Makoto KAWABATA – Richard PINHAS – Yoshida TATSUYA
(Bam Balam Records)
L’actualité de Richard PINHAS est marquée par plusieurs choses : depuis peu, ses albums en solo et avec HELDON font l’objet de rééditions sur le label Bureau B, et le légendaire HELDON s’est reformé avec de nouveaux musiciens. Il y a des concerts aussi : Richard est allé jouer en Pologne, et bientôt il se rendra à Londres. À Paris, par contre, il n’y a rien de prévu !
Et puis Bam Balam Records a sorti un nouveau disque en version CD et en vinyle. Nous allons faire un bond en arrière jusqu’en 2016 où s’est déroulée une session spéciale à Toulouse (au studio Condorcet) entre Richard PINHAS et deux grands noms de la scène avant-gardiste japonaise et aux carrières impressionnantes, à savoir Makoto KAWABATA d’ACID MOTHER TEMPLE, et Yoshida TATSUYA du groupe zeuhl KOENJI HYAKKEI et de RUINS / RUINS ALONE.
Disons tout de suite qu’il faut plutôt choisir la version CD. À moins de vouloir les deux objets (il est vrai que le 33t. a de la classe !!!), privilégiez le CD parce qu’il propose plus de titres. Chacun des douze morceaux est simplement intitulé Trax suivi d’un numéro, allant de 1 à 14. Vous constaterez qu’il y a pas de Trax 2, 10 et 11… Tout simplement parce que le disque aurait été trop long et Richard a dû faire une sélection.
C’est une aventure excitante que nous devons à ces trois musiciens où la batterie et les guitares (les fameuses » delayed guitars » pour PINHAS, et la » war guitar » pour KAWABATA) s’affrontent sans retenue, toutes griffes métalliques dehors. C’est une musique bouillonnante, réalisée dans l’urgence, et aux rugissements infinis (Trax 1,3,4,5), une sorte de manifeste violent, assourdissant, à l’attention d’un monde totalement déboussolé et dont le futur s’annonce des plus sombres.
Les guitares sont constamment sur le fil du rasoir : la guitare de Makoto trace des lignes sinueuses et accidentées renforçant l’aspect imprévisible de la musique, alors que Richard livre des sons remplis de rage et d’agressivité, des tourbillons qui vous soulèvent jusqu’au firmament des étoiles. Même si certaines intros développent des climats plus apaisés, tout cela n’est que temporaire. La décharge électrique s’insinue lentement dans les veines et finit par exploser ; ces acharnements noisy sont parfois à la limite du soutenable et le guitariste français est aussi terrifiant qu’à l’époque de HELDON (Un Rêve sans conséquence spéciale, Interface).
La batterie, elle, est marquée par le jeu habituel de TATSUYA, à la fois puissant, rapide, fluide, et inspiré du free. C’est prenant… Enfin jusqu’à une certaine dose ! En effet, nous aurions aimé parfois qu’elle sache aussi se faire beaucoup plus discrète pour laisser de l’espace aux guitares parce que ces assauts continus à la sonorité un peu criarde peuvent devenir à la longue assommants.
Parades électriques secondées par les attaques virevoltantes de la batterie menées par un véritable commando mécanique destructeur, favorablement inspiré par cette séance improvisée. Cette performance a également bénéficié de quelques rajouts soniques supplémentaires, tels des soli de guitare et des boucles de synthés réalisés dans le studio de PINHAS à Nantes et celui de KAWABATA à Asuka.
Cette musique est la réunion de plusieurs mondes sonores, héritière évidente de ce qui a pu marquer l’histoire de la musique mondiale depuis des décennies. C’est comme si dans ce studio, se retrouvaient les esprits des plus grands représentants du jazz et du free (de COLTRANE à SUN RA avec ces sons de claviers psychés et frénétiques sur Trax 6 et 7), les univers singuliers de KING CRIMSON (période Groon), de HELDON, de groupes krautrock (de CAN à AMON DUUL 2 période Phallus Dei) mais aussi des Américains de SONIC YOUTH.
Les musiciens nous embarquent pour un trip sonique tortueux et délicieusement complexe, qui réveille les consciences, qui appelle à un sentiment de puissance et de révolte. Cette musique incandescente, exemple de liberté totale, est une entité mutante bercée de rock bruitiste, de free jazz, de post-rock, d’avant-garde, de psyché et de blues (c’est surtout évident avec les derniers morceaux).
Cédrick Pesqué
Site : http://bambalam.com/