King Crimson – Aymeric LEROY

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King Crimson – Aymeric LEROY
(Le Mot et le Reste)

Il est convenu de définir l’album In the Court of the Crimson King (1969) comme l’acte de naissance (forcément involontaire) du rock progressif. Déjà auteur de l’ouvrage de référence Rock progressif, Aymeric LEROY s’est logiquement décidé à consacrer un ouvrage entier – le premier rédigé en français – à KING CRIMSON, géniteur-malgré-lui de ce style qui a fait couler beaucoup d’encre et de bile.

Tout en s’appuyant sur les précédents écrits d’Eric TAMM (From King Crimson to Guitar Craft), de Sid SMITH (In the Court of King Crimson), les notes de livrets CD et les billets de blog de Robert FRIPP, le cofondateur de la revue Big Bang apporte sa vision et son éclairage personnels. Le chapitre introductif pose le ton : l’ouvrage ne se veut pas un « Young Person’s Guide », mais s’adresse quand même à ceux qui connaissent déjà, dans ses grandes lignes, l’histoire du Roi cramoisi.

Respectueux de la chronologie, Aymeric LEROY se concentre en priorité sur l’œuvre crimsonienne enregistrée en studio, mais n’omet pas de consacrer plusieurs chapitres intermédiaires à la pléthore de disques live couvrant chaque « incarnation » du groupe, notamment les archives publiées dans le Collector’s Club (initialement réservées aux souscripteurs). L’auteur souligne combien elles apportent une lumière oblique de prime intérêt sur la réelle démarche de KING CRIMSON, et que les disques studio ne reflètent pas toujours vraiment.

De même, les périodes de hiatus (1974-1981, et 1984-1994) ont droit à leurs chapitres, de manière à évoquer (mais seulement évoquer) les activités parallèles des membres du groupe, en particulier celle de son mentor Robert FRIPP, dont la connaissance est indispensable à une meilleure compréhension des tournants pris par KING CRIMSON.

Compte tenu de l’énorme érudition de l’auteur dans le domaine du rock progressif, les premières années de KING CRIMSON – qui correspondent le plus aux critères du genre – sont évidemment mises en valeur. Aymeric LEROY scrute au scalpel la construction musicale de toutes les œuvres de cette époque, réhabilitant au passage un Lizard souvent décrié par son auteur, et se fait fort de décrypter la poésie absconse du parolier Peter SINFIELD, pour mettre en évidence l’acuité et la modernité (à l’époque) de ces « observations » faites par KING CRIMSON.

Le nouveau départ des années 1972-74, marqué par un renouvellement du propos musical, aux références plus contemporaines, est de même scruté en profondeur. Révélant un « autre rock progressif » où l’improvisation prend une part nettement plus déterminante, Larks Tongues in Aspic, Starless & Bible Black et Red fondent une nouvelle identité crimsonienne dont la marque perdurera jusque dans les œuvres plus récentes. De détails biographiques en analyses affûtées, Aymeric LEROY transmet sans difficulté toute sa passion pour la musique crimsonienne de ces années-là.

Mais quand il aborde la première période de hiatus, Aymeric LEROY prend acte du bouleversement musical consigné par l’inclassable album solo de FRIPP Exposure, sans trop y toucher toutefois…

Cependant, le créateur du site Calyx ne se démonte pas et apporte là encore de brillantes analyses pour mieux cerner ce renouveau radical du KING CRIMSON « discipliné » des années 1980, dont la grammaire stylistique, âprement dégraissée des grandiloquences passées, a laissé à la rue bon nombre de fans de progressif 70’s . Mais la quantité de pages accordée à cette période est déjà significativement plus restreinte.

Et quand on arrive aux années 1990-2000, où KING CRIMSON a été pris de troubles identitaires multiples – double trio, double duo (!) et fragmentations schizophréniques en petites unités intelligentes nommées ProjeKcts – l’effet « peau de chagrin » est patent : on sent alors qu’Aymeric LEROY prend plus de distances avec les postulats de la nouvelle formation et sa matière musicale, et se sent moins concerné par les textes et le chant d’Adrian BELEW, par exemple.

Certes, Aymeric LEROY a beau jeu d’avancer que l’exigence de renouveau que FRIPP a toujours placé comme condition première aux renaissances de KING CRIMSON a cette fois un peu de plomb dans l’aile, tant le groupe est tiraillé entre l’usage d’un vocabulaire stylistique relativement passéiste mais « modernisé » par un ripolinage électronico-métalloïde, et des expérimentations plus abstruses.

Mais sans doute la grille d’analyse d’Aymeric LEROY, mûrie par sa culture musicale « progressive », n’est-elle peut-être pas la plus appropriée pour appréhender d’une oreille moins partisane l’œuvre de « ce » KING CRIMSON. On ne peut décemment pas analyser sur des bases identiques un disque de rock progressif (fut-il « moderne ») et la musique improvisée des ProjeKcts…

De même, l’auteur semble un peu dépassé (ça se comprend !) par l’énorme quantité de parutions « parallèles » aux albums estampillés KING CRIMSON, et sa rigueur biographique en pâtit même un brin. Non seulement il survole les enregistrements des ProjeKcts, mais aussi les « soundscapes » de FRIPP et ses collaborations extérieures, notamment avec David SYLVIAN (quand il n’oublie pas certains ProjeKcts non officiels, comme les albums faits avec Bill RIEFLIN), alors que tout ce corpus morcelé et hétérogène a pourtant servi d’ADN au « nuovo » CRIMSON.

Il est de toute façon difficile d’avoir un recul significatif sur cette dernière période. Elle s’est achevée par un honorable compromis testamentaire (The Power to Believe en 2003) mais a été suivie de vraies-fausses promesses (l’inutile mini-tournée américaine de 2008, la semi-escroquerie d’A Scarcity of Miracles…).

En bout de course, on ne peut que partager le sentiment de frustration que paraît exprimer en filigrane Aymeric LEROY, et se dire qu’il manque décidément un épilogue digne de ce nom à cette aventure musicale hors du commun…

Stéphane Fougère

Éditeur : https://lemotetlereste.com/

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°32 – septembre 2012)

PS : Compte tenu de la réactivation de KING CRIMSON depuis 2014, une nouvelle édition de cet ouvrage, revue et augmentée de nouveaux paragraphes par son auteur, a été publiée en 2018.)

 

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