Jowe HEAD – Cabinet of Curios
(Munster Records)
Jowe HEAD, alias Stephen BIRD, est un habitué de nos pages depuis la revue papier TRAVERSES. Le voici de retour avec un superbe double 33 tours, remémorant sa carrière post SWELL MAPS avec en prime quelques inédits et raretés. Nous devons cet objet au label Munster Records basé à Madrid et dont le catalogue propose également des albums des MAPS (Archive Recordings vol.1), de Marc HURTADO-Alan VEGA (Sniper), de GENERATION X ou Steve TREATMENT.
La pochette, à la fois amusante et effrayante, nous rappelle à quel point Jowe HEAD est un artiste à part : il reste un des éléments perturbateurs les plus originaux de la scène souterraine et avant-gardiste anglaise, et cela depuis les SWELL MAPS et toutes les formations successives qui ont marqué une carrière très prolifique. Et cette compilation de vingt titres est là pour nous le rappeler, nous faisant redécouvrir ses travaux en solo ou avec des groupes aussi farfelus qu’originaux comme HOUSEHUNTERS, OLIVES HAIRY CUSTARD ou THE DEMI-MONDE.
Ces chansons délirantes et intelligentes (avec des textes marqués par la littérature, l’histoire ou l’art), ces mélodies singulières viennent presque d’un autre monde, tant elles marquent les esprits par leur fraicheur, leur audace et leur inventivité. Il livre des chansons assez particulières ayant subi des mutations diverses pour donner quelque chose de plutôt original et de recherché en intégrant des ambiances new wave, expérimentales, « pop-rock indie », post punk mais également folk, médiévales, souvent drôles, comme c’est le cas avec son groupe THE DEMI-MONDE largement représenté ici avec pas moins de neuf titres issus de leurs deux albums et d’un EP.
Sur la face A, nous nous concentrons principalement sur ses disques en solo : il y a Pincer Movement (1981), Unhinged (paru en 1994 sur Overground Records et réunissant le disque Personnal Organizer de 1989 plus des bonus) et plus récemment From a Parallel Universe (2004). Il y a chez lui, cette volonté d’explorer (le fait par exemple de délaisser la guitare électrique sur son premier disque au profit d’une instrumentation plus variée) et de surprendre en faisant une sorte de new-wave très rafraichissante avec Cake Shop Girl, en reprenant du Kevin COYNE (Evil Island Home qui, avec sa voix particulière, pourrait sonner comme du Tom WAITS) ou en finissant en fanfare une chanson comme Shytown.
La face B s’intéresse à ses différents projets naissant au gré de rencontres avec une multitude de musiciens : nous découvrons par exemple le rare single de 1986, intitulé Cuticles, des HOUSEHUNTERS (comprenant sa petite amie de l’époque Mercedes MOLE et des membres de PALOOKAS et de TELEVISION PERSONALITIES), Venus Bigfoot par le groupe ANGEL RACING FOOD, une chanson dynamique et rock avec du saxo alto, à placer entre les rythmes martiaux de KILLING JOKE, ROXY MUSIC et le groupe de Nik TURNER, INNER CITY UNIT (l’album New Anatomy en 1985) et aussi Belly of the Beast par OLIVES HAIRY CUSTARD formé avec les frères STANLEY (où les musiciens jouaient sur scène habillés dans des costumes improbables). C’est également avec un malin plaisir que nous redécouvrons ce qu’il a été capable de faire avec THE DEMI-MONDE, en osant s’embarquer dans une ambiance médiévale totalement barrée, manière de voir ce qui aurait pu se passer s’ils avaient rencontré Hildegarde de BINGEN (religieuse et compositrice du XIIème siècle), avec le titre Imp of the Perverse (sur l’album Diabolical Liberties).
Jowe et ses acolytes ouvrent la porte à d’autres mondes sonores en étant des multi-instrumentistes accomplis et en utilisant une instrumentation riche, parfois plus exotique : en plus des instruments d’un groupe de rock classique (guitare, basse, batterie, claviers), nous pouvons entendre aussi des instruments à cordes (violoncelle, violon), des cuivres, des instruments à vent (flûte, hautbois), et tout un tas d’autres curiosités (mélodica, theremin, xylophone, scie musicale, cithare). Cela permet de mettre en lumière un univers sonore étrange et coloré que nous retrouvons sur cette compilation, qui devient intéressante avec les trois inédits présents sur l’autre disque.
En effet, la face C propose d’abord Rubbish Up the Messheads, un objet délirant non identifié dans le genre rock bizarroïde primitif avec beaucoup de guitare électrique entre la folie de CHROME et l’énergie de PJ HARVEY à ses débuts. Ensuite, il y a aussi cette surprenante reprise de New World de Joe MEEK couplé avec une version chantée de Enlightenment de SUN RA (sur l’abum de 1959 Jazz in Silhouette). Enfin, Chameleon avec son petit côté ROXY MUSIC, est une chanson assez simple aux premiers abords, mais qui fait coexister subtilement les guitares électriques rageuses et le hautbois délicat de Kate NEWELL.
La dernière face propose l’intégralité du très rare EP paru en 2014 avec THE DEMI-MONDE, intitulé Visionnaries. THE DEMI-MONDE à la base né de la rencontre avec deux australiennes est maintenant une formation solide d’au moins six musiciens dont la multi-instrumentiste Catherine GERBRANDS, le bassiste Lee McFADDEN (ex-ANGEL RACING FOOD), et le violoncelliste Tim BOWEN. Les cinq titres présentent toujours un univers fou et décalé avec de drôles de voix, et des musiques où se côtoient des ambiances rocks et plus classiques, la guitare électrique, le violoncelle, le xylophone ou la scie musicale.
De plus, nous noterons que ces chansons font références à des personnages importants de l’histoire comme Athéna (déesse de la sagesse, des arts et de la guerre, fille de Zeus) ou des artistes hors du commun qui ont marqué leur époque : Louise BOURGEOIS (1911-2010, sculptrice, plasticienne, proche de l’expressionnisme abstrait et du surréalisme), Hannah HOCH (1889-1978) et Kurt SCHWITTERS (1887-1948), tous deux représentants du mouvement Dada. Car faut il le rappeler, Jowe HEAD n’est pas seulement musicien ; il est également un artiste visuel, sculpteur et peintre inspiré notamment par la mythologie et l’Ancienne Égypte.
Ce Cabinet of Curios est une rétrospective intéressante couvrant trois décennies (1981-2014) d’un artiste qui reste aujourd’hui un esprit libre et indépendant. Pour les plus curieux, il reste une introduction intelligente à son œuvre très « art rock » par le choix des titres proposés et des nombreuses raretés, même si tout le travail de Jowe n’est hélas pas représenté ici ; mais sa trop longue discographie, ses différents groupes et ses multiples collaborations nécessiteraient sans doute plusieurs volumes.
Cédrick Pesqué
Site : https://www.facebook.com/Jowe-Head-241535806282/
Label : http://munster-records.com/