GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR – No Title as of 13 February 2024 28340 Dead

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GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR – No Title as of 13 February 2024 28340 Dead
(Constellation)

Est-ce la fin irrémédiable du post-rock en 2024, ce sous genre à tendance expérimentale, sorte de dérivé entre autres du krautrock ? Celui-ci est-il définitivement mort et enterré, oublié ou plus d’actualité, ou y aurait-il, venant du Canada, une renaissance provisoire de ses cendres encore un peu tièdes et vaguement vivaces ?

Depuis leur formation à Montréal il y a 30 ans bientôt, GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR (GY !BE) semble devenu intemporel plutôt qu’immortel. Rien que l’image du groupe : le flou de leurs précédentes pochettes d’albums fait désormais place en 2024 à une image terriblement banale, impersonnelle, assez moche, bâclée volontairement : pas de mention du groupe, pas de titre d’album intentionnellement, un soi disant message caché par des cartons apposés maladroitement sur le mur d’un studio pas tout à fait nettoyé et un peu crade. Une déclaration d’intention (le nombre de morts à Gaza en date du 13 février 2024), et un refus (qui ne date pas d’hier) de jouer le jeu du kapitalisme au sein de leur ilot de résistance (le label canadien Constellation qui gère la galaxie GY!BE et ses myriades d’amis). Tout cela agrémenté d’un refus de parler (pas de presse, pratiquement pas de pamphlet poético-extrême au moment de la sortie de l’album, contrairement à celui de 2021 (cf : https://rythmes-croises.org/godspeed-you-black-emperor-g_d-s-pee-at-states-end/ ).

Revenons brièvement à l’histoire du groupe. GODSPEED YOU! BLACK EMPEROR a sorti une série d’albums entre 1997 et 2002, redéfinissant le post rock à leur manière, avec des compositions instrumentales de rock de chambre qui deviennent des odes sombres contre l’aliénation et prônant, par la musique, la résistance au capitalisme moderne (mais pourquoi pas !). Les quatre premiers albums du groupe :  F#A#∞ (1997) et Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven (2000) et surtout Yanqui U X O (2002), et leurs longs mouvements qui « tordent le cou de l’espace temps » (Philippe ROBERT https://rythmes-croises.org/musiques-traverses-et-horizons-en-400-disques-philippe-robert/ page 390) sont les incontournables de l’époque et du genre. Tout cela accompagné par les live de GY!BE, et leur décorum un peu années 1970, notamment les projections de collages analogiques ainsi que l’iconographie post war : un concert = une bataille, qui définissent véritablement la substance esthétique, (éthos et mythos, allons y) du groupe.

Du côté de la communication avec le reste du monde, en 25 ans d’existence, le groupe a publié en tout et pour tout deux photos officielles (la première datant de 1997, la deuxième étant une copie de la première) et a réalisé une demi-douzaine d’interviews, écrites et contrôlées collectivement, au cours de cette même période. Pas de véritable site web, pas de vidéos, pas grand-chose en fait ! Peu de groupes ont été aussi déterminés à laisser leur travail parler de lui-même, et à maintenir des règles simples (secret, flou) afin de minimiser leur participation aux ridicules du culte de la personnalité, aux mensonges de l’exposition médiatique superficielle, à l’accès trivial de la marchandisation de leur musique ce qui est plutôt à leur honneur.

Après un hiatus de sept ans qui a commencé en 2003 (pas de suite possible pour Yanqui U X O, considéré certainement comme un aboutissement ultime) , GY!BE s’est tourné vers ses multiples avatars (A SILVER MOUNT ZION, FLY PAN AM, etc.), et est finalement revenu au-devant de la scène en décembre 2010, en signant et en participant à la programmation du festival britannique All Tomorrow’s Parties. La phase « post-réunion » du groupe dure donc maintenant depuis près de quinze ans, avec des centaines de concerts, ainsi que cinq albums parcimonieux : Asunders, Sweet and other Distress en 2015, Lucifer’s Towers en 2017 et G_d’s Pee at State’s End de2021. Ces trois-là ressemblant à des bornes documentant la vie, les impressions et les préoccupations des membres du groupe.

À l’opposé de leurs contemporains, GY!BE cherche encore et toujours à établir le contact (les concerts de 2024 partout en Europe et ailleurs) pour continuer leur combat en faveur de la paix (dans le monde). Mais 2024 semble marquer un tournant dans la démarche du groupe : en effet la revendication de l’apocalypse et du chaos laisse peu à peu la place à une combustion plus implosive qu’explosive, assortie d’un relâchement du contrôle au profit de davantage de spontanéité et de « lâcher prise, afin de se laisser porter par les éléments ».

Les morceaux sont en effet plus courts, l’usure logique du vocable post-rock se fait sentir et les changements harmoniques sont moins présents, peut-être plus suggérés ou plus différés (y voir une sorte d’espoir avec les dissonances et les mélopées un peu orientales qui renvoient à la guerre par rapport à Mladic sur Yanqui U X O, chef-d’œuvre du genre, qui parlait déjà de la Palestine et de Gaza).

Cette élégie et cet hommage pour tous les morts et les survivants de la guerre et de toutes les guerres indique que le groupe pourrait vouloir être dans une phase transitoire comme un brin d’herbe miraculé s’extirpant du tas et fatras de ruines et de décombres au milieu des fantômes de Gaza ou d’ailleurs. Un chant sans voix pour dire que l’âme est toujours là, surtout résiliente et forte encore, emplie de volonté de puissance, pour s’élever et dire au monde qu’il ne faut jamais renoncer, jamais abandonner, même si la tornade gronde moins du côté de leur musique, même si les crescendos ne se terminent pas tous en fracas puis decrescendos, même si l’explosion attendue est remplacée par une sorte de rêverie sombre.

Grey Rubble-Green Shots clôturant l’album avec le violon de Sophie TRUDEAU avançant calmement et petit à petit, s’élevant et échappant à la haine plutôt que de pleurer sur le monde, même si les hélicoptères de la mort sont toujours dans le ciel comme si GY !BE disparaissait en catimini, tranquillement, en nous disant un mince au revoir, au revoir et … à bientôt, à bientôt et … pour toujours.

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Belle fin de l’épisode, enclenchée magnifiquement dès le premier titre intitulé : Sun is a Hole, Sun is Vapors. Album somnambulique et intense, nous disant que l’apocalypse est peut-être derrière nous, mais qu’il faut rester vigilants et ne pas s’y tromper.

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Laissez-vous alors emmener en écoutant les réverbérations sombres et le martèlement des guitares des deux longs morceaux : Broken Spires at dead Kapital et sa suite Pale Spectator takes Photographs. GY!BE va pour toujours vous prendre par la main au milieu des paysages désolés, des territoires dévastés, des déserts de guerre comme après la bataille, pas comme dans une marche funèbre (funéraire), mais bien au-delà, au-delà des déflagrations assourdies du violon en raccord entre les différents moments de la suite (le soupçon oriental répétitif de derviches endiablés et batteries agressives et guerrière pour tout fracasser, plutôt clignant de l’œil pour le coup vers AGITATION FREE, ce fabuleux groupe un peu krautrock des seventies), des murmures pour se trouver parfois chez THIRD EAR BAND (autre groupe étrange des mêmes seventies), ou chez KING CRIMSON en incandescence rentrée, avec des basses qui cherchent à noyer sans engloutir, des cadences qui montent dans l’épaisseur et canalisent les réverbs et le déchaînement final tant qu’elle le peuvent.

Merci à vous, GY!BE et bon voyage à tous.

Xavier Béal

Page : https://godspeedyoublackemperor.bandcamp.com/album/no-title-as-of-13-february-2024-28340-dead

 

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