L’ENSEMBLE RAYÉ – Théâtre de la Poudrière
(Les Disques Rayés)
L’histoire qui lie le groupe suisse L’ENSEMBLE RAYÉ et la compagnie non moins helvétique du Théâtre de la Poudrière de Neuchâtel ne date pas d’hier. Ce double CD est là pour nous rappeler (ou nous apprendre) que la relation de confiance artistique qui s’est nouée entre ces deux parties remonte quasiment à une vingtaine d’années.
On savait déjà que les musiques très visuelles générées par le groupe des deux ex-DÉBILE MENTHOL Jean20 HUGUENIN et Cédric VUILLE constituaient un excellent support, ou renfort, sonore à des œuvres littéraires enfantines ou à des spectacles chorégraphiques. Comment ne pouvaient-elles pas également convenir aux créations bien spécifiques du Théâtre de la Poudrière, dont la particularité, mondialement reconnue depuis sa création en 1970, est de mettre en scène des marionnettes géantes. Et on ne parle pas uniquement ici de spectacles pour enfants ! La grande force de cette compagnie neuchâteloise est de proposer des créations pour un public adulte vouées à faire reconnaître la marionnette contemporaine comme une expression originale et un art à part entière.
Ainsi, depuis les débuts de sa collaboration avec le Théâtre de la Poudrière, L’ENSEMBLE RAYÉ a composé les musiques d’une bonne dizaine de spectacles, toutes réunies dans ce double album. Le premier CD regroupe les « musiques rayées » écrites pour des spectacles joués entre 1998 et 2005, et le second celles des spectacles datés de 1987 à 1997. Certaines pièces figuraient déjà dans l’album de L’ENSEMBLE RAYÉ ou encore dans le disque de Cédric VUILLE, Des Pas rayés, mais la majorité sont inédites.
D’une certaine façon, ce double album pourrait passer pour une généreuse introduction au monde sonore des « Rayés », tant on y retrouve leurs inspirations et leurs espaces sonores si caractéristiques, qui croisent de-ci, de-là, ceux d’Erik SATIE, Robert WYATT, Pierre BASTIEN, KLIMPEREI, PENGUIN CAFE ORCHESTRA ou Lars HOLLMER : foncièrement ludiques, souvent cocasses, royalement rêveurs, évidemment naïfs, largement féeriques, bref ouvrant sur un imaginaire pluriel aux mille nuances émotionnelles, desservi par une palette instrumentale pléthorique.
Toutefois, on découvrira aussi dans ce Théâtre de la Poudrière des aspects sans doute plus inattendus et moins connus de la musique des Rayés, comme cette pièce écrite pour le spectacle La Vouivre, troublante et même un brin grinçante, ou encore celles de spectacles plus anciens comme Plus haut que la mer, à l’habillage plus électro-planant, ou encore Sire Halwyn et Nativité, aux allures plus symphoniques, et entièrement conçues aux claviers par Jean20 HUGUENIN.
Réduire ces musiques à de l’illustration sonore serait par trop expéditif. Le souffle et l’esprit d’invention qui les habitent en font d’indispensables adjuvants aux spectacles marionnettistes de la Poudrière, tout en ayant suffisamment d’autonomie pour être écoutées et appréciées hors de ce contexte. On découvre alors un univers foisonnant, entre valse des pierres et musiques des anges, moulin à histoires et course à pattes, bar à pingouins et massacre des innocents, dans lequel s’esbaudissent des lapins enturbannés, des mérous et des bêtes à pique, bref toute une ménagerie fine nimbée de lueurs « marionnettales »…
Prenez garde : à l’écoute de ce double CD, même votre lampe de chevet pourrait se prendre pour une antilope danseuse à la recherche de ses escarpins !
Stéphane Fougère
Site : www.ensembleraye.ch
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°19 – mars 2006)