François CAUSSE / Yochk’o SEFFER – Elektrofar (Concerto pour robots-percussionnistes)
(ACEL / Inouïe Distribution)
Ce disque relève de la science-fiction. N’allez pas vous imaginer par là qu’il contient de la musique science-fictionesque (encore que…) ou bien qu’il s’agit de la bande originale d’un film de science-fiction. Non, son sous-titre n’a rien d’un gag, il contient bel et bien un Concerto pour robots-percussionnistes ; et sa conception même pourrait faire dire à n’importe quel auditeur candide « c’est de la science-fiction ! ». Il fallait bien des têtes brûlées pour oser pareille aventure, et quand on connaît un tant soi peu le pedigree de François CAUSSE et de Yochk’o SEFFER, on ne peut être qu’à moitié étonnés.
Le premier, batteur-percussionniste d’origine tahitienne, a eu un parcours pour le moins éclectique : s’il a commencé à jouer pour Bernard LAVILLIERS dès l’âge de quinze ans, il a depuis accompagné des formations aussi variées que l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, GONG, Christian VANDER OFFERING, et a joué aux côtés de Didier LOCKWOOD, Hubert-Félix THIEFAINE, Alain BASHUNG, Ima SUMAC, Percy SLEDGE, Jean-François PAUVROS et Keiji HAÏNO, Charlélie COUTURE, « M », etc.
Le second, saxophoniste, clarinettiste, pianiste et joueur de tarogato hongrois, a participé, voire fondé, certaines des créations et des formations dont la visée artistique était résolument au carrefour du jazz-rock, du free jazz et de la musique contemporaine, comme PERCEPTION, MAGMA, ZAO, SPEED LIMIT, NEFFESH MUSIC, sans parler de sa carrière soliste plantureuse et de sa discographie qui ne l’est pas moins (dont certains fleurons ont été chroniqués dans les pages de ce site) !
SEFFER et CAUSSE ont aussi croisé le fer ensemble à plusieurs reprises, notamment dans la reformation de ZAO dans les années 2000, et dans l’une de ses formations dérivées, ETHNIC TRIO, en compagnie de feu le pianiste François « Faton » CAHEN, mais ils n’avaient encore jamais réalisé d’album ensemble. Pour autant, on aurait un peu de mal à dire que ce disque est l’œuvre d’un duo puisque les deux compères ne sont pas seuls à y jouer. Ils sont en effet accompagnés par (à moins qu’ils n’accompagnent eux-mêmes) une garnison de robots-percussionnistes.
Ces derniers ont été conçus il y a déjà quelques lustres par François CAUSSE et un ami d’enfance, le sculpteur-inventeur Alain MILON. Leur idée était de construire une machine jouant de la batterie encore mieux qu’un être humain ! C’était sans doute quelque peu présomptueux, mais au fil du temps, et la technologie MIDI aidant, ils sont parvenus à programmer des compositions entières pour leur machinerie percussive, qui a su intégrer la souplesse, la vélocité et les nuances de jeu d’un vrai batteur. Alain BASHUNG et Mathieu CHEDID les ont notamment « recruté » pour des spectacles.
Depuis, CAUSSE et MILON ont encore perfectionné leurs robots-percussionnistes et les ont mis au niveau des possibilités informatiques actuelles, en leur programmant qui plus est un « toucher » jazz.
Inspiré par ses années où il jouait avec les Percussions de Strasbourg, François CAUSSE eut l’idée de réaliser une musique contemporaine avec ces machines, et a convié fort logiquement Yochk’o SEFFER, jamais frileux dès qu’il s’agit de s’investir dans un projet innovant, et ce à plus de 80 ans s’il vous plaît !
Fruit de cette singulière exploration sonore, Elektrofar contient neuf compositions conçues par Yochk’o qui en a écrit les notes, et François, qui les a calculé et programmé, tout en s’investissant aussi dans la composition, mais d’une autre manière, et leur interprétation est assurée par les robots-percussionnistes, avec le concours de ces deux énergumènes humains.
À l’écoute, on pourrait très bien se persuader que l’on écoute un disque de SEFFER et CAUSSE en compagnie d’un orchestre comprenant cordes, cuivres, percussions, batterie et piano. Si l’on est a priori loin de la musique jouée à l’époque par ZAO ou ETHNIC TRIO, on en retrouve les ingrédients, les composantes, les influences, les aspirations, bref tout l’univers que CAUSSE et SEFFER nous ont habitués à découvrir auparavant, avec toujours ce souci de brouiller les pistes entre écriture savante et improvisation. Sauf que tout cela est joué par des robots-percussionnistes dont ils ne sont que les accompagnants.
Bien malin qui pourrait dire où et quand ce sont les humains qui jouent ou les machines. Même une oreille affûtée finira par reconnaître que ces robots, en dépit de leur nature – et donc de leur limite – mécanique, ont su intégrer une part de « groove », à force de décalages subtils et d’effets de ralentissements qui tempèrent leur jeu en mode bûcheron, et savent même improviser, même si c’est de façon accidentelle. Car, comme l’explique François CAUSSE, ces machines étant très lourdes, elles bougent quand elles jouent ! Aussi, bien qu’agissant en fonction d’une programmation horlogère haute précision, de légers mouvements peuvent se produire qui décalent subtilement leurs frappes. Néanmoins, elles n’en sont pas encore au point de reproduire ni de dépasser le toucher et le « swing » humains (mais ce n’est peut-être qu’une question de temps…).
Faut-il voir dans Elektrofar l’exposé d’une confrontation homme/machine ou d’une collaboration entre outils et créateurs ? Il fait en tout cas état d’un nouveau dépassement dans le parcours artistique des deux musiciens qui l’ont confectionné. Elektrofar, ou les aventures de François CAUSSE et Yochk’o SEFFER au pays de Westworld, est une expérience à tenter absolument.
Stéphane Fougère
Label : http://www.acel-enligne.fr/discElektrofar.html