ILITCH – PTM Works 2

173 vues

ILITCH – PTM Works 2
(TrAce label)

La France musicale « underground » (surnommée malicieusement « Agitation Frite ») de la fin des années 1970 semble être le pays du joyeux partage des héritages anglo-saxons prog’ à la sauce continentale,  ainsi que ce qui a été catalogué pertinemment « les maquis sonores » des influences krautrock, des post new-wave anglais et du new jazz d’Outre-Manche parfois trop digéré. À la frontière des deux périmètres se trouvent quelques solitaires qui cultivent en amoureux les dérives de la citadelle frippienne mise en place depuis 1973/1974. En fins et délicats successeurs des rares albums en duo FRIPP/ENO (No Pussyfooting et Evening Star) ainsi que des émotions des concerts « mémorables » à Paris et en France à l’Olympia en 1973, ils vont pratiquer une musique distordue (en distorsion est davantage le terme) tout en restant dignes de ce chercheur infatigable des années post-prog et pré-punk.

En France underground on assiste à autre chose qu’un remake, plutôt à une brèche qui s’ouvre et reste ouverte avec des aventuriers déjà burinés (HELDON, LARD FREE) qui voisinent avec la vague néo prog des CAMIZOLE, ZNR, CATHARSIS, sans compter l’influence qu’a eue GONG et ses tournées dans les endroits les plus improbables de l’hexagone), les néo-jazz et les jazz désaxés ainsi que les inclassables, parfois hautains, parfois un peu sectaires, parfois trop gentils et perfectionnistes (MAGMA, Albert MARCŒUR, ÉTRON FOU LELOUBLAN, dans le désordre) ; au beau milieu de tous ceux-là, une petite place est laissée à ceux qui naviguent en solitaires tentés par la musique répétitive et ambiante avec des variantes venues des musiques « industrielles » de notre voisin qui conduit à gauche et les sous-ensembles « dark » venus du post punk. Le maître est toujours présent, même s’il tourne désormais sans son groupe et en petites unités,  son influence fait qu’il est le marqueur définitif de la période pour ce genre de musique, lui-même étant en congés de KING CRIMSON et peu pressé de redémarrer la grosse machine dinosaurienne et un peu dépassée.

Il y a eu les groupes aux synthés, les groupes aux guitares saturées, les groupes aux batteurs métronomes avec basses bien pesantes, les groupes avec boîtes à rythmes et sons désintégrés, réverbs et larsens à tout va (plus on joue fort plus c’est strident, plus on en rajoute et plus on semble innover, et plus c’est inaudible plus on cache qu’on joue mal). Tout ça pour faire croire à l’auditeur pourtant vite blasé, parfois aussi snob que le musicien (ça peut atteindre des sommets), que les autres tous petits musiciens sont nuls, minables et récupérés, et leur musique de la vulgaire soupe au goût du jour.

Tout cela n’est pas bien grave, les faussaires ne durent jamais longtemps, leur appât du gain les transforment rapidement en voyous véreux, espèce qui encombre le tout petit monde du business musical et s’y accroche sans vergogne.

Aux frontières de ces genres devenus obsolètes il y a pourtant des esprits sincères, ceux qu’on compte sur les cordes d’une LesPaul 1954 et ceux-là durent et se bonifient, ceux qui ont choisi de se mettre à l’intérieur de la substance sonore et à l’extérieur des sous genres répertoriés et peu satisfaisants. Plus de 45 ans plus tard, il n’en reste plus beaucoup, les rescapés ayant parfois donné naissance à des familles recomposées aux noms exotiques et aux logos bigarrés.

Parmi ceux-ci, il y a ILITCH, alias Thierry MÜLLER, inlassable et inclassable, étiqueté musicien très discret, auto-qualifié « d’ameneur » (mix d’amateur et de celui qui amène et emmène les autres) influencé par toutes sortes de maitres en tous genres, surtout ceux qui jouent de la guitare avec des longues notes tenues et des minimalistes jamais fatigués (aussi bien les premiers Philip GLASS que Cecil TAYLOR) mais notre musicien fait la part des choses et sait s’entourer dès son deuxième album de musiciens amis : Philippe DORAY et Patrick DUBOT – ASOCIAUX ASSOCIÉS -, Hervé ZÉNOUDA, Laurent SAÏET et Guillaume LOIZILLION, sans oublier Patrick, le frère fidèle aux multiples boutons en tous genres.

Son premier album, Périodikmindtrouble, sorte de déflagration à retardement et à combustion lente sort en 1978 et se compose d’enregistrements qui datent de 1975 à 1978 et Thierry MÜLLER y joue de tous les instruments (guitare, basse, synthés AKS, orgue, percussions, harmonium). Deux ans plus tard 10 Suicides élargit la palette et les terrains défrichés par le musicien et s’enrichit de photo-collages qui seront la marque de fabrique d’ILITCH (notre ami n’est pas que musicien, même s’il l’est éminemment) ; la même année le label américain Eurock, piloté par Archie PATTERSON, un fou des musiques nouvelles majoritairement européennes, publie une cassette intitulée PTM Works (soit les œuvres de Patrick et Thierry M) ; la suite avec (ou sans) la parenthèse Ruth (qui n’est pas aussi étrange que Richard) et celle de Crash en duo avec Philippe DORAY se poursuit avec, d’un côté les rééditions des trois albums en CD chez Fractal (maison d’accueil moyennement pérenne) et surtout le CD Rare and Unreleased 74-84 avec pas mal d’inédits (d’où son titre ma foi). Thierry MÜLLER/ILITCH réalise trois autres albums (Hors Temps, Rainy House et Lena’s Life and Other Stories) qui continuent à creuser cette veine de la guérilla électronique ainsi baptisée par défaut pour cette scène qui refuse la facilité, quitte à rester dans la marge, et qui parvient à durer au prix du refus de la compromission largement répandue dans ce milieu.

ILITCH continue sa route (le LP Dark Summer, puis la Maïeutique de la quantique et Un jour comme tant d’autres, deux CD sortis sur Beta-Lactam Records) et Thierry MÜLLER toujours en tant qu’ameneur, fait des rencontres décisives : Quentin ROLLET et la bande de TrAce label ainsi que Pepe WISMEER (le duo des Ardennes aux pochettes de disques en céramique) avec lesquels il fabrique un double CD de toute beauté en 2019.

Ce qui nous amène en 2022 à une prolifération de sorties (majoritairement en vinyle), de nouveautés et de ce PTM Works 2, donc la suite de la cassette d’Eurock avec les deux frères à vélo et 13 titres du plus bel effet : en effet dès le premier morceau des sons bien dissonants envahissent les séquences et semblent étouffer l’espace musical fait pourtant de synthés et orgues en répétition. Sur le titre 3 : Marcel (pas PROUST, mais non DUCHAMP le satrape), vieux plasticien roi des pseudos et joueur émérite de billard qui répète et susurre sans cesse : « le mot jugement n’a aucun sens » rendant cette plainte grandement envoûtante et comme monomaniaque ; les titres suivants sont il est vrai, tous claustrophobiques, suffocants et désemparés, pourtant on sent que les deux frères s’y entendent parfaitement pour ne pas surcharger la barque en introduisant au milieu des atmosphères dark et dérangeantes des éléments mélodiques qui cherchent à apaiser tout en restant proches de la musique électroacoustique.

Le disque est comme un voyage fait autour des alvéoles d’abeilles butineuses et industrieuses construisant leurs sortes de rhombes que ponctuent les titres clins d’œil à la sauce un poco pataphysique (hello Marcel again) comme : « il n’y a que le casino qui gagne ! », « mes désirs sont nos angoisses »  et « la rose est l’âme de l’épine » contrepèterie gentiment douteuse et qui ne gâche rien à l’ensemble. Pour clôturer l’album, le treizième morceau (dédié à Luc FERRARI) finit cette promenade en relative douceur et en indiquant que ce voyage en duo peut garder une note d’espoir, tout n’est pas si noir chez les frères PTM en mobylette (P, l’ainé) et en vélo (T, le cadet) qui boivent un petit verre en ne regardant pas l’objectif, pour célébrer leurs « works » (et pour préparer peut-être un PTM 3, qui sait ?).

Entretien avec Thierry MÜLLER / ILITCH (par mail et avec retouches) :

On t’a souvent qualifié de musicien discret et isolé, or tu sembles maintenant fidèle à la famille TrAce label, peux-tu nous en dire davantage ? 

En effet, je suis plutôt timide, mon ego est assez sous-dimensionné et la communication n’est pas mon fort (c’est un euphémisme) donc discret et isolé : ça n’aide pas pour la mise-en-avant,  le démarchage de label, la promo, etc. ! La « reconnaissance » que j’ai acquise au long des années vient uniquement de mon travail et je n’en suis pas peu fier. Mais des fois je pense que si j’avais un peu plus d’ego, ça aurait été un peu plus facile.

Pour TrAce label, c’est assez simple : en bref, mon frère Patrick est cofondateur, nous sommes très proches et travaillons de près ou de loin depuis très longtemps. il a fait la quasi-totalité de mes mixages et masterings, il a participé à plusieurs morceaux d’ILITCH… J’ai fait la plupart des pochettes et participé à certains projets du label.

Pourrais-tu revenir sur ta collaboration avec PEPE WISMEER, votre rencontre, vos échanges, vos goûts communs ; y aura t’il une suite (on l’espère) ?

J’ai découvert PEPE WISMEER en 2010, nous étions sur le même CD de Beta-Lactam Ring Records Music For Personality Disorder (Summer/Fall 2010 Sampler), j’avais beaucoup aimé leur univers.

J’ai rencontré Anne-Laure et Damien lors d’un Showcase qu’ils donnaient au magasin Souffle Continu à Paris pour la sortie de leur album un–  en 2012. J’ai adoré, je leur ai acheté des disques, ils m’en ont offerts, on a papoté, sympathisé et trouvé plein de centres d’intérêts en commun (musicaux, graphiques, etc.). Ils avaient déjà presque tous mes albums. Un long moment est passé et en 2018, il m’ont invité à jouer à un mini-concert qu’ils organisaient à nouveau au Souffle Continu pour la sortie de Agitation Frite 3 de Philippe ROBERT.

On s’est dit que l’on allait pas en rester là et en 2019 j’ai fait deux séjours chez eux dans les Ardennes où on a enregistré notre premier album en commun (sorti chez TrAce label en 2020). On a remis ça en 2021 et l’album vient juste d’être mastérisé. Il ne reste plus qu’à trouver un label…

La première fois, j’étais assez anxieux car leur univers est très fort, assez différent du mien mais c’est parti comme si on se connaissait et avait joué plusieurs fois ensemble avant. L’entente était si bonne qu’il est trompeur pour les personnes extérieur de savoir, en réalité qui est à la base des morceaux et ce encore plus sur le nouvel album.

Pourrais-tu raconter quelques anecdotes (racontables) sur ton histoire personnelle et ce qui t’a marqué le plus en terme de rencontres musicales et autres depuis toutes ces années ?

Il ne me vient à ce moment précis aucune anecdote et comme mon histoire personnelle est « personnelle »… Les rencontres musicales, qui sont devenues amicales, les plus marquantes ont été avec Philippe DORAY, Edward K SPELL, Jac BERROCAL, Nick LITTLEMORE, Quentin ROLLET, PEPE WISMEER et NOWCUT. Peut-être j’en oublie un ou deux.

Que penses-tu des musiciens de cette fameuse liste de Steven STAPLETON établie en 1979 ? Y aurait-il eu des oubliés et que penses-tu des survivants (ont-ils bien vieilli) ? 

Je ne les connais pas tous, Steven avait et a une énorme culture musicale, de plus la liste est très très, très longue. À cette époque, en France, beaucoup de choses n’arrivaient pas jusqu’à nos oreilles. Mais dans ceux que je connaissais et connais maintenant, j’en apprécie plus ou moins 80 %. Des manquants ? Sûrement, mais aucun ne me remonte en mémoire.

Très personnellement et sans prétention, je trouve qu’il y en a certains qui ont mal ou très mal vieilli, d’autres qui se sont reposés sur leurs lauriers, dommage (je ne citerai pas de nom par courtoisie) mais j’ai toujours un énorme respect pour ceux qui n’ont pas cessé de m’éblouir par leur travail jusqu’à aujourd’hui (je ne citerai toujours pas de nom, cette fois de peur d’en oublier).

Tes projets et tes envies, tes regrets, tes remords, tes défaites, tes succès, tes victoires, tes fiertés, un mot pour les lecteurs du site ? 

Mes regrets : ne jamais avoir eu un vrai bon distributeur, excepté tout dernièrement avec Born Bad Records pour Polaroïd/Roman/Photo ; les albums qui n’ont pas su trouver leur public.

Mon seul remord : ne jamais avoir pu constituer un groupe stable et durable. Mais, ça m’a peut-être sauvé !

Mes défaites : les quelques morceaux que je ne suis jamais arrivé à terminer pour des raisons x ou y.

Mes succès : Polaroïd/Roman/Photo auquel je croyais beaucoup en 1985 quand il est sorti et qui a été connu et reconnu seulement début des années 2000. 25 ans c’est long, mais je n’ai jamais cessé d’y croire ; la reconnaissance de mon travail depuis 45 ans même si c’est dans un milieu restreint mais de qualité.

Mes victoires :  le fait que je puisse toujours raconter mes histoires, produire de la musique sans me lasser, sans lasser les gens et surtout sans me répéter (ce qui, des fois, est un peu perturbant pour les gens qui me suivent).

Ma fierté : faire toujours ce que je fais en toute intégrité et croire que je ne me suis pas trop planté !

 Un de tes instruments que tu n’accepterais jamais de laisser de côté, de détruire, d’offrir ou de vendre pas cher sur le Bon Coin ? Pourquoi ?  

Ma Gibson Les Paul L5S de 1973 acheté d’occasion à Londres en 1975, parce qu’elle a un son magnifique, parce qu’elle est très belle, parce que c’est sentimental (ma première « vraie» guitare), parce que…

 Ton meilleur album, même si c’est un mini, un EP, une K7 etc. (réponse interdite : le prochain) 

Je les aime tous également, je n’en renie aucun (contrairement à d’autres personnes que je ne citerai pas !). Mais, pour ne pas éluder la question, 10 Suicides et White Light, car ce qu’ils racontent est très personnel.

 Enfin, l’album (ou deux soyons fous !) d’autres musiciens que tu emporterais sur une île déserte (il y aurait déjà une platine et des enceintes sur l’île, don’t worry)

Difficile ! Aujourd’hui, je dirai… (temps de réflexion !)… In C par ICTUS with BLINDMAN KWARTET, Construção de Chico BUARQUE, la Symphonie n°3 de Henryk GORECKI et la Bachianas Brasilieras n°5 pour soprano et 8 violoncelles de Heitor VILLA-LOBOS par Barbara HENDRICKS. Tu m’accorderas que sur une île déserte, 4 disques c’est le minimum !!!

Chronique et entretien réalisés par Xavier Béal

Page : https://tracelabel.bandcamp.com/album/ilitch-ptm-works-2

Label : https://tracelab.com/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.