Keyvan CHEMIRANI & Pandit Anindo CHATTERJEE – Battements au cœur de l’Orient
(Accords Croisés / Harmonia Mundi)
De par les liens étroits qui se sont tissés entre les traditions musicales perse et indienne à travers les époques, tout projet de rencontre entre des artistes rompus à l’une et à l’autre de ces traditions est une promesse de création au sommet. Ce CD en est un bel exemple, mettant en commun les sciences rythmiques de deux percussionnistes, l’un franco-iranien, l’autre indien, tous deux réputés dans leurs domaines respectifs. Pour avoir hérité du savoir de son père et maître Djamchid CHEMIRANI, Keyvan CHEMIRANI ne cesse d’élargir les champs d’expression du zarb – la percussion iranienne par excellence, encore appelée tombak – en l’introduisant dans d’autres domaines musicaux et artistiques.
Son audace créative s’est notamment traduite par la conception de projets artistiques impliquant des musiciens ou chanteurs/chanteuses nourris à d’autres traditions, comme le fameux Le Rythme de la parole, qui s’est décliné en deux volumes discographiques (un CD puis un double CD + DVD) sur le label Accords croisés.
On le retrouve une fois encore sur ce label avec un nouveau projet conçu avec l’un des plus brillants et renommés joueur de tabla indien, le Pandit Anindo CHATTERJEE, disciple du légendaire « gourou du tabla » de Calcutta, Padmabhusan Jnan Prakash GHOSH. Les frappes érudites, précises et inventives d’Anindo CHATTERJEE ont par le passé soutenu des pointures comme Ravi SHANKAR, Shivkumar SHARMA ou Hari Prasad CHAURASIA.
Battements au cœur de l’Orient mêle les métriques percussives de la musique hindoustanie (de l’Inde du Nord) à celles de la musique persane. Keyvan CHEMIRANI et Anindo CHATTERJEE explorent toutes les correspondances rythmiques entre leurs traditions à travers des compositions et des improvisations qui mettent en relief toutes les couleurs du zarb et du tabla.
Nous n’avons pas pour autant affaire à un simple « album de percussions ». Si bien sûr notre duo indo-iranien ne s’est pas privé pas d’entamer de pétillants dialogues zarb/tabla (Haft Delakhta, Tablacadabra), il a aussi ouvert son projet à d’autres musiciens, notamment Bijan CHEMIRANI, le frère de Keyvan. Tous deux se lancent dans une délicieuse joute de zarbs dans Baradar.
Ken ZUCKERMAN intervient également au sarod. Ce musicien américain, qui fut le disciple d’Ali Akbar KHAN, est un des plus grands virtuoses de ce luth indien, ce que confirme son interprétation de Bhairavi.
Battements au cœur de l’Orient ne se cantonne cependant pas dans les fragrances des continents moyen-oriental et indien : la participation du joueur de vièle kementché (ou rebec) et de luth laouto Sokratis SINOPOULOS (entendu récemment chez Loreena Mc KENNITT) et du joueur de lyra (vièle crétoise) Stelios PETRAKIS – qui ont tous deux étudié et joué avec Ross DALY – renvoie aussi des effluves du versant oriental de la Méditerranée.
On remarquera notamment la très belle atmosphère contemplative sculptée par Ken ZUCKERMAN et Sokratis SINOPOULOS dans l’introduction de Jugalbhandi, un des rares moments où le zarb et le tabla font silence. Dans la plupart des autres pièces, le kementché et la lyra ont surtout un rôle de support « bourdonnant », assurant le lehera, le cycle mélodique et rythmique à partir duquel CHATTERJEE et CHEMIRANI élaborent leurs fresques percussives sur des métriques aux innombrables variantes.
Et quand bien même « le rythme de la parole » cède ici le pas à la parole du rythme, la voix n’est pas absente de cette rencontre, puisque la chanteuse Maryam CHEMIRANI est venue conter quelques poèmes perses dont elle fait ressortir la teneur romantique et méditative. Cette dimension est de plus parachevée par le jeu tout en finesse du flûtiste Henri TOURNIER.
Conjuguant leur rencontre sur des modes tour à tour vivaces et langoureux, Keyvan CHEMIRANI et Anindo CHATTERJEE ont déployé leurs univers respectifs en panoramique pour constituer un axe de résonance qui englobe également la Grèce, la Crète, bref, l’Europe méditerranéenne, assurant ainsi l’auditeur d’un voyage au long cours pendant lequel il découvrira des paysages aussi confondants qu’étincelants.
Stéphane Fougère
Site : www.accords-croises.com
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°38 – printemps 2008)