Gamelan of Central Java (3 CDs Box : Flowers / The Meditative Gender / Colours)

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Gamelan of Central Java (3 CDs Box : Flowers / The Meditative Gender / Colours)
(Yantra Productions / Arion)

L’esprit désireux d’atteindre les portes musicales du silence dévotionnel et méditatif rencontre tôt ou tard la musique de gamelan, cet ensemble de métallophones et de gongs, auxquels s’ajoutent la voix humaine et le rebab (vièle), qui caractérise la musique indonésienne, plus particulièrement les musiques balinaise et javanaise. Cette dernière se distingue notamment par sa délicatesse, son élégance, sa douceur et représente à cet égard le refuge idéal de toute âme avide de retraite intérieure, alors que les gamelans de Bali sont réputés pour leur plus grande vivacité rythmique. Dans les deux cas, l’hypnose est au rendez-vous.

Cependant, l’oreille occidentale a toujours été davantage habituée aux résonances percutantes des gamelans de Bali et moins aux appels feutrés de ceux de Java. C’est pourquoi il convient de saluer aujourd’hui la parution de ce coffret de trois CDs entièrement consacré au gamelan de la province Java central. Cette publication exceptionnelle, saluée par un « coup de cœur » de l’académie Charles-Cros en 2004, a été réalisée par le producteur John Noise MANIS, alias Giovanni SCIARRINO, à qui l’on doit également la plantureuse collection de quinze volumes Gamelan of Central Java parue chez Dunya/Felmay.

Les trois CDs inclus dans ce coffret mettent en valeur les talentueux musiciens du  Collège des arts de Surakarta (STSI Surakarta, aujourd’hui renommé ISI Surakarta), sous la direction musicale de Joko PURWANTO. Chacun de ces CD correspond à une thématique qui permet de se familiariser directement avec l’esthétique et la spiritualité constitutives de l’esprit du gamelan javanais.

Le premier, Flowers, explore comme on l’aura deviné le thème floral et contient quatre pièces légendaires du répertoire javanais dont le titre évoque une symbolique des fleurs. On y trouve notamment la plus célèbre des pièces du gamelan de Java, Puspa Warna, interprétée ici en version intégrale, soit avec ces neuf strophes chantées, ce qui est assez rare pour ne pas dire inédit. On ne pouvait rêver meilleure introduction à ce répertoire.

Toutefois, pour pallier au risque de monotonie, on a choisi d’accompagner chaque strophe par une orchestration renouvelée faisant intervenir chaque composante du gamelan (gender, métallophone « bonang », rebab, voix féminine – ou « pesinden » –, chœur masculin – ou «gerong» –, tambour « khendang »), quitte à faire de menues entorses aux règles traditionnelles de jeu.

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Les pièces suivantes, tout aussi sublimes et rares, sont jouées dans des modes et des rythmes différents et reconstituent, dans les limites imparties au CD, l’évolution atmosphérique d’un concert traditionnel de gamelan (« klenangen »).

Le deuxième CD (The Meditative Gender) est entièrement consacré au gender, cet instrument formé de fines lamelles de bronze suspendues sur des résonateurs tubulaires que l’on joue avec des mailloches et dont les sonorités à la fois étouffées, allongées et langoureuses concourent à sa réputation d’instrument des plus raffinés et des plus complexes qui soient. Le gender est ainsi perçu comme l’instrument, ou plutôt le « véhicule sensoriel » idéal, en tout cas le plus apte à transmettre le « rasa », concept javanais imprégné de spiritualité indo-bouddhiste puisant jusque dans le tantrisme et dans le soufisme et qui comporte le double sens de « ressentir » et de « signifier ».

Difficilement traduisible dans le langage de la mentalité occidentale, plus en rapport avec la fluidité des sentiments qu’avec la mécanique rationnelle, le rasa est lié à une approche mystique de la pratique du gender, de même que son écoute. Ainsi, le jeu soliste conduit à la méditation ultime, et les pièces sélectionnées pour ce CD, jouées en mode « pelog » ou en mode « slendro », se révèlent assez convaincantes sur ce sujet. Elles sont de temps à autre entrecoupées de morceaux faisant intervenir une pesindhen (chanteuse), dont la voix est également considérée pour ses vertus expressives en matière de méditation.

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Le CD contient de plus une rare composition pour gender et voix soliste masculine, et présente deux versions d’une pièce, l’une jouée dans le style dit féminin (ou villageois), doux et flottant, et l’autre dans le style dit masculin (ou urbain), plus tendu et structuré. À l’écoute des dix pièces choisies, on est très vite « saisi » par la dimension à la fois introspective et ésotérique qui émane des propriétés timbrales du gender.

Le troisième CD, Colours, prend une allure un rien plus pédagogique puisqu’il présente un panorama de pièces généralement courtes extraites de compositions plus étendues, ou encore des thèmes classiques improvisés, mettant en évidence la singularité sonore de chaque composant du gamelan javanais. Les bonang (« gamelles » de bronze retournées sur un cadre de bois), le gender, la vièle rebab, le tambour khendang et la chanteuse pesindhen, auxquels nous ont déjà habitués les deux précédents CD, se font entendre ici dans des combinaisons peu courantes et dans des formes parfois improvisées (on notera aussi la pièce n° 11 jouée au gender selon la forme d’une toccata occidentale).

On découvrira de plus l’inhabituel « kemanak » (paire de plaques de bronze recourbées), le gong, le xylophone « gembang » et la flûte « suling ». Des pièces solistes alternent avec d’autres jouées en duo, en trio, ou par des ensembles réduits et offrent l’opportunité de comparer les deux principales échelles de la musique de Java, le pelog à sept notes et le slendro à cinq notes, dont les ambiances diffèrent.

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Les débutants en gamelan ne pourraient rêver meilleure méthode de familiarisation aux formes d’expression de la musique de Java central, et les connaisseurs se délecteront sûrement de ces singulières mosaïques.

À ces trois CD s’ajoute un livret de plus de quarante pages contenant de généreux commentaires sur les caractéristiques musicales et spirituelles du gamelan javanais, de précieuses notes hautement instructives sur chaque enregistrement ainsi que deux essais critiques aussi rigoureux qu’éclairants.

Si l’aspect extérieur de ce coffret est certes modeste et sa taille réduite, au point qu’on n’imagine mal qu’il puisse renfermer trois CD et un épais livret, son contenu musical est de tout premier ordre et projette l’oreille et l’esprit dans un espace vibratoire rassérénant dont on appréciera sans fin les multiples raffinements.

Stéphane Fougère

Sites : https://gamelan.gs

www.yantrasoundproductions.org/

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°15 – septembre 2004,
et mise à jour en 2020)

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