussa, airs de danse du pays gallo ou du pays vannetais, chanson peul, gavotte, danse zarma, thème gourmantché… auxquelles s’ajoutent des compositions de Jean-Luc et de Yacouba. Certains morceaux sont même conçus comme des « suites » enchaînant thèmes bretons et nigériens (Bandaberi / Lamourou, Marche de l’entremetteur / Djoua Djoua, Hanter Dro, Tour’Arenia). C’est dire si la musique de SERENDOU est parée de plusieurs couleurs rendues avec énormément de subtilité et de dynamisme.
Mais au fait, on a bien dit que SERENDOU était un trio ? Oui, puisque les flûtes sont accompagnées par… UNE (!) percussion, la calebasse de Boubacar SOULEYMANE. Quand on sait que lui aussi est un grand connaisseur des rythmes du Sahel (peul, touareg, songhaï), on peut s’étonner qu’il n’ait été réquisitionné que pour jouer d’un seul instrument, alors qu’il joue par ailleurs d’autres instruments traditionnels nigériens, comme le kountigui (luth à une seule corde). Mais sa maîtrise de la calebasse en fait un élément essentiel de la richesse rythmique déployée au sein de SERENDOU.
Néanmoins, à ceux qui jugeraient la formule flûtes + percussion un brin trop monotone et lassante, SERENDOU a déjà anticipé un élargissement de son spectre instrumental, puisque Yacouba MOUMOUNI fait quand même entendre son timbre de voix et qu’il s’empare du kamélé n’goni (harpe-luth de six à douze cordes) sur La Famille et Daneedjo, que Boubacar SOULEYMANE prend les devants et le chant sur la chanson peul Les 7 Saints, et que Jean-Luc THOMAS distille ça et là des traitements électroniques divers, ajoutant une ligne de simili-orgue ou de simili-synthé, ou une pulsation rythmique désespérante de métronomie, ce qui nous vaut une confrontation virtuelle aussi singulière que vaine (puisque perdu d’avance pour ladite pulsation programmée) avec la calebasse de Boubacar sur Diom Serendou.
L’usage de l’électro pourra évidemment faire tiquer certains auditeurs, et leur signaler que celle-ci reste assez discrète n’arrangera peut-être rien à l’affaire, car cela ne manquera pas d’apparaître comme un choix artistique timoré ou stérile. Il faudra donc se contenter (ou se satisfaire) de la discrétion de ces programmations, et l’on appréciera d’autant plus la spatialisation effectuée sur les sons des flûtes, alors que la calebasse préserve un son sec. Au royaume de SERENDOU, les flûtes sont de toute façon reines, et c’est avec délectation qu’on les suit dans leurs baguenauderies mélodiques enivrantes.
Stéphane Fougère
Label : www.hirustica.com