Hommage à Nusrat Fateh ALI KHAN
(Network Medien)
Le 16 août 1997 est pour toujours une date marquée d’une pierre noire. C’est ce jour-là, en effet, que Nusrat Fateh ALI KHAN, le « Shahen Shah », ou Roi suprême des Qawwalis, a quitté son enveloppe terrestre. Ce fut un cauchemar pour tous ceux à qui il avait apporté joie et félicité.
Nusrat, on le sait, avait le don de rassembler les publics les plus éclectiques. C’était du reste sa vocation, la tâche à laquelle il s’était voué, ou plutôt celle que le destin lui avait confiée. C’est un moine soufi errant qui aurait suggéré à son père, l’illustre chanteur Fateh ALI KHAN, d’appeler son fils Nusrat, ce nom signifiant « succès ». Sans commentaires…
De plus, d’après l’étymologie, un Qawwal est un catalyseur de vibrations éparpillées. Quand bien même les Qawwalis ont quitté (c’est une façon de parler) les sanctuaires et mausolées soufis pour se produire sur des scènes de spectacle, leur rôle reste le même : assurer un contact entre la sphère humaine et la sphère divine via ces fantastiques véhicules que sont le chant et la musique. Et qu’importe si l’auditoire n’est pas initié aux vertus du soufisme ou aux préceptes de l’Islam. Invocation de l’Amour suprême, le chant qawwali s’adresse avant tout aux sens, il les prend, les transporte et les exalte.
Le succès de Nusrat (tiens, une redondance !) prouve avant tout sa capacité à s’acquitter de sa mission. Le moine errant ne s’était pas trompé… De son vivant, Nusrat Fateh ALI KHAN a engendré un nombre incalculable de disques (il a même avoué ne pas tous les reconnaître « officiellement »). Maintenant qu’il n’est plus, le phénomène de prolifération semble s’être accentué plus encore. Curieusement, tout le monde se souvient maintenant avoir dans un fond de tiroir un enregistrement de ou avec lui qui a dû être « oublié par mégarde involontaire » !
Ne jetons pas la pierre à qui que ce soit (il en faudrait beaucoup, des pierres !) : par-delà l’aspect commercial des hommages, il y a le signe d’une reconnaissance affective, d’une adoration quasi-spirituelle. Aussi, ceux qui souhaiteraient pénétrer davantage l’essence même de la musique de Nusrat seraient bien avisés de se procurer ce coffret 2 CD.
Le Qawwali étant à la base un chant mystique qui synthétise les expressions tant populaires que savantes de l’Inde, du Pakistan et du Moyen-Orient, ce sont des personnalités du monde arabe autant que des sommités du continent indo-pakistanais qui ont été conviées à rendre un hommage digne de ce nom à Nusrat Fateh ALI KHAN. Du reste, c’est lui qui inaugure les réjouissances à travers un magnifique enregistrement de 1992.
Ensuite, on se délecte à écouter le chanteur azéri Alim QASIMOV, maître reconnu du mugham, à la fois en solo et dans un duo enflammé avec sa fille Ferganah QASIMOVA ; le chanteur syrien Sheik HAMZA SHAKKÛR, accompagné pour l’occasion par le qanoun à 102 cordes de Julien Jalâl Al-Dîn WEISS ; la chanteuse ouzbèke Munadjat YULCHIEVA, le chanteur iranien Sharam NAZERI, d’origine kurde, de même que l’ensemble KAMKAR. Et bien évidemment, d’autres pointures du Qawwali – les frères Mehr et Sher ALI et l’ensemble de Asif ALI KHAN – sont de la partie.
Côté indien, il y a la grande représentante du kafi et du ghazal (chant sentimental classique) Abida PARVEEN ; le chanteur hindoustani Shafqat ALI KHAN, spécialiste du khyal (genre dérivé du dhrupad) ; son père, Salamat ALI KHAN, dont Nusrat était un admirateur ; ainsi que les chanteurs et musiciens de la famille MALLIK. A priori plus surprenante est la présence ici du Sénégalais Cheikh LÔ, mais légitime quand on connaît son affiliation à un mouvement soufi.
Tous appréhendent leur art vocal dans la même perspective mystique que Nusrat Fateh ALI KHAN, et avec une dévotion tout aussi ardente. Plus qu’un tribute à une « vedette » de la world music, ce coffret est une plongée directe dans la conscience du chant qawwali, où vibrent en permanence les échos de ses « maîtres fondateurs », Sheik HAZRAT, Jalal Al-Dîn AL RUMI, Mohiuddin CHISHTI, Bullhe SHAH, ou encore le poète et musicien indien Amir KHUSRAU.
C’est une odyssée fascinante pour l’auditeur novice et, pour les connaisseurs, un excellent complément à l’autre coffret édité par Network : Soufi Soul, Échos du paradis.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°4 – avril 1999)