Mari BOINE / Inna ZHELANNAYA / Sergey STAROSTIN –
Winter in Moscow (Jaro)
Nous sommes en 1992. La chanteuse sami Mari BOINE a sorti trois ans auparavant son deuxième album, Gula Gula, chez Real World. Dû à l’énorme travail de promotion fait autour de ce label, Mari et son groupe bénéficient d’une reconnaissance internationale, et son disque est aujourd’hui une référence indispensable d’une certaine musique du monde évolutive émanant du Grand Nord.
Nous sommes en 1992, cette fois-ci à Moscou. La chanteuse et guitariste folk-rock russe Inna ZHELANNAYA et le chanteur traditionnel russe Sergey STAROSTIN n’ont pas encore formé l’étonnant groupe folk-jazz-rock THE FARLANDERS (deux CD chez Jaro), mais Inna travaille déjà à une certaine conception d’un rock ethnique avec son groupe ALLIANS (ALLIANCE) et Sergey s’investit dans le MOSCOW ART TRIO du pianiste Misha ALPERIN.
1992 : l’homme de radio qu’est Sigborn NEDLAND parvient enfin à organiser dans un studio moscovite une rencontre entre ALLIANS et le MARI BOINE BAND. Grand bien lui en a pris. Une semaine durant, les membres des deux formations, augmentés de Sergey STAROSTIN, Andrej MISIN (chant, claviers) et Narodnyj PRAZDNIK (chant) élaborent un répertoire qui fusionne les traditions russe et norvégienne tout en mettant en valeur l’identité et les idées avant-gardistes de tous les musiciens conviés.
Trois morceaux, trois perles rares, illustrent cette union, et c’est eux qui sont placés en exergue de Winter in Moscow. Cela commence par un thème de Mari BOINE, Das Aiiggun Cuozzut (Here Will I Stand), qui ressurgira peu après dans son troisième album, Goaskinviellja, sous une forme évidemment très différente. Au chant sami (le joik) de Mari répond le chant russe de Sergey STAROSTIN, qui joue également d’une flûte traditionnelle (une corne de vache en fait) superbement rustique. Cerise sur le gâteau : un chœur de femmes russes inattendu, et dont c’était la première performance en studio, ajoute une dimension supplémentaire à cette pièce incantatoire.
Changement de décor avec Pjesna Ljesorubov (Song of the Lumberjacks) : cette pièce d’Andrej MISIN invite à une célébration festive à la mode nordique. Inna, Sergey et Mari conjuguent leurs ivresses vocales au banquet instrumental de leurs musiciens, et il ne reste plus qu’à pousser les tables !
The Corridor Song invite pour sa part à un autre type de communion : mystique, sans appel. C’est le type de pièce marquée par la grâce, enregistrée dans un couloir du studio, alors que tout le monde faisait une pause salutaire. Et l’inspiration a surgi sans prévenir…
Ces trois pièces constituent des exemples parfaitement probants du métissage des cultures et des genres quand il aboutit réellement à l’avènement d’une expression musicale novatrice, à la faveur d’une communion riche et lumineuse.
D’autres morceaux complètent l’album (qui sinon eut été assez court), mais ne sont pas le fruit de cette rencontre entre MARI BOINE BAND et ALLIANS. Ils ne sont pas négligeables pour autant et s’inscrivent parfaitement dans la continuité et l’esprit des précédents, car ils représentent en effet les démarches individuelles des principaux artistes qui ont pris part à cette collaboration.
Sjestra Maja Notsj (The Night Is My Sister) met en évidence le chant limpide d’Inna ZHELANNAYA, qui est ici exceptionnellement accompagnée par un musicien du groupe ASHKHABAD (auteur d’un CD chez Real World). Les ALLIANS affichent leur intérêt pour la tradition russe avec Vozlje Tvojej Ljobvi (Near Your Love), auquel s’adjoint Sergey STAROSTIN, avec encore une autre flûte traditionnelle.
Odinotsjestvo-Sestritsa (Sister Loneliness) est la contribution folklorique d’Andrej MISIN, tandis que Mari BOINE signe un émouvant Roahkadit Rohtte Luodi Manazan (Joik With Pride, My Child!), traduction d’un poème amérindien. Enfin, Sergey STAROSTIN (accompagné des ALLIANS) ferme la marche, avec un non moins envoûtant Balada O Gorje (Ballad of Grief).
Voilà : cet « hiver (passé) à Moscou » est de ces instants qu’on est heureux d’avoir connu, car on sait qu’ils sont uniques. Cet album avait déjà fait naguère l’objet d’une parution pour le moins discrète qui n’a pas dû être couverte en Europe. C’est enfin chose faite grâce au label allemand Jaro, qui réédite le disque tel quel, sauf qu’une pièce a été remplacée par une autre (celle d’Andrej MISIN). Autant dire que, même si cet album ne court pas les rues, il faut le convoiter sans tarder.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°10 – avril 2002)
Label : www.jaro.de