MONTANARO – Tambourinaire
(Buda Musique / Universal)
Si le galoubet-tambourin véhicule par excellence l’imagerie folklorique de « l’instrument national de la Provence » (sic), Miqueu MONTANARO n’est cependant pas, malgré son apparence d’ours débonnaire, le type même du « folkeux » indécrottable avec lequel on peut raisonnablement continuer à entretenir le mythe d’un folklore immuable et réifié.
Comprenons-nous bien : ce natif de Hyères, dans la région varoise, joue du galoubet-tambourin depuis des lustres, en solo comme en groupe, et peut à lui seul illustrer une anthologie du répertoire traditionnel provençal conçu pour ce curieux instrument à deux têtes (puisqu’il s’agit d’une flûte à trois trous associée à un tambour, les deux étant joués simultanément). En revanche, un disque qui se contenterait d’illustrer l’art de MONTANARO avec la seule matière folklorique provençale serait à coup sûr prodigieusement incomplet et erroné. Tel n’est pas le cas de Tambourinaire, qui, en 75 minutes, se propose de nous dresser le portrait le plus éclectique possible de son parcours artistique. Gageure ?
Comme le savent les connaisseurs, la trajectoire de MONTANARO est davantage formée de confluents culturels que de lignes droites identitaires confinant à l’impasse. Il suffit de rappeler que, outre le galoubet, MONTANARO jouait aussi dans les années 1970 du saxophone, de la flûte ou encore de la guitare. Difficile aussi de ne pas évoquer sa rencontre en 1978 avec le contrebassiste Barre PHILLIPS, qui lui a fait découvrir le free-jazz et la musique improvisée, l’amenant à reconsidérer sa pratique du galoubet-tambourin et notamment travailler l’autonomie de ses deux mains, de manière que le flûtet soit joué indépendamment du tempo du tambourin, comme l’illustre sur ce disque le morceau Amor & Folia.
On ne s’étonnera donc pas que MONTANARO ait joué avec d’autres tenants des traditions « en action », comme l’attestent ses dialogues avec le percussionniste Carlo RIZZO et le vielliste Dominique REGEF (In tambourin virtuositas galobet lucet omnibus), dans un esprit de liberté qui n’empêche aucunement la rigueur et surtout le respect des mémoires liées aux traditions.
Fort de ce postulat essentiel, Miqueu MONTANARO est ainsi parti à la recherche et à l’écoute des autres traditions méditerranéennes, travaillant ainsi avec l’Espagnol Pedro ALEDO (Macar E door), la chanteuse grecque Nena VENATSANOU (Pikria)… La tentation du continent africain était de même trop grande, et des albums comme Messatge et Noir et Blanc (représenté par un morceau dans ce Tambourinaire) attestent de la valeur tant artistique qu’humaine des spectacles créés avec le griot Kanomba TRAORE, ce qui a valu à MONTANARO d’être perçu par un chef de village du Burkina-Faso comme « l’homme qui parle aux dieux avec la flûte et à la terre avec (son) tambour ».
L’environnement maritime n’est pas non plus une condition sine qua non pour les échanges. C’est ainsi que MONTANARO cultive depuis 1989 une expérience plus continentale avec des musiciens et des groupes hongrois (GHYMES et VUJICSICS) au sein du collectif VENT D’EST, amplement représenté dans Tambourinaire avec des extraits de ses trois albums. Évocation est faite également du rare album Kolaz/ Collage, avec des musiciens de jazz tchèques.
Plus étonnant encore est le projet Java (illustré par le morceau Kampung) conçu avec l’orchestre d’instruments en bambou (krumpyung et gamelan) de l’Indonésien Sapto RAHARJO, prouvant ainsi que les distances géographiques les plus âpres s’effilochent devant les complicités musicales, si inattendues soient-elles.
Tambourinaire illustre également d’autres expériences encore moins étiquetables menées par MONTANARO avec le groupe TENSON, le trio IMAGINOGENE (terme qui a inspiré à MONTANARO l’expression « musiques imaginogènes » pour qualifier ses créations), le spectacle l’Ora Daurada (avec la vielliste Laurence BOURDIN et la contrebassiste Amanda GARDONE) ou encore en solo, comme ce Grand Soleu joué au galoubet « réverbéré ».
On ne garantit pas que tous les projets et formations de Miqueu MONTANARO aient trouvé à se caser dans Tambourinaire, mais la sélection est déjà fort alléchante et dresse une peinture éloquente en forme de mosaïque.
Toutes les pièces réunies ici, extraites de CD, d’albums rares ou tout bonnement inédites, sont autant de pistes semées à tous les vents, lesquels sont forcément porteurs d’augures bénéfiques pour la tradition du pays PACA et du galoubet-tambourin.
Stéphane Fougère
Site Web : www.compagnie-montanaro.com
Label : www.budamusique.com
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°14 – mars 2004)