THIRD EAR BAND – The Magus
(Angel Air / Musea)
THIRD EAR BAND, ses épaisses brumes psychédéliques, ses spirales modales, ses grincements médiévaux, son souffle cabalistique… une musique hors temps, hors normes, dont on ne sait plus si elle ressortit à la magie ou à la sorcellerie.
Mais parle-t-on bien du même groupe, ici ? Et d’abord, d’où sort-il, ce Magus ? On n’en avait jamais entendu parler ! Le label nous assure qu’il a été enregistré en 1972, soit après le dernier album connu du THIRD EAR BAND version 70’s, l’illustre et venimeux Music from Macbeth, qui indiquait une orientation plus électro-acoustique. De fait, The Magus est présenté comme le « quatrième album perdu (et retrouvé) » du THIRD EAR BAND… sauf qu’on avait déjà entendu d’un album qui devait sortir à l’époque, dont certains morceaux auraient été joués en public et même enregistrés, mais AVANT Music from Macbeth, et il aurait même dû s’appeler The Dragon Wakes. Mais The Magus est tout à fait autre chose.
Il n’empêche qu’à l’écoute il est permis d’être un peu interloqué au début. Ce THIRD EAR BAND-là ne sonne pas tout à fait comme les précédents. Par exemple, Glen SWEENEY y joue sur un « drum kit » et non plus seulement des percussions. On retrouve certes Paul MINNS au hautbois et à l’ocarina, mais aussi à l’orgue hammond, Simon HOUSE (ex-HIGH TIDE) au violon et au VCS3, et Dave TOMLIN, qui avait formé avec SWEENEY le duo GIANT SUN TROLLEY en 1966 et qui avait même joué sur un morceau d’Alchemy, le premier album du THIRD EAR BAND, joue ici de la basse. Deux nouveaux membres font de même leur apparition : Ron KORT, percussionniste, pianiste, producteur et ingénieur du son, et Mike MARCHANT, guitariste et chanteur.
Hein ? Un chanteur chez THIRD EAR BAND ? Oui, et c’est bien ce qui fait la particularité de ce disque : envolés les « free ragas » ouvrant sur des dimensions cryptiques, place à des chansons électro-pop habillées de psychédélisme expérimental orientalisant ! En fait, tout se passe comme si THIRD EAR BAND était devenu le groupe d’accompagnement de Mike MARCHANT, auteur de la plupart des chansons de cet album, et qu’il interprète, de façon un peu bancale, avec une voix soit trafiquée, soit réverbérée, soit sous-mixée, pour faire plus psyché sans doute…
Mais qu’on se rassure, en dépit du format adopté, on retrouve tout de même les climats envoûtants, les bourdons obsessionnels et mystérieux auxquels le groupe nous a habitués, dans une mouture certes plus électro-acoustique, mais qui avait été déjà abordée avec Macbeth, sans le côté pop évidemment.
Avec ses entrelacs de violon et de hautbois, I The Key, qui ouvre le disque, sonne presque comme un « outtake » de Music from Macbeth s’il n’y avait pas eu de chant.
Cosmic Wheel poursuit dans une veine similaire, avec le synthétiseur VCS3 qui ajoute une couche non négligeable d’ambiance « sci-fi » à la musique. The Hierophant ressemble à une marche rituelle avec les chœurs psalmodiés de MARCHANT et un beau jeu de flûte de MINNS. The Magus (le morceau éponyme) dégage une ambiance trouble avec les effets spéciaux sur la voix, les spirales du VCS3 et une basse funky.
New Horizon est paré d’un chant indianisant qui confine au mantra. The Phoenix se démarque du reste par son dépouillement : là, on n’a plus affaire à une chanson, mais plutôt à un poème récité avec accompagnement de flûte et de hautbois en arrière-plan et des bruitages divers qui en font une bande-son idéale pour un moment « chill out ».
Enfin, Kozmik Wheel n’est autre qu’une version plus trash de Cosmic Wheel, avec une voix sépulcrale et un son crade, bref le parfait « bonus track » que l’on n’attendait pas.
On le voit, tout a été fait pour rendre la musique du THIRD EAR BAND plus accessible. En vain puisque ce disque a été rejeté par la maison de disques Harvest et qu’il a dormi dans un tiroir pendant environ un tiers de siècle…
C’est apparemment Ron KORT, le petit dernier à avoir intégré le groupe, qui détenait la bande master de ce disque et, en accord avec les autres membres du groupe encore vivants, il a cherché à les faire publier. Haut les cœurs, le label anglais Angel Air a daigné sortir le « saint-graal ». Le sort a hélas voulu que Ron KORT disparaisse peu avant la publication du disque, ce qui confère à ce dernier le statut d’hommage.
Sans être un opus majeur et indispensable, The Magus est une réelle curiosité plutôt plaisante à écouter, d’autant qu’il permet de replonger dans un climat typiquement d’époque. Une chose est sûre, c’est que de la pop comme celle-là on n’en fait plus ! Cette nouvelle métamorphose du THIRD EAR BAND (le groupe n’a jamais été réputé pour sa stabilité de toute façon), le rend finalement plus proche de l’HYDROGEN JUKE-BOX que Glen SWEENEY avait fondé avant THIRD EAR BAND et qu’il allait reformer peu après.
Stéphane Fougère
CD en vente sur le site MuseaRecords.
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°17 – avril 2005 et remaniée en 2017)