Nick CAVE & Warren ELLIS – Blonde (Soundtrack from the Netflix Film)

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Nick CAVE & Warren ELLIS: Blonde (Soundtrack from the Netflix Film)
(Lakeshore Records)

Depuis quelques années, Nick CAVE et son complice australien Warren ELLIS (DIRTY THREE, THE BAD SEEDS) ont élaboré des « soundtracks » pour de nombreux films (citons The Proposition de John HILLCOAT, Loin des Hommes avec Reda KADER, Comancheria, La Panthère des Neiges)… Avec plus ou moins d’inspiration ! Il s’agit cette fois-ci de la B.O. du nouveau film d’Andrew DOMINIK consacré à Marilyn MONROE, très peu distribué dans les salles de cinéma mais qui a été diffusé sur Netflix. Le scénario s’inspire en fait du roman Blonde paru en 2000, une biographie fictive sans concession, que nous devons à Joyce Carol OATES. La pochette est superbe montrant, assise sur les marches d’un escalier, une Marilyn pensive, vêtue de sa célèbre robe rose (qui nous renvoie à une des scènes mythiques du film Gentlemen Prefer Blondes), incarnée par l’actrice cubano-espagnole Ana de ARMAS. Il est fort dommage que le mot Netflix soit imprimé tout en bas de la photo. Cela gâche vraiment tout.

Il faut souligner que ce n’est pas la première fois que Nick CAVE travaille avec Andrew DOMINIK. Rappelez-vous de la musique du film The Assassination of Jesse James et le superbe documentaire consacré au chanteur/compositeur, One More Time With Feeling. Les musiques pour Blonde ont été enregistrées entre novembre 2019 et mars-octobre 2020. Nick est au vibraphone et au chant. Warren est comme toujours un multi-instrumentiste accompli (synthé, loops, flûte, violon, piano).

Nous retrouvons de même Jim SCLAVUNOS (CRAMPS, BAD SEEDS) lui aussi au vibraphone et le musicien français, vu par ailleurs dans Ghosteen, le ondiste Augustin VIARD (en guise de rappel, les ondes Martenot est un instrument monodique à oscillateur électronique inventé par Maurice MARTENOT), ainsi que des musiciens pour la section à cordes. Et pour être honnête, c’est une très belle réussite.

C’est nettement supérieur et beaucoup plus prenant que la musique de Loin des Hommes et celle de La Panthère des Neiges, où c’est parfois vraiment très ennuyeux. CAVE et ELLIS touchent ici en plein cœur. C’est émouvant dès le premier titre, Pearly, dont le thème principal est submergé par des envolées déchirantes. Nous imaginons Marilyn, seule, dans cette belle robe rose de Gentlemen Prefer Blondes, qui regarde les étoiles. Oh My Lord, que c’est beau ! Nous pensons tout de suite aux musiques poignantes d’Angelo BADALAMENTI pour certains films de David LYNCH.

Les musiques oscillent entre du néo-classique, de l’électronique et de l’ambient : Shard, Glass Sliver mettent en avant des notes de piano remplies de larmes. Abortion sonne comme du ROEDELIUS avec ce piano minimaliste et des sons électroniques. Cette « soundtrack » s’étire dans le temps entre des plages sombres, dramatiques et orchestrales avec parfois quelques interventions vocales de choeurs d’anges déchus : Goddess of Love on a Subway Grating, Strawberry, Gemini Acoustic.
Certaines mélodies sont à pleurer (Nembutal, Peroxyde, ou la version instrumentale de Bright Horses, titre issu de l’album Ghosteen paru en 2019). 

D’autres sont plus oppressantes, créant un certain malaise : par exemple, un titre comme Fire in the Hills développant des errances sonores obscures et inquiétantes nous ramène à du TANGERINE DREAM ou du Klaus SCHULZE cosmique et planant. Ces mêmes atmosphères reviennent vers la fin du disque avec I Love Love Love You All dont le final assourdissant annonce de mauvais présages.  Le titre suivant, Wig, renforce cette impression de noirceur abyssale avec notamment ce piano qui a perdu toute légèreté pour des notes imprégnées de gravité. Nous pouvons également penser à du VANGELIS (par exemple, lors de la première partie de Gemini). Les envolées mélancoliques mélangeant les cordes à l’électronique ajoutent à l’ensemble un côté grandiose et onirique qui touche réellement au sublime. Donc, pour ceux qui apprécient toutes ces ambiances, ce disque va vous emporter sur des rives familières.

Ce qui frappe aussi dès la première écoute est ce décalage entre ces musiques orchestrales, synthétiques, spatiales et l’environnement proposé par le film. Nous nous retrouvons projetés dans l’Amérique de Marilyn MONROE, le Hollywood des années 1940-1960. Rappelez-vous que Marilyn a commencé sa carrière à la fin des années 1940, décrochant d’abord des petits rôles. Puis, c’est avec le film Quand la Ville Dort (The Asphalt Jungle de John HUSTON en 1950) qu’elle commence à se faire remarquer.

Donc, pour en revenir à la « soundtrack », ces musiques ne collent pas vraiment avec le cadre de cette époque, les starlettes et le rêve américain, le glamour et les paillettes. Ces musiques pourraient être plutôt perçues comme le reflet sonore de l’actrice. Ces musiques nous font ressentir sa tristesse, son chagrin, sa solitude, son désespoir et sa fragilité. Ces musiques nous montrent l’autre côté du miroir. Nous sommes loin des lumières d’Hollywood.

Nous ne percevons pas ce qui normalement transparaît dans les films de Marilyn : l’exubérance de cette époque, les jolies voitures, les belles robes, les fêtes grandioses, les chansons charmantes, les histoires d’amour qui finissent toujours bien et surtout l’image de l’actrice elle-même, une femme fatale, une blonde sensuelle, fantasme absolu de l’Amérique et du monde occidental.

Marilyn était bien plus qu’une poupée. Il suffit de lire les nombreux livres qui lui sont consacrés, voire même ses écrits et ses poèmes pour comprendre qu’elle était bien plus qu’un trésor exploité par l’industrie du cinéma. Elle était certes leur création, leur produit, mais elle était aussi avant tout une sacrée femme avec de nombreuses convictions. Elle était une femme libre qui a parfaitement su jouer de son image et qui a aussi fait avancer les choses en matière de féminisme, de lutte contre le racisme.

Il ne faut pas oublier qu’elle a mené hélas une vie avec tous les excès possibles, qu’elle était seule (elle aurait tant aimé être mère) et en proie à l’angoisse, aux doutes. Cette « soundtrack » est vraiment déchirante par cette tristesse infinie qui s’y dégage. Les cordes sublimes et fragiles sur Peroxyde vous retournent les tripes et semblent annoncer la phase de déclin après une ascension fulgurante et une gloire trop instable. 

L’arrivée d’un violoncelle sur Gemini Acoustic pourrait aussi laisser sous-entendre, malgré les apparences, une existence des plus monotones, avec un jeu particulièrement sobre, austère rappelant celui de Wolfgang TIEPOLD sur des enregistrements de Klaus SCHULZE. La musique de  Nick CAVE et de Warren ELLIS est cérémoniale, profondément sacrée, sombre et lumineuse (A World of Light), aérienne et désespérée. Elle est à l’image de l’actrice mais aussi de l’Australien qui a lui aussi énormément perdu ces dernières années.

Avec Blonde, nous retrouvons les atmosphères de recueillement, de deuil qui sont présentes sur les dernières productions de Nick CAVE avec ses BAD SEEDS (Skeleton Tree, Ghosteen) et avec ELLIS (Carnage).

Il est fort probable que la petite Norma JEANE aurait été émue par cette musique qui lui ressemble et qui paraît, tel un écho à sa personnalité complexe, résonner au plus profond de son être et de sa conscience.

Cédrick Pesqué

Sites : www.nickcave.com/

Site officiel de Netflix : https://www.netflix.com/fr

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