ADVENTURES IN BLUESLAND – The American Dream

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ADVENTURES IN BLUESLAND – The American Dream
(World Wide Vibe Records)

adventures-in-bluesland-the-american-dreamAvec Phil GAMMAGE, c’est une nouvelle fois un voyage au coeur de l’americana, un genre qu’il affectionne tant depuis ces premiers albums en solo, les indispensables Night Train ou Kneel to the Rising Sun parus sur le label New Rose. Il continue d’explorer les différentes formes de la musique traditionnelle américaine avec son nouveau groupe basé à New-York, ADVENTURES IN BLUESLAND, un nom emprunté à son précédent album et qui semble parfaitement approprié pour ce qu’il souhaite nous proposer ici.

Au départ, vers la fin de l’année 2013, il y avait un trio acoustique formé pour promouvoir l’avant-dernier album, puis l’arrivée d’autres musiciens a mis un terme à ce PHIL GAMMAGE TRIO. L’alchimie entre tous les musiciens fut telle, qu’un autre groupe a vu le jour, faisant ses preuves sur scène sur le côte Est et gagnant rapidement en réputation. ADVENTURES IN BLUESLAND comprend aujourd’hui Phil GAMMAGE (chant, guitare, harmonica), Don FIORINO (guitare lap-steel), Kevin TOOLEY (batterie + production), Johnny CEMENT (basse), et Robert AARON (saxo, claviers). A noter également la présence du complice de toujours Joe NIEVES aux backing vocals.

Pour cette nouvelle aventure musicale intitulée The American Dream, quoi de mieux, en guise de pochette, que l’effigie de Marilyn MONROE, un des symboles intemporels de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, pour représenter ce rêve américain qui fait tant fantasmer et pourtant qui semble si inaccessible pour les plus malchanceux. Et des pauvres types, il y en a toujours dans les chansons de Phil !

The American Dream contient onze titres dont neuf écrits par GAMMAGE et deux reprises, deux gros classiques des années 1920-1930, remis au goût du jour avec classe. En ouverture, et pour nous plonger dans l’ambiance, nous nous délectons du superbe One Kind Favor (connu aussi sous le titre See that my Grave is Kept Clean) du légendaire Blind Lemon JEFFERSON (1893-1929), pionnier d’une certaine forme de blues appelée le Texas blues (c’est-à-dire que ce genre de blues se joue avec beaucoup de swing). Datant de 1927, One Kind Favor est devenue l’une de ses plus fameuses chansons, à tel point qu’elle a été reprise par de nombreux artistes comme Bob DYLAN, CANNED HEAT ou B.B. KING. La version, ici très blues western, est superbe, à vous donner des frissons, avec un GAMMAGE impressionnant au chant (une profondeur dans la voix, un vibrato remarquable digne des meilleurs chanteurs de la musique roots) et à l’harmonica. Ce premier titre dit l’essentiel en moins de quatre minutes, avec un groupe dynamique qui arrive à créer son propre univers, en piochant dans les origines musicales américaines à travers cette chanson du passé, aux paroles assez terrifiantes pour l’époque (« My heart stopped beating and my hands turned cold ») !

L’autre reprise possédant un texte poignant (les derniers mots d’un père à sa fille avant de partir à la guerre) s’intitule Last Kind Word Blues de Geeshie WILEY, une chanteuse, compositrice et guitariste américaine dont les informations bibliographiques sont minimes voire très contradictoires. Née au début du XXe siècle (peut-être 1906 ou 1908), elle n’aurait enregistré qu’une poignée de disques dans les années 1930. Last Kind Word Blues est parue ainsi qu’une autre chanson Skinny Leg Blues pour Paramount Records au mois de mars 1930. Elle est accompagnée par la guitariste (et chanteuse de country blues originaire de Houston) Elvie THOMAS (1891-1979). Nous pouvons notamment trouver la version originale sur une compilation parue sur le label Yazoo en 1994 et qui s’appelle Mississippi Masters : Early American Blues Classics 1927-1935. David JOHANSEN & THE HARRY SMITHS (projet à la fois inspiré par la scène folk des années 1990 basée dans les clubs new-yorkais et la compilation The Anthology of American Folk Music proposant des standards du blues et de la country des années 1920-1930) ont aussi interprété ce classique en 2002 sur leur deuxième et dernier l’album Shaker (côtoyant des reprises de Muddy WATERS, Furry LEWIS ou Charley PATTON). Phil offre une interprétation guitare/voix des plus émouvantes. Comme Elliott MURPHY ou Jeffrey Lee PIERCE, il appartient à cette catégorie d’artistes prenant un malin plaisir à revisiter ce genre de chansons écrites il y a très longtemps, afin de ne pas les oublier. Ils sont des archéologues de la musique de leur pays.

Dans The American Dream, vous trouverez aussi de grandes chansons composées par Phil, où coule le sang du rock’n’roll et du blues. Ce-dernier n’a rien perdu de son inspiration et continue de faire vivre l’esprit du rock, du swing, du boogie, avec des titres efficaces qui sentent bon le blues et qui auraient pu être repris par un Elvis ou un autre héros de cette époque: Creepy in the Woods (construit à partir d’un riff blues de guitare de la vieille école de Chicago), Booze, Blues, & New Tatoos (basé lui sur un riff boogie joué par John Lee HOOKER, repris pars les STONES ou ZZ TOP), Our Lucky Day (avoir la foi en de jours meilleurs: l’unique chanson optimiste de l’album qui répète la même progression d’accords sans aucune variation-le seul changement s’effectuant durant le refrain à la fin) ou Feel the Music. Dans cette dernière chanson, Phil parle du pouvoir de la musique qui nous transporte ailleurs émotionnellement et permet de nous échapper de notre quotidien.

Et effectivement, nous nous évadons à l’écoute de I’m Drifting au rythme lent, aérien et sensuel, aux allures d’un One for my Baby (chanson de Johnny MERCER et Harold ARLEN chantée par Franck SINATRA, reprise aussi par Iggy POP lors de concerts donnés en 1979-1980), distillant en plus une ambiance digne de la Nouvelle-Orléans délivrée par AARON au saxo. Nous avons droit aussi à un GAMMAGE crooner sur Watching the Traffic Flow, jouant même de l’harmonica pour renforcer l’aspect dramatique de la chanson que nous pouvons classer dans la catégorie « noir blues ». Le dernier titre, Come to Me, renoue avec le style lancinant d’un mambo blues (une forme de blues sur un rythme latino, déjà présente sur le précédent disque), qui prend véritablement de l’ampleur avec les interventions chaleureuses de Don FIORINO à la guitare lap-steel et de Robert AARON au piano Fender Rhodes et au saxo.

Phil est toujours animé d’une foi et d’une passion pour cette musique, sans tomber dans un passéisme douteux et surtout en n’apparaissant pas comme un simple copieur. Il fait partie des grands à l’image d’un Nick CAVE ou d’un Nikki SUDDEN. Son attachement à de belles mélodies et à des arrangements sans faille (notamment vocaux), la présence à ses côtés de musiciens épris du même feu sacré font de ce disque (bénéficiant en plus d’un travail sérieux et minutieux au niveau de la production), une nouvelle pépite à ajouter à sa discographie passionnante. Nous apprécions notamment le rôle quasiment indispensable sur certains titres du saxophoniste, qui insuffle une énergie sans pareille et qui réussit à nous transporter au beau milieu de cette Amérique dorée du rock’nroll et du blues (notamment sur Float & Sting, Feel the Music, Walk on the Beach).

Il faut bien reconnaître qu’il a aussi trouvé un groupe parfait, prônant la liberté musicale, jouant à l’instinct et aimant prendre des risques surtout sur scène où ils livrent des versions souvent très différentes… Des musiciens accomplis (certains ont travaillé avec BOWIE ou John CALE), à la hauteur de ses exigences et de ses visions hantées par l’americana. En ce qui concerne l’écriture des textes, Phil GAMMAGE souhaitait être le plus concis possible pour que ses chansons apparaissent comme des nouvelles expédiées en deux ou trois minutes. Les paroles sont parfois intrigantes avec des personnages qui le sont tout autant. Par exemple, sur Creepy in the Woods, il est question d’un individu profondément religieux (le genre de spécimens qui entend les esprits lui parler !), ayant de nombreux regrets à cause de mauvais choix réalisés dans le passé. Il y a aussi cette personne blessée par l’échec d’une histoire d’amour sur Float & Sting (le passage « Float Like a Butterfly, Sting Like a Bee » est une référence au boxeur Muhammad ALI). Ou bien ce personnage sans le sou, obsédé par le fait de se comparer sans cesse à quelqu’un ayant réussi (« It must feel good to be back on top. I wouldn’t know that feeling, my good luck stopped ») sur I’m Drifting. Ses histoires sont des fictions mais parfois elles peuvent être de subtiles allusions à des expériences vécues (sur Booze, Blues, & New Tattoos, il mentionne le Greyhound Bus qu’il a pris adolescent pour aller de Beaumont à Houston) ou à ce qui l’inspire sur le moment: sur l’entraînant Walk on the Beach, il nous invite tout simplement à marcher le long d’une plage la nuit.

Pour Phil GAMMAGE, The American Dream est « l’aboutissement de plusieurs années consacrées à l’art de l’écriture et à jouer de la musique ». Et nous sommes bien d’accord avec lui. Ce disque est somptueux. Et côté musique, vous ne serez pas déçus parce que ADVENTURES IN BLUESLAND vous fera redécouvrir l’âme de la musique américaine.

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Cédrick Pesqué

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