JOHNNY BE CROTTE – Johnny Be Crotte

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JOHNNY BE CROTTE – Johnny Be Crotte
(In-Poly-Sons)

S’il y a une chanson qui symbolise l’institutionnalisation du rock, c’est bien Johnny B. Goode de Chuck BERRY. Consacrée par des médias comme l’une des dix plus grandes chansons de tous les temps, au point d’avoir été propulsée dans l’espace, cette chanson, citée dans tous les dicos du rock et tous les docus traitant du bon vieux temps du « wok’n woll », est sur les lèvres de n’importe quel rocker enraciné, a été reprise des centaines de fois, et on l’entend à tous les coins de rue lors des fêtes de la musique, au point que ça frôle l’indigestion et suscite la vomissure, et que ça fait dire aux réfractaires « ça fait chier ! ». Remarquez, c’était déjà le cas dans les années 1970 : oui, cette chanson faisait déjà chier le monde, et c’est probablement en réaction contre cette saturation de reconnaissance officielle de Johnny B. Goode qu’un groupe évoluant dans le mouvement contre-culturel post-soixanthuitard hexagonal s’est baptisé… JOHNNY BE CROTTE ! À moins que ce nom ait été choisi en réaction contre le « wok n’ woll à la franchiaise » incarné par notre Johnny national, allez savoir…

En vérité, on ne sait pas exactement ce qui a poussé ce groupe à s’appeler JOHNNY BE CROTTE. Tout au plus peut-on subodorer (mais pas trop…) qu’il a cherché à s’inscrire dans le sillage des groupes à patronyme scatologique initié par ce bon vieux ÉTRON FOU LELOUBLAN, avec lequel il a du reste partagé un mémorable concert au théâtre du Chêne noir, à Avignon, en 1978. Cette inspiration scatologique a laissé des traces (!) par la suite, puisqu’il y a eu À TROIS DANS LES WC, ODEURS, Ubu et la MerdRe, sans parler de Jean-Louis COSTES, qui a fait de la thématique scatologique une de ses armes de combat.

Mais revenons à notre CROTTE… Car ce JOHNNY BE, qui n’est plus qu’un lointain souvenir, est savamment resté dans l’ombre des radars médiatiques, y compris de ceux du milieu marginal impulsé par cette agitation musicale française restée mal connue. Du reste, le groupe n’apparaît même pas dans cette bible discographique qu’est ce coffret de 3 CD réalisé par Gilles YEPREMIAN pour Spalax en 1998 et précisément titré 30 Ans d’Agitation musicale en France !

À la décharge de cette réalisation, il est vrai que JOHNNY BE CROTTE n’a guère laissé de traces de son passage (et on peut compter sur les lessives médiatiques pour laver plus blanc que blanc, car le caca, c’est pas propre par définition…), mis à part un unique 45 tours paru en décembre 1977, dont la pochette était un poster plié en quatre et qui représentait un Père Noël en mini-jupe, aux côtés d’une gamine pas rassurée… Cette même illustration se retrouvait sur les affiches de concert du groupe, affiches de couleur rose… comme le PQ ! Si quelqu’un s’avisait de refaire la même chose aujourd’hui, on n’imagine pas le nombre d’associations qui crieraient haro sur la chose !

Remarquez, si ça n’a pas fait scandale à l’époque, c’est aussi parce qu’il n’y avait guère de chance pour que le groupe accède aux « lumières de la ville » et fasse parler de lui dans les canaux officiels. Ce n’était pas son but. Comme d’autres, JOHNNY BE CROTTE a préféré déployer son activisme musical dans les réseaux obscurs de la scène marginale française, se gardant bien de coller aux étiquettes stylistiques conventionnelles, et se situant au « carrefour du jazz, de la cacaphonie (sic), du folklore, des mass-médias, du rock et du délire verbal de ping-pong ».

De son histoire on sait peu de choses : sa date de naissance exacte est entourée de flou (mais pas pour faire « artistique »), et ses spectacles étaient paraît-il « agressifs, régressifs et idiots-visuels ». Du reste, on ne sait s’il faut parler de groupe « fixe » ou de collectif, tant JOHNNY BE CROTTE a vu passer en son sein, selon les disponibilités, des dizaines de personnes qui se sont plus ou moins improvisés musiciens, musiciennes, chanteurs et chanteuses, jouant chacun sur une palanquée d’instruments (dont le bandonéon fluo, la bombarde à volonté, le sax-a-pile, la mini-machine à ritournelle…).

Ils se faisaient appeler Auguer la SAUGE, Gustave MOULINEX, Barbecue BOB, Gina MALABAR, John DAVENTURE, Bruno VICE, Ocléon de la VASE, ou simplement Margot et Manfred. On en a retrouvé certains chez ÉTRON FOU LELOUBLAN, BARRICADES, ZNR, OCTAVO, ENCORE PLUS GRANDE, dans la fanfare L’ÉTRANGE NAPOLITAINE ou dans la compagnie de théâtre de rue ROYAL DE LUXE, et d’autres encore se sont fait un peu plus connaître en travaillant pour Mama BEA, Alain BASHUNG, ou Louis BERTIGNAC et Corinne MARIENNEAU. Bref, ces gens avaient envie de « faire quelque chose », de préférence hors des sentiers battus et sans bagage musical technique très poussé.

Mais pour trouver des concerts, il fallait faire un disque. Alors les gens de JOHNNY BE CROTTE se sont mis en tête d’enregistrer un 45 Tours ! Cela s’est fait au studio FreeSon, avec juste deux magnétophones deux pistes, deux micros statiques et une prise live, parmi les rats qui couraient sur les tentures de ce qui était manifestement une ancienne grange. En clair, c’était de l’autoproduction à 200 % ! Surtout, il y avait l’envie, l’enthousiasme, l’énergie !

Et cela se ressent à l’écoute de ce EP quatre-titres (deux par face), qui reprend, détourne, déforme ou maltraite des pièces traditionnelles comme Mon père m’a marié et Cloclico ; Auguer la SAUGE signe Petit Poucet, un morceau qui évoque ÉTRON FOU LELOUBLAN tout en préfigurant quelque peu LES I), et il y a un court instrumental de type berceuse artisanale (Armand) que Manfred a réalisé en perçant des trous dans le carton de sa boîte à musique.

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À cette « galette originale » (sic), restituée dans son intégralité, la réédition effectuée par le label In-Poly-Sons ajoute une « galette inédite » enregistrée à l’origine au printemps 1978 sur une cassette mais jamais publiée. On y trouve en face A une reprise du tube du groupe THEM Gloria (de Van MORRISON) inaugurée par… un bruit de perceuse, et interprétée avec une voix trafiquée, des chœurs façon schtroumpfs sous substance, avec des cris, une basse qui plane en plein désert, et autres aliens soniques… La face B contient une reprise pas moins distordue et chavirée de la chanson traditionnelle Pierre de Grenoble, qui laisserait un Gabriel YACOUB fortement dubitatif.

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Signalons aux fans qu’un autre morceau traditionnel aurait dû figurer sur cette face B, mais une malencontreuse erreur de gravure l’a fait disparaître (quelle crotte !). Il faut donc se rendre sur la page consacrée à JOHNNY BE CROTTE sur le site du label In-Poly-Sons pour écouter cette version bien foutraque et théâtrale à souhait de Tout en haut d’la maison (reprise plus récemment par Véronique VILHET et Dominique GRIMAUD dans leur LP J’aime tout ce que fait le ciel à n’importe quel moment).

Certes, un double EP vinyle n’est pas le support le plus pratique à écouter (il faut retourner le disque et mettre l’autre face et puis recommencer avec l’autre disque et son autre face), mais c’est encore celui qui sied le plus à un groupe comme JOHNNY BE CROTTE, qui n’a de toute manière connu que ce format. Enfin, pas tout à fait puisque deux de ses membres (Martin AUGIER et Véronique FELLER – VILHET) ont enregistré en 1985 un LP tendance électro-new wave sous le nom raccourci JOHNNY B.C. Mais cela est une autre histoire…

Le vrai JOHNNY BE CROTTE est tout entier dans ce double 45 Tours. Avoir retrouvé trois inédits tient du miracle, et quand on y ajoute de plus une coupure de presse, la reproduction du poster d’origine, plusieurs photos, un texte biographique signé Dominique GRIMAUD, et que les intéressés ravivent leurs souvenirs plus ou moins embués par le passage du temps, on tient là mine de rien une « intégrale améliorée » de fort belle allure ! Il fallait bien cela pour rendre autant que possible justice à ce héraut de la « cacasphère » (pour paraphraser COSTES) que fut JOHNNY BE CROTTE ! À digérer sans modération…

Stéphane Fougère

Page label : http://inpolysons.free.fr/fr/johnny-be-crotte.html

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