NAMGAR – Nayan Navaa
(ARC Music)
Si vous en êtes encore à croire que le chant diphonique et la vièle à tête de cheval constituent les seuls et uniques attraits artistiques des steppes sibériennes et que le climat général des musiques qui y sont jouées s’apparente ni plus ni moins à une forme de sérénité new-age, voici un album qui devrait faire mentir vos convictions. Ce disque du groupe NAMGAR, issu de la république fédérale russe de Bouriatie, est le premier à bénéficier d’une diffusion internationale, les précédents (Nomad, The Dawn of the Foremothers, Nordic Namgar Live at Riddu-Riddu) ayant été des autoproductions.
Le tout premier album de NAMGAR, Hatar, était néanmoins paru sur un pertinent label russe de world music, Sketis Music, et RYTHMES CROISÉS s’en était naguère fait l’écho. Le chant haut placé et rayonnant de sa chanteuse, Namgar LKHASARANOVA, en était évidemment l’attrait spécifique, de même que l’usage d’instruments typiquement bouriates, comme le luth à trois cordes « chanza », joué par Evgeny ZOLOTAREV, la cithare à treize cordes « yataga » et la guimbarde « khomus » joués par Namgar. Nous parlions alors d’une formation de folk acoustique à l’avenir prometteur… De l’eau a depuis coulé dans la rivière Selenga, qui traverse la capitale bouriate Oulan-Oude, et NAMGAR a fondu son héritage local dans une démarche plus contemporaine, usant de sons résolument urbains, en faisant une formation assez inédite d’ethno-rock bouriate !
Bienvenue donc à proximité de cette « perle de Sibérie » qu’est le lac Baikal, qui s’étend sur une longueur dépassant les 600 kms et qui est considéré comme le sixième lac au monde et la plus grande réserve d’eau douce sur Terre. Cet immense lac est la « mer sacrée » du peuple bouriate, le plus important groupe ethnique minoritaire de Sibérie. Les Bouriates partagent une culture commune avec les Mongols ; mais singulièrement, sur le plan musical, le fameux chant diphonique n’en est pas la prime caractéristique.
Depuis sa création en 2001 (donc depuis vingt ans, ce qui n’est pas rien !), NAMGAR porte donc la parole de la culture bouriate dans les grandes salles et sur les chaînes de télévision russes, a de même collaboré à certaines musiques de films conçues par le compositeur et violoniste russe Alexei AIGUI, fondateur de l’Ensemble 4’33, mais s’est exporté aussi à l’étranger, dans des festivals majeurs de world music en Malaisie, en Ouzbékistan et au Canada. En France, NAMGAR a dû jusqu’à présent se contenter de jouer dans des petits lieux, comme ce fut le cas à Paris en décembre 2017, et de préférence en formation acoustique et réduite (voir notre compte-rendu et diaporama photos).
Mais sur disque, NAMGAR sait sortir la grosse artillerie et réalise des albums densément produits, avec des couches instrumentales mêlant instruments acoustiques, électriques et traitements électroniques. Nayan Navaa ne fait pas exception à la règle : voici un album qui n’a pas peur d’arborer sa modernité sonique sans pour autant sacrifier le fond de son héritage local. Les onze morceaux qu’il renferme sont toutes des adaptations de chants traditionnels bouriates, à l’exception d’une composition écrite par le trompettiste norvégien Ole Jørn MYKLEBUST (qui a joué sur l’album Idjagiedas de Mari BOINE). Autour de Namgar LHASA et d’Evgeny ZOLOTAREV, les deux piliers de NAMGAR, plusieurs musiciens sont venus apporter leur contribution musicale ou technique ; ils sont soit russes, soit norvégiens, soit de la République voisine de Touva. (C’est ainsi que l’on retrouve Radik TYULIUSH, membre de YAT-KHA, et Alexei SARYGLAR, membre de HUUN-HUUR-TU.)
Entre pièces relevées à l’énergie mordante et roborative et d’autres plus contemplatives ou intimistes, c’est la culture traditionnelle bouriate qui est célébrée : chants de dévotion aux ancêtres, chants de mariage, chants de chasse et chants accompagnant des danses sont projetés par NAMGAR dans l’ici et le maintenant, comme témoins d’une culture qui ne veut pas se laisser oublier ou fondre dans une uniformité laminante. Des insertions d’enregistrements de terrain issus des archives sonores de St-Petersburg sur quelques morceaux attestent de cet attachement, et Namgar LKHASARANOVA se retrouve ainsi à chanter par-dessus un enregistrement de la voix de son propre père, Ayusha LKHASARANOV !
Tout ce répertoire célèbre en fait le « yokhor », un mot-valise qui désigne à la fois un jour férié, un chant et surtout une danse en cercle, elle-même liée à un ancien style de chasse bouriate, le « zegete aba », et dont la signification sémantique est liée à la vénération du soleil.
Et solaire est indéniablement l’album Nayan Navaa, termes qui désignent la terre ancestrale des Bouriates. Avec NAMGAR, on n’a pas besoin de se l’imaginer comme étant un espace temporellement et géographiquement hors d’atteinte : cette Terre est bien là, toujours vivante dans ce XXIe siècle vibrionnant. Tendez les oreilles, la Bouriatie a des choses à dire ; et la musique de NAMGAR en fait résonner les battements de cœur avec une amplitude que l’on ne soupçonnait sans doute pas.
Stéphane Fougère
Site : www.namgar.ru
Label : www.arcmusic.co.uk