Laurent ROCHELLE PRIMA KANTA – 7 Variations sur le Tao
(Les Disques Linoleum)
Lao TSEU l’a dit : il faut trouver la voie. Mais pour ce faire, il est inutile, contrairement à ce que prétendait un bien curieux personnage des Aventures de Tintin, de vous faire couper la tête. Il suffit, par exemple, de vous laisser griser par cet album du compositeur, clarinettiste et saxophoniste Laurent ROCHELLE. Lui qui, avec son OKIDOKI QUARTET entre autres, s’est construit un univers musical velouté et lyrique aux teintes tant impressionnistes que surréalistes, a créé une nouvelle formation autrement singulière, PRIMA KANTA, qui livre justement ici son interprétation musicale des principes de la philosophie taoïste.
Originalement conçue pour le spectacle de photo-concert Pyrénées montagne magique de Pierre MEYER (dont de superbes clichés ont été reproduits dans le livret), la musique de ce disque s’est détachée du support qu’elle illustrait pour révéler une autre ambition et se veut un « hommage à la puissance de la nature » (sic). Tâchant de restituer le flux vibratoire à l’œuvre dans le Tao, les compositions de Laurent ROCHELLE explorent ainsi sept différentes étapes de la vie selon le taoïsme et suivent un processus à visée initiatique : s’éveiller (Jian), s’envoler (Xiao Xu), grandir (Da Xu), s’attacher et se détacher (Li), franchir ses limites (Yu), nourrir le principe féminin (Kan) et harmoniser les éléments (Tong).
Ces 7 Variations sur le Tao s’achèvent sur une huitième et ultime composition, La Mélodie du Tao, qui englobe toutes les autres dans une courte mais lumineuse célébration du Tout et de son devenir.
Pour restituer la force vibratoire de cette énergie du Tao, PRIMA KANTA puise tant dans le jazz que dans les musiques minimalistes, dans le sillage des Steve REICH, Terry RILEY et autres Philip GLASS, et fait résonner des timbres surtout acoustiques teintés d’électro discrète : au saxophone soprano et à la clarinette basse de Laurent ROCHELLE s’ajoutent ainsi la harpe électro-acoustique de Rebecca FÉRON, le violon d’Arnaud BONNET, le piano de Frédéric SCHADOROFF (également préposé aux samples), le vibraphone et autres percussions de Juliette CARLIER et la voix sans mots de Fanny ROZ.
Privilégiant cordes et vents aux couleurs boisées, la musique de PRIMA KANTA se déploie à partir de cellules à l’unisson strictement écrites mais qui autorisent une grande liberté, usant d’ostinatos entêtants à partir desquels les musiciens sculptent leurs méditations en faisant varier les tempi et les humeurs. Le piano tourne tel un derviche entre sobriété et ébriété, la clarinette tisse des complaintes réflexives, les percussions suscitent des brises légères ou des tempêtes de sable, la voix étire sa nonchalance ou murmure ses rêves, le sax soprano décline ses blessures secrètes ou ses espoirs à renouveler, le violon nettoie ses larmes pour en faire des sourires, la harpe anamorphose ses cordes… Tous cultivent un vaste champ d’ondulations extatiques aptes à provoquer des frissons et qui jouent de leur pouvoir de mutation. On croit être toujours ici quand on est déjà ailleurs ; cette musique est celle de l’impermanence à l’œuvre.
Fuyant la démonstration et la virtuosité de façade pour mieux privilégier le raffinement et l’élégance, ces 7 Variations sur le Tao génèrent des textures et des ambiances tantôt sereines et introspectives, tantôt plus mouvementées dans lesquelles l’équilibre entre discipline collective et libertés individuelles est maintenu avec une belle aisance, dans un entre-deux harmonique jonglant avec l’espace et le temps. Interconnexion et ouverture sont les maître-mots de la démarche du groupe, en totale adéquation avec les enseignements du Tao.
Il en résulte une musique aussi sophistiquée qu’accessible, assurément planante sans pour autant sombrer dans les facilités new-age, car n’oubliant pas non plus de se faire subtilement “secouer” pour maintenir l’esprit éveillé et prompt à affronter les “accidents de parcours”, à suivre les “détours” du flot de la vie avec la spontanéité requise.
C’est peu dire qu’avec ses 7 Variations sur le Tao, Laurent ROCHELLE fertilise avec conviction et inspiration une voie aux échos mystiques où se reflètent les ombres d’un MOONDOG et d’un Nik BÄRTSCH. Son « cri primal » (traduction de « prima kanta ») n’a en tout cas rien d’une agression ; il s’épanouit au contraire en un souffle capiteux qui s’imprime durablement dans les écoutilles auditives.
Stéphane Fougère
Site : https://www.linoleum-records.com/laurent-rochelle
Page : 7 variations sur le Tao | PRIMA KANTA (bandcamp.com)
Page label : www.linoleum-records.com/product-page/laurent-rochelle-prima-kanta