FAUST
The « Art-Errorists » Connection
Brouilleur de cartes d’identités sonores et stylistiques, FAUST fait partie de ces irréductibles aventuriers des années 1970 qui ont ouvert les portes des musiques « autres », combinant langages musicaux populaires et expérimentaux dans un maelström unique. Le fait que FAUST fasse aujourd’hui référence auprès de groupes en vogue comme GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR, RADIOHEAD ou STEREOLAB, après l’avoir été auprès de THIS HEAT et autres THROBBING GRISTLE, situe son importance à travers les générations qui suivirent.
FAUST est tout et « rien » de ce qu’on peut imaginer, et en dépit de ses renouvellements de personnel, FAUST reste FAUST, réfractaire par nature à toute compromission, et fait toujours partie du paysage underground. Plus qu’une légende, c’est un « acte » musical en perpétuel mouvement, imperméable au temps, même les « jours de pluie ».
En 36 ans de carrière, ce pilier d’un certain rock expérimental teuton qu’est FAUST ne s’est produit que sporadiquement sur scène en France, et a fortiori sur la capitale. Sa dernière tournée française remonte en effet à 1996. Aussi, l’année 2006 est à marquer d’une pierre blanche puisque le groupe est revenu à deux reprises dans l’hexagone, avec une formation très remaniée par rapport à celle qui a sorti des disques ces dernières années sur le label Klangbad, et comprenant l’inébranlable pilier et batteur Werner « Zappi » DIERMAIER, l’imprévisible poète des mots et des sons Jean-Hervé P RON, de retour après plusieurs années d’absence, et deux membres du groupe de rock indus-expérimental français ULAN BATOR, Amaury CAMBUZAT et Olivier MANCHION, spécialistes du triturage de guitares.
À l’heure où le passé de FAUST fait l’objet d’une nouvelle exploitation discographique et littéraire (l’indispensable coffret de 5 CD The Wümme Years sur le label ReR ; le livre d’Andy WILSON, Faust : Strecht Out Time (1970-75) ; la réédition remastérisée de l’album Faust IV sur EMI avec un CD bonus comprenant BBC sessions et versions alternatives), TRAVERSES/RYTHMES CROISÉS est pour sa part allé s’enquérir du présent de FAUST ; et ce n’est certes pas un fossile qu’il a trouvé, mais bien une bête encore sauvage, délurée et allergique à la domestication.
FAUST à Paris : jours de pluie et de repassage
Au printemps et à l’été 2006, FAUST est donc revenu sur le sol français, avec un passage très remarqué au festival Nuits Sonores de Lyon, invitant pour l’occasion Keef ROBS et Walter MONNEN, et alternant improvisations et classiques des 70’s, dont des pièces réputées injouables, comme Meadow Meal et Why Don’t You Eat Carrots ? A Paris, le groupe était à l’affiche du festival Villette Sonique, pour lequel furent invités la violoniste Lilla PERON-MICHEL et… rien moins que l’ancien bassiste de HENRY COW, John GREAVES, qui jouait pour la première fois avec FAUST !
Pour ce concert également, FAUST a revisité plusieurs « classiques » de son répertoire des 70’s, tel Mamie is Blue, Giggy Smile, et It’s a Rainy Day Sunshine Girl, particulièrement adapté au contexte du jour, puisque FAUST devait en effet à l’origine jouer en extérieur, mais les caprices de la météo ont imposé un repli du concert vers un obscur dépôt, La Halle au Cuir ! Le concert a aussi été garni de surprenantes improvisations nourries par un instrumentarium démentiel comprenant, outre les guitares et les claviers, deux sets de percussions pléthoriques, une bétonneuse, une perceuse, des chaînes, des barres de fer, une planche à repasser, etc.
En novembre 2006, le groupe – réduit cette fois à un trio, du fait de l’absence d’Olivier MANCHION – est revenu en France pour quelques dates. Celle de Paris, le 9 novembre au Nouveau Casino, a donné une autre image du groupe, attestant ainsi de sa légendaire imprévisibilité. Dans un élan surréaliste qui n’appartient qu’à lui, PÉRON avait d’abord pris soin de remplir la salle de maïs séché répandant une odeur peu commune (au grand désarroi des gens du Nouveau Casino, qui venaient de tout nettoyer !).
Autre surprise, c’est la chanteuse du groupe londonien BENDER, Géraldine SWAYNE, qui débuta le concert, puis le groupe activa ses deux (!) bétonneuses – placées dans la salle pour cause de scène trop exiguë – dans lesquelles Amaury CAMBUZAT se mit à jeter objets métalliques, puis Zappi des barres de fer, et le groupe livra un « set-happening » majoritairement constitué d’improvisations bruitistes ou mélodiques, abrasives et humoristiques (toujours le sketch du repassage), entre avant-gardisme et rock indé-garage ; et juste deux/trois morceaux « classiques » (Hurricane, It’s a Rainy Day…, J’ai mal aux dents). Pour le final, une souffleuse électrique (!) a été mise en branle, projetant encore du maïs séché. Il n’y a pas à dire : FAUST, c’est la décongestion auditive garantie !
Nous avons rencontré le trio lors de son concert parisien de novembre.
Brève rencontre avec FAUST
Ce soir, vous allez jouer à trois. S’agit-il d’une formation spéciale ou d’une formation définitive ?
Werner « Zappi » DIERMAIER : C’est en effet une nouvelle formation de FAUST en trio qui se produit ce soir. Il y a deux ans nous étions quatre, avec Olivier MANCHION. Mais vu que ce dernier vient d’avoir un bébé, nous ne jouons actuellement qu’à trois, ce qui ne nous pose pas plus de problème que ça.
Amaury, tu as été membre d’ULAN BATOR, avec Olivier MANCHION ?
Amaury CAMBUZAT : Oui, et j’en suis toujours un ! Le groupe existe encore.
De quand date la première rencontre entre les membres de FAUST et ceux d’ULAN BATOR ; à peu près dix ans, non ?
WZD : Ça remonte à 1996.
AC : Ça fera dix ans après-demain, à l’occasion du festival Musiques Volantes, à Metz. C’est en effet à ce festival qu’on a joué ensemble pour la première fois il y a dix ans. Ce sera l’occasion de fêter l’anniversaire de notre collaboration. C’est une coïncidence, mais plutôt heureuse.
Jean-Hervé PERON : Une « amazing » coïncidence !
AC : Je dirais même plus : « gorgeous » !
Comment s’est faite votre rencontre ?
WZD : Je crois que c’est Jean-Hervé qui a organisé la rencontre et qui a poussé à créer cette nouvelle formation. On a essayé, et il y a eu un premier concert ; on a joué ensemble, notamment Hurricane, un morceau qui figure sur l’album You Know FAUST, et ça s’est très bien passé. Amaury jouait de la guitare comme je ne l’avais jamais vu ! Même en tombant de la scène, il continuait à jouer… Ça venait vraiment du cœur !
Amaury, tu connaissais déjà FAUST, avant cette rencontre ?
AC : Oui, bien sûr.
JHP : Zappi a dit que c’est moi qui avait contacté Olivier (MANCHION), mais je pense que c’est le contraire. Olivier connaissait bien les musiciens qui se produisaient sur la scène du festival ; il fut assez enthousiaste vis-à-vis de FAUST et m’a contacté. On a sympathisé, on est devenus amis, et plus tard Olivier a suggéré à Amaury de venir assister à un concert que FAUST donnait à Bremen… ou à Köln. Oui, Köln ! C’est là qu’on s’est rencontrés pour la première fois.
Après cela, on a connu des difficultés au sein du groupe FAUST, et on a décidés tous ensemble que FAUST et ULAN BATOR (au complet, donc à l’époque avec Frank LANTIGNAC) devaient jouer au même moment sur deux scènes. Cela s’est produit à Nantes, au festival Trafics. Il y avait donc deux grandes scènes ; FAUST jouait sur l’une, et ULAN BATOR sur l’autre, au même moment, mais ils ne jouaient pas la même chose. Ce fut un concert « interactif », en somme.
Et quel en a été le résultat ? C’était écoutable ?
JHP : Personne ne peut décider de la qualité de la musique.
WZD : Oui, je crois que tout ce qu’on fait est « vrai », authentique. Quand on se sent mal, ça se sent dans la musique ; quand on est joyeux, ça se sent aussi : c’est de l’authentique. On joue ce qu’on ressent sur le moment.
Et ce soir-là, ça a marché !
JHP : Pour nous, ça fonctionne toujours. Pour le public, c’est vrai qu’on prend un risque, et je pense que le public partage ce même risque. On peut donner un concert avec le type de musique qu’il souhaite entendre, et parfois on fait autre chose de totalement inattendu. Là est le risque.
Le public doit donc s’attendre à prendre des risques ?
JHP : Oui. Ça fait quarante ans qu’on est sur les routes, et le public sait à quoi il doit s’attendre. Enfin, non, il ne sait pas à quoi s’attendre, mais il sait qu’il ne le sait pas !
Le « nouveau FAUST », du moins le FAUST actuel, a donc fait ses débuts lors de ce concert à Metz en 1996 et ces concerts communs en 1997 ?
JHP : Je ne crois pas qu’on puisse parler d’un « nouveau FAUST ». Il n’y a pas véritablement de « nouveau FAUST ». FAUST n’est pas un groupe dépendant d’un nom, c’est une attitude envers la musique. Donc, c’est vrai que, dans cette formation, Zappi et moi sommes les derniers membres originels de FAUST. Mais quelle que soit la formation de FAUST, ce n’est pas un « nouveau FAUST », mais un prolongement, une continuation de FAUST. Et le 1er décembre, nous allons présenter un nouveau CD à Londres, ça c’est important. Ce sera une première.
WZD : Le CD n’est pas prêt, mais nous avons du matériel, enregistré en studio en juin dernier, et deux ou trois producteurs ont mis en boîte quatre chansons, et nous les présenterons.
JHP : Et l’un de ces producteurs est Steve STAPPLETON, de NURSE WITH WOUND. Il a déjà mixé quelques morceaux, et tout cela pourra être présenté à Londres.
Quel répertoire jouez-vous actuellement sur scène ?
WZD : Ce soir, nous jouerons deux vieux morceaux, et le reste sera constitué d’improvisations. Ces improvisations ont été préparées, discutées, peut-être qu’on les fera, peut-être pas.
JHP : Elles ressemblent à ça… [NDLR : Il me montre une feuille comportant plusieurs dessins.]
WZD : Nous avons des « sketches », des canevas. En fait, on ne sait pas à quel moment on jouera les deux vieux morceaux, ça se décidera sur scène…
La dernière fois que vous vous êtes produits en concert à Paris, à la Villette en juin 2006, vous aviez joué beaucoup de vieux morceaux ; donc le répertoire varie constamment…
JHP : Oui, absolument. On expérimente tout ce qui peut être optimal pour nous, et on voit ce qui est le mieux pour nous comme pour le public. Évidemment, on est aussi là pour le public ! Tout dépend de ce que nous trois décidons. On discute, on développe un concept, on se met d’accord sur certaines choses, on voit ce qui a été fait avant, ce qui a fonctionné, ce qui a plu, comment on l’a senti, etc. On pense à tout ça, et on décide de ce qu’on va faire parfois une semaine avant le nouveau concert, parfois le soir même.
WZD : Quand on tournait dans les années 1970, on n ‘avait jamais de concept préétabli. On montait sur scène sans savoir ce qu’on allait faire. Quelqu’un pouvait faire tomber une cuillère par terre, c’était le signe du début du concert et c’était parti, on commençait à jouer !
Du coup, les improvisations peuvent se faire plus ou moins longues, en fonction de la réaction du public, aussi ?
JHP : Absolument ! Quand on improvise, on réagit avec le public. Quand celui-ci est chaud, ça nous porte ! Ça nous excite et nous pousse à en faire plus, d’aller plus loin, plus profond.
Le prochain CD sera donc lui aussi basé sur des impros ?
AC : Nous avons enregistré dans un studio à Hambourg durant quatre jours, on a juste improvisé, et on a donc un CD d’une heure d’improvisation. Pas de pièces écrites.
JHP : On en a décidé ainsi. Zappi a décidé, et on a été d’accords, pour se rendre en studio, en prenant la précaution d’avoir un lieu présentant des conditions optimales, et dans lequel les instruments ont été préparés et réglés à l’avance. On appelle ça entre nous un « enregistrement naturel ». Et on improvise sur les instruments qui sont prêts à être utilisés.
WZD : Et à partir de là, on « cut » plusieurs pièces.
Donc écrire des morceaux ne vous branche plus ?
JHP : Attention, ce n’est pas parce qu’on fait ça aujourd’hui qu’on le fera tout le temps. C’est juste que, là, on a décidés d’agir comme ça. Mais bien sûr qu’on fera des morceaux écrits… On n’a jamais choisi de faire que de l’écrit ou que de l’improvisation.
J’ai entendu dire qu’il y aura un film sur FAUST projeté lors du concert à Londres ?
WZD : Oui, c’est un film réalisé en 1996 à l’occasion d’un concert au Garage, à Londres.
JHP : Ce concert a été considéré par les gens comme une « soirée légendaire ». Tout a semblé fonctionné au mieux ce soir-là. Nous étions dans un « good mood », très énergiques, et on avait une formation au top, et les gens exultaient ! Tout a extraordinairement bien marché, et on a eu de plus la chance d’avoir ce soir-là deux équipes de tournage qui ont filmé ça. Nous avons de même un enregistrement audio très professionnel. Tout cela mis ensemble fait qu’on a un excellent matériel pour un film.
Sera-t-il disponible en DVD ?
JHP : Oui, il paraîtra en DVD et sera réalisé par le label Emyr Aankst Records, du Pays de Galles. Emyr est un cinéaste jeune et dynamique qui a déjà gagné un prix et qui a plein de projets.
(NDLR : Ce DVD est depuis sorti sous le titre Nobody Knows if it ever Happened. Lire notre chronique.)
Réalisé par Stéphane Fougère – Photos : Sylvie Hamon
(La Halle au Cuir) et Stéphane Fougère (Nouveau Casino)
(Article original publié dans
TRAVERSES n°21 – janvier 2007)