Kongar-ol ONDAR & Paul « Earthquake » PENA – Genghis Blues (Music from the Motion Picture)
(Six Degrees Records)
On ne naît pas chanteur de gorge (même à Touva) ; on le devient. Telle pourrait être la morale du film-documentaire des frères Roco et Adrian BELIC Genghis Blues, qui raconte l’histoire authentique du bluesman américain de souche créole Paul PENA. C’est en effet après avoir entendu pour la première fois du chant laryngal touvain sur une radio russe à ondes courtes, en 1983, que ce musicien non voyant s’est mis en tête d’apprendre en autodidacte cette technique de chant. En 1993, Paul PENA a l’opportunité de faire entendre ses prouesses au TUVA ENSEMBLE fondé par Kongar-ol ONDAR, de passage pour un concert.
Impressionné d’entendre cet « étranger » maîtriser autant la technique du chant grave kargyraa (qui vaudra à PENA son surnom « Earthquake », ou « Tremblement de terre »), Kongar-Ol ONDAR le pousse à passer le concours de chant de gorge qui doit se tenir à Touva en 1995. Avec raison, puisque PENA obtiendra un prix en tant que champion dans la catégorie kargyraa. C’est l’histoire de ce voyage et de l’amitié entre ces deux hommes de culture différente que raconte Genghis Blues, plusieurs fois récompensé par la critique, merci pour lui.
La majorité des morceaux du CD exposent tour à tour le savoir-faire de l’un et de l’autre musicien. Deux pièces en particulier démontrent avec brio cette faculté de PENA à distiller le râle kargyraa au sein d’un blues tendance John Lee HOOKER : Kargyraa Moan et Sünezin Yry (Soul’s Song).
D’autres chansons font valoir son inspiration boogie (Gonna Move) ou encore ses origines capverdiennes (Tras d’Orizão). Kongar-Ol ONDAR dispense un pertinent medley de khöömei mâtiné d’ezengileer (Ondarnyng Ayany), mais c’est surtout dans Alash Hem que l’on peut apprécier sa spécialité, le chant aigu sygyt, proche du sifflement, dont il est un champion attitré depuis 1992. Dürgen Chugaa est une autre curiosité, mêlant guimbarde et diction rapide.
La rencontre musicale des deux hommes n’est effective que sur une poignée de morceaux, dont la toujours émouvante ballade touvaine Kongurei ou encore sur Kaldak Hamar, ainsi que sur deux pièces live incluses en bonus sur cette édition. Le jeu d’ONDAR au banjo toshpuluur manque cependant d’éclat ; mais la sonorité bien particulière de la guitare blues de PENA donne aux thèmes traditionnels leur intrigante saveur. Il est toutefois dommage qu’ONDAR n’intervienne pas davantage en retour sur les chansons blues de PENA qui, même bien ficelées, ne relèvent pas forcément d’une folle originalité.
Étant donné que certaines chansons folk touvaines ont des accords semblables au blues, on aurait pu espérer davantage de cette rencontre qui s’en tient trop souvent à un hommage poli et révérencieux envers la culture de l’autre. Mais incontestablement, les timbres vocaux des deux artistes impressionneront les néophytes. Sans doute ce CD aurait-il gagné à dépasser sa fonction de simple bande-son. Reste une histoire très attachante qui rappelle au passage la place du blues dans les musiques du monde.
Stéphane Fougère
Site : www.genghisblues.com
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°12 – mars 2003)