MOGER ORCHESTRA – There Must Be a Passage

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MOGER ORCHESTRA – There Must Be a Passage
(Musiques têtues)

Quand on se sent à l’étroit et qu’on s’étiole dans son environnement, on a qu’une envie : c’est de s’évader, aller respirer au loin ; bref, faire le mur. Quand il s’agit de musique, c’est pareil : quand on en a assez des musiques trop étriquées, trop corsetées, on rêve de sons affranchis, de compositions au souffle lointain, autrement dit, on rêve d’un orchestre qui nous fasse faire le mur. Qu’à cela ne tienne : il y a en Centre-Bretagne, à Rostrenen, un ensemble qui s’est précisément donné pour mission de vous faire franchir ce mur.. Et il s’appelle, tenez-vous bien, le MOGER ORCHESTRA, « moger » signifiant mur en breton.

Je vous vois venir : non, son ambition n’est pas de créer un « mur du son », du moins pas au sens premier du terme, ce serait trop facile et peu avenant. Nous parlons ici d’un son riche, stratifié, coloré, compact et aéré tout à la fois, un son d’orchestre qui emprunte au jazz sans être un « big-band », qui emprunte au rock sans verser dans la saturation unilatérale, et qui ne fait pas non plus du jazz-rock puisqu’il puise également dans le folk, le traditionnel, le contemporain et l’improvisation. Si, c’est possible.

À l’époque de son premier album, Time Will Defeat paru en 2014, cet « orchestre du mur » ne mesurait que cinq pieds de haut. Comprenez qu’il n’était qu’un quintet formé de Dylan JAMES au chant et à la basse, Régis BUNEL au saxophone baryton, Étienne CABARET à la clarinette basse, Grégoire BARBEDOR au tuba et Nicolas POINTARD à la batterie. Tous les cinq ont derrière eux un parcours semé d’expériences diverses et variées, que ce soit dans le jazz, les musiques improvisées, les musiques traditionnelles bretonnes évolutives, bref des univers ouverts sur le grand large et truffés de chemins de traverses. Ce premier album posait déjà les bases de l’ambition du groupe MOGER, chapeauté par Dylan JAMES : constituer une sorte de « brass-rock band » pour mettre en musique des recueils de poésie (en l’occurrence écrites par Griselda DROUET).

Fatalement, quand on s’ouvre aux vents du large viennent des envies de grandeur, aussi MOGER est-il devenu le MOGER ORCHESTRA sur son deuxième album éponyme sorti en 2018, avec pas moins de dix « soufflants » supplémentaires. On chuchote même que, pour la scène, six choristes avaient rejoint cette généreuse « fanfare murale ».

Pour ce troisième album, la formation du MOGER ORCHESTRA a été revue à la baisse (on imagine bien les difficultés à porter un ensemble de quinze musiciens sur les routes et dans les salles…), mais la démarche artistique n’a rien sacrifié de sa singularité, ni de sa portée : il y a certes moins de vents, mais plus de cordes.

Autour de la basse et de la voix de Dylan JAMES, on trouve toujours la batterie de Nicolas POINTARD et la clarinette basse d’Étienne CABARET. Débarqué dans le disque précédent, le saxophone baryton de Régis BUNEL répond une fois de plus à l’appel, et la section vents s’est enrichie du saxophone alto et de la flûte à bec de Sakina ABDOU, qui officie également aux chœurs.

En face s’est constitué un renfort de cordes, avec la guitare électrique de Christelle SÉRY (qui fait entendre occasionnellement son superbe timbre de voix), le violon de Floriane LE POTTIER et le violoncelle de Léonore GROLLEMUND ou de Pauline WILLERVAL (toutes deux assurant de même les chœurs). Au total, on se retrouve donc avec un octet constitué de neuf musiciens (puisqu’il y a deux violoncellistes à temps partiel) !

Baptisé There Must Be a Passage, ce troisième disque du MOGER ORCHESTRA a été enregistré en public lors de deux concerts en 2022 à Quimper et à Brest, et l’ensemble a été mixé par Antonin VOLSON. Les huit pièces qu’il contient s’appuient sur un nouvel ensemble de textes écrits par Griselda DROUET et Dylan JAMES, que ce dernier interprète en mode parlé (« spoken word »), déclinant un débit à plusieurs vitesses, selon l’émotion exprimée. Il est soutenu à certains endroits par des chœurs émis par les musiciennes du groupe, ou secondé sur une chanson par la voix de Christelle SÉRY.

Les musiques, composées collectivement et arrangées selon les cas par Nicolas POINTARD, Christelle SÉRY, Dylan JAMES et Pauline WILLERVAL, alternent des passages épurés et des séquences plus orchestrées dans lesquelles joutent sons acoustiques et sons électriques. L’énergie déployée par l’ensemble circule à travers des moments de méditation, des espaces de tension, des instants d’ébullition, voire de chaos (organisé ou improvisé), au sein desquels les vents et les cordes se font des bras de fer sous la houlette de la section rythmique, qui ménage frictions et ruptures.

Le MOGER ORCHESTRA décline ainsi une ample grammaire sonore faite de caresses mélodiques, de grincements impromptus, de souffles sépulcraux, d’embardées rêches, de contorsions hypnotiques et d’accalmies troublantes.

Chaque composition raconte une histoire faite de plusieurs segments ou scènes, à la manière de ce qui se pratique dans les musiques progressives folk et rock, mais avec l’apport des libertés de vocabulaire issues du jazz et des musiques contemporaines et improvisées. On peut ainsi y trouver des échos plus ou moins distants de certaines créations « brass-rock » conçues naguère par Carla BLEY (Escalator Over the Hill), Michael MANTLER (The Hapless Child and Other Inscrutable Stories), John GREAVES (Kew.Rhône) ou Lindsay COOPER (NEWS FROM BABEL).

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Mais s’il est une source à laquelle se raccroche en priorité le MOGER ORCHESTRA, c’est ce verbe poétique multidimensionnel et pluri-sémantique dispensé à part égale par Griselda DROUET et Dylan JAMES et qui nous projette dans un périple intérieur saisissant. Il y est question de sorcellerie moderne électrique ou de sorcellerie « salée » sur des pans de territoires inhabités, de vie urbaine asphaltée qui cache la lumière (la phrase qui sert de titre au disque, « There Must Be a Passage », vient de là…), d’errances entre égouts, bétons et néons, de chutes inéluctables… On visite le pays d’un fossoyeur, on passe devant une maison délaissée qui s’effrite de partout, on rencontre des personnes ne vivant pas dans le même temps, on croise des eaux plus bleues… autant d’images et de paysages nimbés de mystères qui renvoient à des thématiques bien d’aujourd’hui.

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There Must Be a Passage… Oui, il doit y avoir une sortie, et elle est quelque part dans les labyrinthes épiques tracés par le MOGER ORCHESTRA.

Stéphane Fougère

Label : www.musiquestetues.com/creations/moger-orchestra-2/

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