MYRDHIN & ZIL (ARS CELTICA)
Une féérie de harpes
Pour les vétérans des musiques celtiques, MYRDHIN est l’un de ceux qui a contribué à faire renaître la harpe celtique, au point de lui consacrer une rhapsodie (l’album Emersion en 1980) et tout un festival depuis 1984, les désormais renommées Rencontres internationales de harpe celtique de Dinan. D’autres, au moins avec le recul, auront reconnu en lui un pionnier du métissage ethnique avec son groupe AN DELEN DIR dans les années 1970 et 1980. Enfin, les plus jeunes l’ont sans doute entendu et même vu au sein du groupe-phare du « vrai monde global » de Peter GABRIEL, l’AFRO CELT SOUND SYSTEM.
Natif de Haute-Bretagne, le harpeur, compositeur et occasionnellement chanteur MYRDHIN (Rémi CHAUVET à la ville) représente 30 ans d’aventures bardiques, 30 ans à œuvrer en faveur du nouvel âge de la harpe celtique, 30 ans qu’il a dignement fêtés sur scène en 2001, notamment au Festival interceltique de Lorient. Déja présente aux côtés de MYRDHIN depuis les débuts d’AN DELEN DIR, ZIL s’est elle aussi faite un nom en tant que harpiste depuis une bonne dizaine d’années.
ZIL et MYRDHIN ont eu beau faire route commune depuis un quart de siècle, ce n’est qu’en 1997 qu’ils se sont décidés à se produire en duo sous le nom ARS CELTICA, auteur de deux disques chez Kerig Productions, Harpsody (1998) et Fréhel Fééries (2001), ce dernier ayant été réalisé en hommage à ce cap du bout du monde breton qui a illuminé leur imagination depuis l’enfance, au même titre que la célèbre forêt de Brocéliande.
Visite guidée et approfondie des lieux par les deux harpistes, et mise en perspective de MYRDHIN sur son parcours et ses réalisations discographiques.
Entretien avec MYRDHIN & ZIL
Contrairement au premier album d’ARS CELTICA, Harpsody, qui exposait vraiment l’œuvre acoustique d’un duo de harpes, le second album, Fréhel Féeries, se distingue par la participation de nombreux invités. Pourquoi ce choix ?
MYRDHIN : Je crois qu’il faudrait plutôt passer le micro à ZIL, car c’est vraiment elle qui, pour ce disque, a pris la production en mains. Moi, j’ai un côté « sanglier solitaire » et je n’éprouve pas forcément le besoin de m’entourer d’une meute. Mais le disque a pris une autre tournure. Il fallait chanter la mer et un site qui est grandiose, et c’est vrai qu’être seulement deux c’était un peu juste pour évoquer la majesté des paysages du cap Fréhel. On s’est dit qu’il serait bon d’étoffer avec du piano – un superbe piano à queue –, des flûtes, des percussions, etc. Et puis on s’est fait plaisir, et on a trouvé une formule de production à trois qui a permis de réaliser la chose, car c’est quand même un disque qui a coûté cher.
ZIL : Lors de notre premier disque, Harpsody, MYRDHIN était en plein dans l’aventure AFRO CELT SOUND SYSTEM. Alors on s’est demandé : « Est-ce qu’on fait appel à Simon EMMERSON, qui nous avait proposé de produire un disque, ou est-ce qu’on fait quelque chose de franchement acoustique, entre nous, avec principalement les deux harpes ? » On a finalement opté pour cette dernière solution, et Harpsody a été conçu comme une rhapsodie, c’est-à-dire un grand morceau qui ne finit pas, qui est constitué de plusieurs pièces mais qui peut s’écouter d’une traite.
En somme, Harpsody a été conçu dans l’esprit de l’album Emersion ?
Z : Oui, parce qu’il y a plusieurs fans d’Emersion qui ont demandé à MYRDHIN : « Bon alors, quand est-ce que tu nous réécris quelque chose comme ça ? » On est donc partis là-dessus, sur l’idée de la forêt, des arbres… Et pour notre second disque, le producteur nous a suggéré de traiter le thème de la forêt de Brocéliande. On a dit que ça suffisait comme ça avec les arbres ! MYRDHIN avait déjà réalisé La Vie de Merlin… Nous avions un autre pôle d’attraction, qui est le cap Fréhel. C’est là que nous avons tous deux vécu une grande partie de notre enfance. Or, ce cap va d’Est en Ouest, il représente toute la Bretagne : son ouverture à l’Est donne sur la Haute-Bretagne, le pays gallo, le reste du monde, et son ouverture à l’Ouest constitue la partie bretonnante. On a donc fait le choix de ne faire jouer que des gens du pays.
L’autre idée était aussi de tenir compte de nos rencontres dans le domaine des musiques actuelles. On connaissait notamment un DJ qui « scratche », et comme MYRDHIN avait justement écrit l’an dro qui est placé au début du disque, on s’est dit : « Pourquoi pas ?! » L’idée, c’était que la plupart des gens qui visitent le cap Fréhel arrivent de la ville en voiture, à la baie de la Fresnaie, et qu’ils ont donc encore l’autoradio en marche qui diffuse de la musique urbaine. Peu à peu, la mer fait son apparition, et la musique se fait plus aquatique, plus intimiste. Commence alors la promenade sur le cap, qui représente réellement une randonnée de six heures ! On l’a faite avec le preneur de son, avec certains musiciens, on l’a faite et refaite avec les harpes, etc.
À la fin, on arrive à un endroit qui s’appelle Le Pas de la chèvre, c’est l’ouverture plein Ouest sur le pays bretonnant, et le disque se conclut donc sur une gavotte, avec biniou et bombarde, mais aussi avec la kora africaine, car il y a aussi ouverture sur le large… On a fait appel, pour trois morceaux, au joueur de kora N’Faly KOUYATE, que MYRDHIN avait rencontré dans AFRO CELT SOUND SYSTEM. Comme Simon EMMERSON avait voulu exploiter l’idée de faire jouer les deux harpes, celtique et africaine, ensemble mais n’y était pas arrivé, on a décidé de le faire à sa place ! (rires)
Les angles de Fréhel
S’il fallait distinguer les deux disques d’ARS CELTICA, on pourrait dire que Fréhel Fééries est donc une randonnée musicale sur un site géographique, tandis que Harpsody était un calendrier, une randonnée dans le temps… Son élément était la forêt, donc la Terre, alors que Fréhel, c’est évidemment la mer.
Z : Oui, et c’est curieux parce que nous deux, nous pensions le cap Fréhel en termes de mer, de plage, de vagues, etc. Mais notre collaborateur, Pierre-Louis CARSIN (du studio Toot de Saint-Brieuc), qui est du cap Fréhel – c’est pourquoi on voulait enregistrer avec lui –, voyait davantage les falaises, les rochers, les grottes, tout ça… Nos visions étaient donc très complémentaires, et on a ainsi refait le tour du cap ensemble pour effectuer des prises de son naturelles. On a discuté pendant des mois de nos perceptions du site…
Et vous envisagez éventuellement de travailler encore avec ce DJ ?
M : Il n’y a pas de projet précis pour l’instant ; mais ça me plairait bien, oui. Je peux réagir de plain-pied, comme à l’époque où Simon EMMERSON m’avait proposé d’accompagner Baaba MAAL. Je ne connaissais rien à la musique africaine. Je ne l’avais pas étudiée, et je ne possédais aucun disque africain, à part un de Madagascar.
Simon m’avait envoyé une cassette sur laquelle j’ai travaillé. C’est vrai que c’est une musique avec des riffs, des « patterns » assez courts et répétitifs et qui s’inscrit dans un système modal qui est le nôtre, même s’il n’y a pas toujours les mêmes modes. C’est un système à sept notes et qui ne fait pas appel au mental. Mais pour peu qu’on se laisse aller, ça vient ! J’ai donc enregistré sur la cassette ce qui me venait, ce n’était pas du tout écrit, et ça leur a plu.
Avec le scratch, c’est un peu pareil. Si j’entends des fonds rythmiques de scratcheurs, si j’entends leurs « instrus », comme ils disent, il y a des mélodies qui me viennent spontanément. Je ne fais pas appel au mental, je laisse venir… De la même façon que, dans ma voiture, à une certaine vitesse, le moteur tourne et crée des harmoniques qui peuvent me suggérer des mélodies. J’ai déjà fait ça avec le rasoir électrique, du temps où je me rasais, à l’armée ! (rires) Ben oui, parce que sur la joue la bouche fait caisse de résonance, et un rasoir électrique, pour peu qu’on en prenne conscience et qu’on en joue, peut devenir un instrument de musique ! Ça peut faire office de guimbarde…
Ça n’a rien à voir, mais dans le disque Fréhel Fééries, vous jouez du piano sur une reprise de GAINSBOURG, Les Goémons. Est-ce là aussi le fait d’un acte spontané ?
Z : MYRDHIN voulait la chanter depuis longtemps mais n’avait jamais osé le faire. Or, il a appris à jouer du piano avant de jouer de la harpe. Du reste, sur le tout premier disque de notre groupe AN DELEN DIR, qui n’est pas très connu par ici, il jouait du piano. Peu de gens le savent, mais MYRDHIN a joué beaucoup de piano. Donc, on l’a énormément poussé pour qu’il accepte de jouer du piano sur ce disque ! (rires)
M : Je ne suis qu’un modeste interprète sur ce disque…
Z : C’est cela, oui…
En tout cas, le livret est à la mesure de l’œuvre enregistrée ; il est lui aussi une œuvre d’art.
M : Pour le livret, on a fait appel à un autre copain, de Saint-Malo, qui avait lui aussi une autre perception du cap Fréhel. Ce n’était pas du tout la nôtre. Mais finalement, il y a eu tout un travail de coopération qui a été nourri.
Z : De plus, il se trouve qu’on fait nous aussi de la photo, et on avait une vision un peu particulière. Pour notre copain, le cap Fréhel était forcément gris. Pour nous, il y avait plein de couleurs. C’est du grès rose, il y a des bruyères, des ajoncs… Or – vous le croirez si vous voulez –, au moment où l’on est arrivé au cap avec lui, il faisait désespérément gris ! On n’avait jamais vu le cap comme ça !
Heureusement, ça a changé dans les heures qui ont suivi. Notre camarade a donc pris quelques photos, mais il nous manquait quand même quelque chose : le cap vu de la mer. Alors qu’on venait de ressortir une photo prise il y a dix-sept ans, notre copain est parti en Zodiac photographier le cap, non sans prendre d’énormes risques. Regardez par exemple la photo des grottes en turquoise. Il est vrai que cet angle donne une vision du cap qu’on n’a pas quand on se promène sur le cap ; il était donc important que cette photo figure dans le livret.
On retrouve du reste cette variété d’angles dans l’écriture musicale du disque…
M : Pour nous, il est clair que ce n’est pas un disque de musique traditionnelle bretonne. Il y a du GAINSBOURG, de la musique sénégalaise, des aspects classiques, jazz…
Ces aspects, vous les devez à votre formation de pianiste je suppose ?
M : Oui. Comme tous les gamins, j’ai suivi l’Ecole de musique et j’ai joué du CHOPIN, du MOZART, et j’en ai sué ! Là, on est dans le domaine du mental. Bon, j’aime bien, mais… De plus, mon père était musicien et jouait de la clarinette, du saxophone et de la trompette. Il a tout joué : de la musique classique, du jazz, de la musique de chambre, de cirque, de bal, sauf de la musique bretonne. J’ai donc grandi en écoutant des choses variées. J’ai gardé le goût de ces influences, elles me sont devenues naturelles. Mais pour beaucoup de gens je fais de la musique traditionnelle bretonne, ce qui m’étonne toujours. (rires)
Z : Il y a un morceau sur Fréhel Fééries qui a été composé tardivement, au moment du naufrage de l’Erika. Et ce morceau illustre bien les différences entre nos deux harpes, de même que notre complémentarité dans l’écriture musicale. Car s’il y a des morceaux où je me contente d’accompagner MYRDHIN, il y en a d’autres qui ont été composés vraiment par nous deux. C’est toujours des moments intenses…
Pour ce morceau, on est partis d’une base harmonique convenue entre nous – c’est une valse – et chacun de nous a travaillé pendant un mois de son côté. Ensuite, on a tout mis ensemble. Vous nous direz ce que ça donne. (rires) C’est le seul morceau qui n’est joué que par les deux harpes.
J’ai un jour demandé à MYRDHIN ce qu’il avait mis dans ce morceau. Il m’a répondu : «Je sais pas trop… C’est une valse, quelque chose de gai…» Moi, en revanche, je m’étais inspirée des événements de l’époque, l’Erika, le Vénézuela…
Après un concert durant lequel on avait joué ce morceau, une dame est venue nous dire : « C’est curieux, on sent bien dans ce morceau que la harpe de MYRDHIN est très claire, très sereine, alors que celle de ZIL est très sombre. » C’est ce que raconte tout le morceau, en fait.
C’était la première fois que vous travailliez ainsi ?
M : Non. On avait procédé de la sorte pour trois titres sur Harpsody, bien qu’un peu différemment.
Aux croisements du monde
Parmi les musiciens invités sur Fréhel Fééries, Jean-Pol HUELLOU joue toujours de la flûte shakuhachi. Envisagez-vous de poursuivre avec lui cette expérience musicale de croisement entre la musique celtique et les musiques orientales ?
M : Chaque fois qu’on se voie, on se dit qu’il faudrait qu’on refasse quelque chose ensemble. La difficulté réside dans le fait de trouver dans l’année un moment pour travailler un nouveau répertoire. L’autre problème est qu’il n’y a malheureusement pas une grande clientèle, en tout cas en France, pour cette musique intimiste et poétique. On souffre un peu de cet état de choses… Si encore on était sûrs qu’il y a un marché…
Vous avez malgré tout déjà réalisé plusieurs disques ensemble…
M : Oui. On a même commencé par enregistrer une K7, produite en Irlande par Goasco Music : Harp & Shakuhachi. Mais cette cassette ne dure que quarante minutes, ce qui fait un peu court pour une réédition CD. Sinon, j’aurais bien aimé ressortir cela en CD. Ce qui était intéressant avec cette K7, c’est que c’était la première année qu’on faisait cela. Je me souviens qu’on avait enregistré cette K7 chez Tommy SANDS, face à la mer, et il y a cette respiration due au fait qu’on s’apprivoisait mutuellement, Jean-Pol et moi. Il y avait une écoute réciproque tout à fait exceptionnelle. Un peu comme pour le premier album d’AFRO CELT, il y a une fraîcheur liée à l’expérience qui est vraiment séduisante. Alors que dans le CD Harp & Bamboo, qui est sorti après, on maîtrise déjà mieux la situation, on est plus expérimentés. C’est bien, ça donne d’autres avantages ; mais en même temps, il y a sans doute moins d’audace dans le propos, parfois.
Vous avez de même réalisé un disque avec le percussionniste David HOPKINS, Harp in Aquarius.
M : Lui aussi, c’est un vieux copain de vingt-cinq ans ! Mais il est rarement disponible. Cela dit, je suis prêt à poursuivre cette expérience de combinaison harpe-flûte-percussions.
Sinon, qu’en est-il de cet album « acoustique » d’AFRO-CELT, avec que des harpes, dont Simon EMMERSON nous avait parlé il y a quelque temps, et qui ressemble de plus en plus à l’Arlésienne ?
M : Oui… Simon en a reparlé sans souci dans l’entretien qu’il a accordé à un magazine. Mais il n’est plus seul à décider au sein d’AFRO CELT. Il y a également James McNALLY, Iarla O’LIONAIRD et Martin RUSSELL… Moi, je pense que ça se fera avec Simon et Martin RUSSELL, mais sans James parce que ce n’est pas son truc. Ça risque même d’être une production indépendante, à la limite. Ce sera peut-être du AFRO CELT, ou peut-être pas. Mais quelque chose se fera.
Vous apparaissez un peu en retrait dans le dernier album d’AFRO CELT SOUND SYSTEM. Tournez-vous toujours avec eux ?
M : Il y a peu de concerts de toute façon ! Je participe à quelques concerts importants, quand il y a assez d’argent derrière. Mais comme je ne suis pas royalement indispensable, ils ne font pas appel à moi pour des petites tournées où ils perdent obligatoirement de l’argent. Ils ne courent pas après les concerts de toute manière. Martin et Simon, c’est pas leur truc. Ce sont des musiciens de studio ; ils peuvent mixer un album pendant 10 mois… C’est là qu’ils sont heureux, pas vraiment quand ils tournent dans des cars-couchettes !
Les rencontres «harpistiques»
Parlez-nous du festival des Rencontres internationales de harpe celtique de Dinan, que vous avez monté…
M : Il a connu sa 18e édition en 2001, donc il est majeur ! Tellement majeur qu’il s’est payé le luxe d’être minimal, puisqu’il ne s’est étalé que sur deux jours et demi (un week-end). De ce fait, ça s’est très bien passé. On a eu l’impression de ne rien avoir à faire, comparativement aux fois où le festival s’étalait sur neuf jours. On gardera donc un bon souvenir de cette 18e édition.
Toutefois, l’année prochaine, si le message envoyé aux politiques a été entendu, le festival pourra s’étendre sur cinq jours. C’est un problème de subventions et de bénévolat. ZIL travaille par exemple à mi-temps en tant que bénévole sur ce festival. On est une équipe de bénévoles au moment du festival, mais en fait on travaille dessus tout le long de l’année. À peine le festival achevé, il faut faire les bilans. Dès le mois de septembre, il faut faire les dossiers de demande de subventions pour l’année suivante ; au mois d’octobre, il faut penser à la programmation, prendre contact avec les artistes pour que les contrats soient signés en décembre-janvier… C’est continuel !
Et y a-t-il de plus en plus d’artistes qui demandent à y participer ?
M : C’est parti d’un concours de composition qui ne durait qu’une journée. Et on s’est rendus compte que les gens étaient frustrés. Forcément, il n’y a qu’un gagnant ! Et s’il n’y a pas d’autres moments de rencontres, c’est un peu frustrant pour les perdants. On est donc passés à trois jours, avec un concert et un stage. Une année, on a invité le Belfast Harp Orchestra, qui ne pouvait venir que le jeudi. Du coup, ça a donné un quatrième jour ! (rires)
Ensuite, l’un des conseillers généraux et maires du secteur nous a demandé d’organiser des concerts autour de Dinan, dans les petites communes du district de Dinan. Voilà comment le festival est passé à neuf jours. Ça demandait beaucoup de travail… Et ces politiciens, dont nous avons besoin, sont toujours prêts à récolter les lauriers, mais ne sont pas forcément conscients du travail que ça représente. On a donc fait grève pendant l’hiver 2000 ! On n’a fait aucune demande de subventions, et ils ont fini par s’en étonner. Quand on a vu qu’il y avait quand même des réactions, on a établi une édition minimale. Il semblerait que le message ait été entendu… Reste à redéfinir les choses avec eux.
Quand aux harpistes, dès la première année, ils sont venus de sept pays différents : l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, puis la Finlande, les Etats-Unis, l’Espagne, la Suisse… Nous, on circule beaucoup dans ces pays-là et on rencontre les harpistes lors de nos tournées, donc on fait aussi simultanément le travail d’organisateurs de festivals. C’est surtout ainsi que l’on recrute, plus que sur consultation de dossiers qui peuvent nous arriver même si, bien sûr, on ne peut rencontrer tout le monde non plus. Mais les contacts directs jouent énormément.
Et vous recevez combien de dossiers ?
M : Jean-Pierre PICHARD, pour le Festival interceltique de Lorient, dit parfois recevoir plus de 60 kilos de dossiers par jour ; moi, je n’en suis qu’à 55 ! (rires) Bon, soyons honnête, il n’y a pas autant de harpistes que de sonneurs, ce n’est donc pas la même échelle. Il nous faut retenir chaque fois qu’une dizaine d’artistes, alors disons qu’on reçoit une trentaine ou une quarantaine de propositions chaque année. Et ça vient de tous les coins du monde ; même de Georgie… On a reçu également beaucoup de propositions de Belgique, du Canada… Mais c’est davantage de la harpe gothique, et je suis moins intéressé.
Le passé émergé
Y a-t-il une chance de voir réapparaître en CD vos anciens albums tel Emersion ou ceux d’AN DELEN DIR ?
M : Il y a eu une compilation faite par Sony sur laquelle figure un extrait de 11 minutes de Emersion. Je l’ai réenregistré parce que le label qui avait sorti le 33 Tours d’origine, Vélia, a malheureusement disparu. C’était une maison de disques moitié amateur, moitié professionnelle, et les bandes n’ont pas été conservées. Il y a donc peu de chances de rééditer Emersion dans sa version originale. Je crois qu’il faut dire aux collectionneurs possédant l’album qu’ils ont un trésor précieux entre les mains ! (rires)
Un album d’AN DELEN DIR a été réédité par Musea/Ethnéa, qui est un label spécialisé, et il n’était pas exclu de rééditer avec eux Harpèges (AN DELEN DIR, Volume 6), un autre disque rare. Il a été enregistré en Irlande, gravé en Italie, édité en Suisse et distribué en Allemagne. Donc, celui-ci pourrait ressortir. On n’a pas la bande master, mais on a de bons vinyls encore neufs à partir desquels on pourra effectuer le transfert numérique. Quant à un album comme Gorchan Judicaël, n’ayant pas été content de l’enregistrement, je ne chercherai pas à le rééditer. C’était une demande du concepteur du livret, à laquelle j’ai répondu, mais je n’en ferais pas non plus de nouvelle version. Je ne suis pas intéressé par le travail avec un orchestre ou avec une chorale.
Dernières extravagances
Vous avez pourtant participé au récent projet de Hughes de COURSON…
M : Ce fut une fois de plus une expérience difficile. Il avait besoin d’une harpe en cordes métal pour son projet O’Stravaganza, qui porte sur VIVALDI et l’Irlande. Malheureusement, on ne s’est pas entendu du tout. J’ai fait le travail, je pense que le résultat est beau, mais c’est une musique que je n’aime pas ! C’est une musique mentale, entièrement écrite sur partition et qui est jouée à la note près, voire pire (!), et je me suis fait ch… ! (rires) Pour moi, la musique celtique, ce n’est pas ça du tout. Je crois vraiment que c’est à l’opposé de VIVALDI ! Bien sûr, O’CAROLAN s’est inspiré des Italiens, mais O’CAROLAN ne fait pas non plus de la musique celtique. Ce n’est pas parce qu’on est Irlandais qu’on fait forcément de la musique celtique.
Enfin bref, l’expérience avec Hughes a été très dure, même pour les Irlandais qui étaient invités. La chanteuse Breda MAYOCK s’en est bien sortie, de même que sa soeur Emer MAYOCK, qui joue du uillean-pipes dans AFRO CELT. Les Irlandais ont souffert, mais ils ont bien assuré, y a pas à dire. De plus, en ce qui me concerne, il a fallu pour l’enregistrement de ce projet que j’aille neuf jours en Italie pour travailler seulement trois heures le dernier jour ! En plus, il ne faisait pas beau ni chaud ; on devait avoir une piscine dans le studio mais elle n’était pas ouverte ; c’était dans un bled pourri ; il n’y avait même pas un cinéma… rien ! (rires)
On me demanderait aujourd’hui de participer à un projet orchestral, je dirais non. J’en ai ma claque ! Je sais que je me répète, mais je suis un sanglier solitaire. Le barde est un être solitaire. Sur la harpe, je suis un autodidacte, je fais ce qui me plaît, je compose mes chansons, je joue ma musique, je suis dans mon univers, peut-être même ma bulle, mais j’ai du mal à interpréter les morceaux d’un autre. Ce n’est pas mon truc. Bon, il y a des contre-exemples, comme cette chanson de GAINSBOURG dans Fréhel Fééries, mais c’est rare. Il faut toujours des exceptions pour confirmer les règles.
À part GAINSBOURG, y a-t-il d’autres chanteurs dont vous auriez envie de réarranger les morceaux ?
M : Il y a des chanteurs que j’aime bien même s’ils n’ont rien à voir avec mon univers, comme BREL. Chez lui, chaque chanson est une pièce de théâtre, c’est fabuleux. Il y a aussi parfois quelques pièces de NOUGARO que je trouve superbes… Avec la formation que j’ai eue dans ma jeunesse, je suis sensible à des tas de choses. Un beau texte soutenu par une musique bien pensée, que ce soit occitan, flamand ou autre, je suis en admiration ! J’adore aussi certaines chansons de Kate BUSH, de BJÖRK…
Et quelle serait votre réaction si elles vous proposaient de jouer sur leurs albums ?
M : Là, j’irais ! Je l’ai fait pour la chanteuse portuguaise Dulce PONTES, mais j’ai un peu souffert là aussi. C’était une musique écrite dans laquelle je n’ai pas vraiment trouvé ma place. Mais j’adore ce qu’elle fait. Quand elle interprète des chansons traditionnelles portugaises, je peux me placer ; mais sur un fado, non. C’est un autre univers, qui n’est pas « harpistique ». Le fado est similaire dans l’esprit à la gwerz, mais la forme en est très différente. Nous, on est dans un système modal, alors que le fado est dans un système tonal.
Propos recueillis par
Stéphane Fougère et Sylvie Hamon
– Photos concert : Sylvie Hamon
Discographie de MYRDHIN disponible en CD :
* Harp et Bamboo, avec Pol HUELLOU (1990, Escalibur)
* Harp in Aquarius (1991, Escalibur)
* Harpe Instrumental (1992, Griffe/Sony)
* La Vie de Merlin (1995, Ria)
* À Cordes et à Cris (1995, Iguane)
* AN DELEN DIR (MYRDHIN, ZIL & Jean-Pol HUELLOU) – Courir le Guilledou / La Ceinture du Diable (1998, Ethnéa – réédition du LP de 1984, MA Production, avec en bonus trois extraits du LP MYRDHIN Vol. 3, An Delen Dir de 1978)
* ARS CELTICA (MYRDHIN & ZIL) – Harpsody (1998, Kerig)
* ARS CELTICA (MYRDHIN & ZIL) – Frehel Fééries (2001, Kerig)
* RÚN (MYRDHIN, Gabriel JÉGO & Philippe LEFÈVRE) (2004, Harpenciel)
* Itinerari Celtici (2004, Fairyland Records)
* MAGIC CHAUDRON (MYRDHIN, ZIL & Pascal LAMOUR) (2008, BNC Productions)
* D’ïle en île (2009, BNC Productions)
* Clarsàch (2010, Crihc)
* Moving Sands (2011, BNC Productions)
* Méditation celtique (avec Cheick Tidiane DIA & Philippe LAUNAY) (2014, ADF-Bayard)
* De la source à l’océan (2015, Ria)
* Noël celtique (2015, ADF-Bayard)
* Que veux-tu Brocéliande ? (2018, Ria)
* La Magie de la harpe (avec Joanna KOZIELSKA) (2019, ADF-Bayard)
* Trees for Two (avec ELISA) (2020, Ria)
Participations :
* Baaba MAAL – Firin’ Fouta (1994, Island)
* Dulce PONTES – O Primeiro Canto (1999, Polydor)
avec AFRO CELT SOUND SYSTEM :
* Vol. 1 : Sound Magic (1996, Real World)
* Vol. 2 : Release (1999, Real World)
* Vol. 3 : Further in Time (2001, Real World)
* Vol. 4 : Seed (2003, Real World)
(Article original publié dans ETHNOTEMPOS n°10 – avril 2002 ;
discographie mise à jour en 2024)